dimanche 25 novembre 2012
Chers lecteurs,
Je commence ce billet comme j’ai conclu le précédent : avec le graphique montrant la prévision que fait l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans son dernier rapport annuel, de la production de pétrole selon son scénario de référence, qu’elle appelle le « Scénario des Nouvelles politiques ». Ce graphique, comme je l’ai dit précédemment, montre qu’à l’échelle globale, la production de pétrole brut a déjà commencé son déclin. Certains éléments des prévisions de l’AIE sont quelque peu optimistes, pour ne pas dire fantaisistes, lorsqu’elle parle de la production future des champs de pétrole à découvrir et ceux à mettre en exploitation ; de plus, elle gonfle considérablement les perspectives de production de pétrole non conventionnel, en affirmant qu’en 2035, la barre des 100 millions de barils par jour (Mb/j) sera franchie alors que près de 87 Mb/j ont été produits en 2011. De tout cela, nous avons discuté dans mon précédent billet.
C’est dans ce même billet que Carlos de Castro a fait un commentaire intéressant sur la bonne manière d’interpréter les chiffres de ce scénario. Cela m’a fait penser à un exercice simple, avec des nombres simples, pour montrer que, même avec le scénario merveilleux de l’AIE pour le futur, les chiffres ne sont en fait pas fidèles à la réalité. Même avec le meilleur scénario pour le futur, nous entrons dans la phase de déclin du pétrole. Voyons cela.
J’ai pris le graphique ci-dessus, que j’ai mis en haute-résolution (600 dpi) et j’ai mesuré la hauteur relative des barres. Puis, à l’aide d’une simple règle de trois, j’ai converti les barres dans l’équivalent de la valeur de la production pour chaque année représentée, exprimée en Mb/j. Voici les chiffres que j’ai obtenus :
2000 | 65,9 | 65,9 | 65,9 | 73,8 | 74,9 | 74,9 | 76,7 |
2005 | 70,0 | 70,0 | 70,0 | 79,7 | 82,0 | 82,0 | 83,9 |
2011 | 68,2 | 68,2 | 68,2 | 80,2 | 83,2 | 84,4 | 86,2 |
2015 | 64,1 | 68,2 | 68,2 | 82,6 | 86,8 | 89,3 | 91,7 |
2020 | 56,3 | 65,3 | 66,5 | 82,1 | 88,0 | 91,1 | 94,0 |
2025 | 48,0 | 61,1 | 65,9 | 82,1 | 89,2 | 93,3 | 95,8 |
2030 | 36,7 | 56,4 | 65,3 | 82,1 | 90,9 | 94,6 | 97,6 |
2035 | 25,9 | 52,2 | 65,3 | 83,2 | 93,3 | 97,0 | 100,0 |
Logiquement, compte tenu de la méthode, ces valeurs ont une certaine marge d’erreur, mais elle est certainement très faible (par exemple, pour 2035, j’obtiens 100 Mb/j comme production totale de pétrole, mais le rapport indique qu’elle est de 99,7 Mb/j, donc l’erreur sur les chiffres doit probablement être inférieure à 0,5 % par rapport aux véritables chiffres de l’AIE).
À partir de ces chiffres, j’ai construit un graphique continu (simple extrapolation linéaire pour les années pour lesquelles nous ne disposons pas de données) ; les couleurs correspondent approximativement à celles du graphique de l’AIE :
Rappelons les différentes catégories. La bande noire ci-dessous représente la production des champs de pétrole brut actuellement exploités (en 2011). La bande de couleur bleu ciel représente la production des champs de pétrole brut qui sont déjà connus, mais ne sont pas exploités en raison de l’absence de demande ou d’un coût de production trop élevé. La bande de couleur bleu foncé représente la production de pétrole brut que l’on attend des champs encore à découvrir. Toutes les autres bandes représentent le pétrole non conventionnel, substituts imparfaits au pétrole. La bande de couleur violette représente la production des liquides de gaz naturel ; la bande de couleur jaune provient de la production de tous les autres pétroles non-conventionnels à l’exception des hydrocarbures légers de réservoir compact ; la bande rouge correspond aux hydrocarbures légers de réservoir compact et la bande verte (contrairement à la couleur utilisée dans le rapport de l’AIE) représente les gains de raffinage.
