Par Gail Tverberg
19 avril 2018
Les prix du pétrole sont désormais remontés au niveau qu’ils avaient atteint trois ans durant. Au moment où j’écris ces lignes, le baril de Brent est à 74,14 dollars et le baril de West Texas Intermediate est à 68,76 dollars. Mais si l’on regarde les choses, non pas sur les trois dernières années, mais à plus long terme, ces prix ne sont finalement pas si élevés que cela.
Figure 1. Graphique de l’EIA montrant les prix moyens hebdomadaires du pétrole de Brent jusqu’au 13 avril 2018.
Subsiste toujours la question de savoir jusqu’à quel niveau les prix du pétrole peuvent grimper, et combien de temps ils peuvent y rester.
En fait, on trouve de nombreuses ressources, de toutes sortes, dont les prix d’extraction continuent de croître. Par exemple, obtenir de l’eau douce pour la population mondiale devient de plus en plus cher. Certaines régions du monde ont besoin de recourir au dessalement.
Pour aucune de ces ressources, l’économie mondiale n’arrivera à supporter des niveaux de prix durablement élevés. Il est clair que pour toute une série de ressources indispensables, l’économie mondiale ne supportera pas des prix élevés, car cela obligerait les gens à réduire leurs autres achats pour pouvoir s’acheter les matières premières plus chères. Cet article est un billet invité écrit par un autre actuaire, dont le pseudonyme est Shunyata. Il explique à sa manière pourquoi une situation de prix élevés des ressources ne peut pas durer très longtemps, que ce soit pour le pétrole, le gaz naturel, l’eau ou même l’air que l’on respire.
Chers lecteurs :
Comme vous le savez sans doute, Gail a créé un fantastique ensemble de blogs qui explorent notre système énergétique/financier/économique et révèlent de nombreux aspects cachés ou incompris de notre situation. J’ai trouvé ces discussions inestimables et je les partage à chaque fois que je le peux : résoudre nos problèmes sociétaux impose de développer une compréhension sociétale de ces problèmes.
Le problème auquel je suis confronté est celui d’aider d’autres personnes, par exemple mes grands-parents, à entrer dans ces débats complexes. Ils arrivent à comprendre pourquoi on pourrait se retrouver « à court » de pétrole, mais arriver à comprendre le véritable problème que pose notre situation financière actuelle est bien plus difficile. J’aime utiliser des métaphores pour expliquer les choses – cela permet à mes grands-parents de comprendre les éléments-clés de la situation. Les métaphores que j’utilise concernent l’industrie pétrolière. Cela fait longtemps que mes grands-parents suivent la situation pétrolière et son actualité. Si vous aussi, vous l’avez suivie, cela pourra vous être utile pour lire ce qui suit.
Vous trouverez ci-dessous la manière dont je présente à mes grands-parents les explications détaillées de Gail, en trois courts chapitres. J’espère que vous trouverez cette manière de présenter les choses utile pour vos propres discussions, et j’accepterai avec plaisir les suggestions que vous pourrez faire pour la rendre encore plus limpide.
Imaginez que l’on doive soudain se mettre à obtenir de l’air à partir de puits creusés dans le sol, et que, pour conduire leurs affaires au quotidien, les entreprises et les individus doivent acheter cet air.
Si l’air est facilement disponible dans le sol, on peut toujours en extraire la quantité dont on a besoin, et faciliter ainsi la vie des gens et le fonctionnement des entreprises, voire leur croissance.
Que se passe-t-il si l’air devient plus difficile à extraire ? Peut-être l’air facile à extraire a-t-il disparu et du coup, nous devons de plus en plus chercher à extraire de l’air situé sous le plancher d’océans ou dissous dans des roches du sous-sol.
La technologie peut y être utile. Parfois, elle est même d’une grande aide. Mais financer le développement de cette technologie provoque sur les coûts de production un choc immédiat à la hausse. Ce choc de coût survient que l’on parle d’air conventionnel ou d’air renouvelable obtenu grâce à l’énergie du soleil.
Financer la complexité de la technologie – un appareil de forage d’air sous le plancher océanique coûte plus cher à exploiter qu’un appareil de forage d’air sur les terres émergées – et rembourser la moindre dette que la construction d’une nouvelle infrastructure technologique impose de contracter, génèrent tous deux une hausse, certes moindre, mais constante des coûts de production. Cette hausse des coûts survient que l’on parle d’air conventionnel ou d’air renouvelable obtenu grâce à l’énergie du soleil.