Bien qu’il s’agisse d’une extrapolation linéaire entre des points consécutifs, la représenter de manière continue permet de se faire une idée plus précise du scénario que l’AIE considère comme le plus proche de la manière dont les choses vont évoluer dans le futur. En particulier, la baisse régulière de la production de pétrole brut devient plus tangible.
Mais revenons-en au commentaire de Carlos de Castro : ce chiffre cache un fait fondamental. Nous faisons la somme de volume d’hydrocarbures en supposant que ces différentes catégories sont équivalentes... alors qu’elles ne le sont pas. Les pétroles non conventionnels, tous, ont des densités d’énergie par unité de volume qui sont environ 70 % de celle du pétrole brut. D’un autre côté, les gains de raffinage font référence à l’augmentation du volume des produits issus du raffinage du pétrole, dont l’augmentation de volume n’a évidemment pas augmenté l’énergie tirée du pétrole. Cela ne signifie pas que les produits raffinés à partir d’un baril de pétrole aient exactement la même quantité d’énergie qu’un baril de pétrole, ou même moins du fait des pertes dans le processus de transformation (la Seconde loi de la thermodynamique est toujours à l’affût). En réalité, ces produits contiennent plus d’énergie que le baril de départ, parce qu’au cours de sa préparation, on utilise du gaz naturel pour hydrogéner les hydrocarbures plus insaturés. Ce qui signifie bien sûr que les produits raffinés à partir d’un baril de pétrole raffiné contiennent moins d’énergie que ce qu’il y avait dans le baril de départ plus le gaz naturel utilisé. Dans tous les cas, tout gain d’énergie ne vient pas de pétrole mais du gaz, donc si nous voulons savoir quelle est la quantité d’énergie qui provient de la production de pétrole lui-même, il nous faut supprimer simplement la bande correspondant aux gains de raffinage. Une fois ces ajustements réalisés (les pétroles non-conventionnels possédant 70 % de l’énergie du même volume de pétrole brut ; les gains de raffinage n’augmentant pas l’énergie tirée du pétrole), on obtient le graphique suivant, dont les valeurs seraient déjà exprimées en unités d’énergie, même si cela n’est guère conventionnel : des millions de barils d’équivalent pétrole brut par jour :
C’est ce graphique que l’AIE devrait soumettre, si elle faisait sa comme elle le devrait, à savoir en donnant des flux en énergie et non en volume. Comme on le voit, les perspectives de croissance de production, lorsque celle-ci est exprimée en termes d’énergie associée, sont beaucoup plus maigres et bien moins encourageantes : on passerait de 79,5 Mb/j (à partir de maintenant, j’entends en équivalent quantité d’énergie) en 2011 à 87,5 Mb/j en 2035.
Ceci dit, ce graphique ne raconte pas non plus toute l’histoire, car il montre l’énergie brute ou totale, mais il ne nous dit pas quelle quantité d’énergie reste disponible pour la société, une fois déduite l’énergie nécessaire pour simplement produire cette énergie et entretenir ces flux. Pour faire une estimation de l’énergie nette, il nous faut connaître le taux de retour énergétique (TRE) des différentes sources d’hydrocarbures assimilés au pétrole. Rappelons que le TRE se calcule grâce à la formule suivante :
où Et est l’énergie totale produite par une source et Ep est l’énergie nécessaire à sa production, toutes deux étant prises sur l’ensemble de la durée de vie de la source en question. Étant donné le grand nombre de champs et de systèmes de production, je vais supposer que le système est en équilibre dynamique, à savoir qu’aussi bien Et que Ep peuvent être pris comme des valeurs instantanées (une simplification qui, en réalité, minimise le déclin). Avec cette formulation, l’énergie nette que nous apporte une source durant sa vie entière (et si nous avons de nombreuses sources à différentes étapes de leur durée de vie, cette formule s’applique également à chaque instant à l’ensemble complet) est la suivante :