Cette hausse des coûts est un frein permanent pour l’économie. Pour compenser le coût plus élevé de l’air, les salaires n’augmentent pas. Rien ne peut remplacer l’air, et l’air n’est tout simplement pas disponible dans les quantités dont l’économie jouissait auparavant – à moins d’arrêter de faire des choses que nous faisions auparavant et de rediriger les ressources financières rendues ainsi disponibles pour obtenir la même quantité d’air que celle dont nous disposions auparavant.
Dans un système financier moderne, on utilise « l’argent » comme un indicateur de l’activité économique. Dans un système de troc, je peux obtenir des biens et des services en échangeant le produit de mon travail contre le produit de votre travail. Mais gérer de grandes quantités de produits finis est compliqué ; nous utilisons donc « l’argent » comme moyen d’échange. Si vous et moi sommes disposés à échanger nos produits finis contre un morceau de papier symbolique, alors je peux échanger mes produits et services contre du papier, vous apporter ce papier et l’échanger contre vos biens et services. Ce moyen d’échange facilite les échanges de biens et de services complexes réalisés loin les uns des autres ou à des moments différents.
Dans ce système de troc, comment les prêts fonctionneraient-ils ? Une personne peut produire des produits finis en grande quantité, les échanger contre du papier symbolique, mais ne pas échanger immédiatement ce dernier contre d’autres produits, et, à la place, le « mettre de côté » pour l’utiliser plus tard. La dette est un processus consistant à emprunter le papier symbolique économisé par quelqu’un d’autre et à l’utiliser pour s’acheter des biens et des services. C’est un processus utile quand il s’agit de construire un appareil de forage d’air sous le plancher océanique alors qu’on ne dispose pas soi-même de l’argent nécessaire pou cela. On peut emprunter l’argent de quelqu’un d’autre et le rembourser plus tard, une fois que l’appareil de forage d’air a produit des revenus.
Ce mécanisme simple d’emprunt ne fonctionne que si certaines personnes ne consomment pas de biens et de services dans l’économie, et qu’elles permettent à d’autres de leur « emprunter » leur capacité à consommer. Que faire s’il n’y a pas assez d’épargne pour faire de gros emprunts ? Et si je veux maximiser l’activité économique et que je ne veux pas que les gens reportent leur consommation individuelle ?
Si l’on veut disposer de plus de financement que ce que peut fournir le troc, il y a plusieurs solutions possibles :
Appelons ce processus de création monétaire pour financer l’économie, en plus de ce qui serait disponible par l’emprunt, « la planche à billets ». Dans tous ces cas, du papier symbolique est ajouté à l’économie sans avoir eu besoin de réaliser les travaux précédents.
Que se passe-t-il quand on met ces deux chapitres bout à bout ? Quand l’air devient plus difficile à extraire :
On a donc des prix de l’air qui baissent alors même que le coût de la production d’air continue d’augmenter.
Voilà qui commence à ressembler à une crise économique. L’une des réponses classiques des États dans ce genre de situation, c’est de faire tourner la planche à billets, pour que les consommateurs disposent de plus d’argent pour acheter de l’air, sans avoir à repousser leurs autres achats à plus tard.
Cette méthode peut fonctionner pendant un certain temps, mais elle finit toujours par ne plus marcher lorsqu’il n’y a pas de croissance globale de l’activité économique pour correspondre au gonflement de la masse monétaire. La dette finit alors par devoir être payée (généralement sous la forme d’impôts plus élevés). L’activité productive dans l’économie est devenue insuffisante pour pouvoir facilement rembourser la dette. En conséquence, les consommateurs doivent reporter une part encore plus grande de leur consommation pour rembourser leur dette, ce qui finit par se traduire par des prix de l’air encore plus bas.
En fin de compte, soit le marché de la dette, soit le marché de l’air se retrouvent face à un risque de faillite totale.
Une telle situation ne peut clairement pas durer très longtemps. Les prix qui seraient suffisamment élevés pour les producteurs ne peuvent pas être proposés aux consommateurs, car sinon, ces derniers seraient dans l’incapacité d’acheter d’autres biens de nécessité dont ils ont besoin. En même temps, si les producteurs ne peuvent pas faire payer un prix assez élevé pour l’air, ils finissent eux-mêmes par ne plus pouvoir fournir d’air – ou toute autre matière première – dont les gens ont besoin.