Nous avons juste besoin de connaître les valeurs de TRE pour toutes les différentes catégories de graphique de l’AIE. Connaître ces valeurs est très difficile et non exempt de controverse, en fonction de la méthodologie utilisée. Je ne vais pas faire une analyse détaillée de toutes ces valeurs ; je vais simplement proposer des valeurs qui me semblent raisonnables. Comme les chiffres sont sur la table, chacun pourra jouer avec ces valeurs et proposer les changements qui lui semblent les plus appropriés, afin d’obtenir sa propre version. On peut aussi dire que l’AIE elle-même devrait faire cet exercice, dans le but de donner une idée plus claire de ce que sera la disponibilité future de l’énergie pour la société (parce que donner les données brutes, qui incluent les dépenses pour déployer et maintenir les systèmes de production de pétrole, est tout à fait trompeur). Voici mes valeurs ; elles sont toutes constantes dans le temps, ce qui adoucit effectivement le déclin :
En tenant compte de toutes ces valeurs, on obtient le graphique suivant :
Ce graphique devrait également être l’un des graphiques produits par l’AIE si elle prenait au sérieux son travail. Et comme vous pouvez le voir, il raconte une histoire bien différente de l’histoire officielle. D’après lui, l’énergie nette de tous les liquides de pétrole, même avec la prévision très exagérée de l’AIE pour l’avenir, culminerait en 2015, avec une valeur maximale de 79,7 Mb/j d’énergie équivalente à celle du pétrole, puis diminuerait lentement jusqu’à 77,1 Mb/j en 2035. En somme, nous serions très proches du point culminant de l’énergie nette tirée du pétrole – un message extrêmement alarmant.
Et que se passerait-il si, au lieu de prendre telles quelles des estimations exagérées comme celles de l’AIE, on en prenait qui ont subi une petite cure de réalisme ? Il est difficile de faire une estimation précise de ce que serait réellement la production des différentes catégories de liquides assimilés au pétrole (en tout cas pour moi qui ne suis pas géologue ; les membres de l’ASPO, cependant, ont de bonnes estimations de chacune d’entre elles). Néanmoins, il est facile d’obtenir une approximation un peu plus réaliste de ce que serait le véritable futur de la production de pétrole. Ceux qui le souhaitent pourraient trouver l’approche discutable ; je décris ici les hypothèses et les chiffres, pour tous ceux qui veulent refaire les calculs à leur goût :
Avec ces hypothèses, le graphique pour l’énergie nette que l’obtient est le suivant :
Le résultat est évident : nous sommes déjà dans l’année du début du déclin final de l’énergie nette. En fait, cela pourrait être n’importe quand entre maintenant et 2015, car les données de l’AIE sont discrétisées tous les 5 ans, et on ne peut donc pas être plus précis que cela. D’un autre côté, on peut dire que le pic de l’énergie nette tirée du pétrole ne signifie pas le pic de toute l’énergie, parce que d’autres sources disposent encore d’une certaine marge avant de passer leur propre pic et vont en partie compenser cette chute ; cependant, comme la baisse du pétrole est plus forte, elle sera plus difficile à compenser et dans un futur pas très éloigné, se combinant à la fin de la croissance des autres sources, elle finira par être inexorable. Enfin, notez que la baisse de l’énergie nette tirée du pétrole ne sera reconnue qu’une fois que celle du volume de pétrole sera évidente (comme on le voyait dans le premier graphique), dans la mesure où le concept d’énergie nette est plus difficile à saisir. Nous savons que le cursus classique de formation en économie ne peut pas reconnaître ou comprendre le concept de Taux de Retour Énergétique, car la seule explication que cette discipline donne lorsque la production de pétrole décline est que le secteur n’investit pas assez dans l’exploration et le développement (comme ce qui se passe en ce moment en Argentine) sans comprendre qu’il ne peut exister de production économique si les produits énergétiques n’existent pas. Cela conduira à des débats acrimonieux qui vont déboucher sur des politiques erratiques faisant plus de mal que de bien, sur des positions plus radicalisées et sur l’adoption finale, dans de nombreux cas, de mesures draconiennes d’inspiration populiste qui ne résoudront rien et aggraveront tout.
Le dernier élément factuel est que l’ère du pétrole touche à sa fin. Du pétrole continuera à être disponible pendant de nombreuses décennies, mais il sera de plus en plus rare et finira par être un produit de luxe. Notre ère de développement économique accéléré basé sur le pétrole pas cher est déjà finie. C’est le crépuscule du pétrole. Et si nous refusons de le voir, cela pourrait aussi bien être le nôtre.
Salutations,
AMT