Contexte du pic de Hubbert et prévisions pétrolières mondiales

Par Gail Tverberg
2 mai 2011

(Remarque : cet article est un message que j’ai écrit et qui a été publié dans le bulletin d’informations ASPO-USA d’aujourd’hui.)

Ces derniers temps, une chose m’a frappée alors que je lisais certains des articles écrits par Marion King Hubbert : c’est le contexte dans lequel il a établi ses prévisions sur la manière dont les réserves mondiales de pétrole allaient atteindre un pic, puis décliner. Cette prévision, il l’a faite dans le cadre d’un approvisionnement abondant en combustibles provenant d’autres sources qui ont déjà été développées pour compenser cette baisse.

Figure 1.

Les trois graphiques présentés dans ce document sont tirés de l’article de Hubbert datant de 1956, Nuclear Energy and Fossil Fuels. D’après sa figure 30, il est clair qu’il s’attendait à ce que l’énergie nucléaire fasse atteindre un niveau très élevé à la production totale d’énergie, avant même que les combustibles fossiles ne commencent à voir leur production décliner.

Dans son rapport daté de 1962, Energy Resources - A Report to the Committee on Natural Resources, Hubbert imagine la possibilité de disposer d’une énergie tellement bon marché qu’il serait possible, pour l’essentiel, d’effectuer une combustion inverse - combiner énergie, dioxyde de carbone et eau pour produire de nouveaux types de combustibles, plus de l’eau. Si cela nous était possible, on pourrait remédier à nos niveaux élevés de CO2 et fabriquer des carburants en très grande quantité pour nos véhicules actuels sans faire appel aux combustibles fossiles.

En 1954, Lewis Strauss, président de la Commission de l’énergie atomique des États-Unis, a inventé l’expression « Pas assez cher pour mesurer » (en) pour parler de l’électricité nucléaire. Manifestement, son point de vue était assez proche de celui de Hubbert.

Un tel approvisionnement continu en énergie est absolument capital, parce que cela permet de supposer qu’on ne rencontrera jamais de situation où la quantité d’énergie disponible serait insuffisante pour réaliser la production alimentaire et répondre aux usages industries alors même que l’utilisation des combustibles fossiles diminue. Pour cette raison, sa « courbe de Hubbert » de la production mondiale de pétrole n’exigeait de prendre en compte que les conditions géologiques influant sur le déclin de l’approvisionnement en pétrole, et non les conséquences indirectes qui pouvaient aussi affecter la production de pétrole.

Si, comme Hubbert l’espérait, une nouvelle source d’énergie avait été massivement développée avant que l’on commence à se rapprocher fortement d’une baisse de l’approvisionnement mondial de pétrole, on aurait pu s’attendre à ce que le rythme de baisse au niveau mondial fût semblable à celui observé dans le passé pour les champs individuels, car alors la géologie aurait été le principal déterminant du rythme de déclin de l’approvisionnement mondial.

Figure 2.

Le problème, c’est que s’il n’existe pas d’énergie alternative dont l’approvisionnement soit en mesure de prendre facilement la place de celle de l’approvisionnement en pétrole, alors nous allons commencer à rencontrer de nombreux effets secondaires sur l’économie affectant par contrecoup la production pétrolière, dès que l’approvisionnement en pétrole aura cessé de croître aussi vite qu’il ne l’a fait dans le passé. Par exemple, on peut s’attendre à ce que les prix du pétrole se mettent à grimper quand l’offre mondiale cessera de croître, et à ce que cette hausse des prix du pétrole affecte aussi les prix alimentaires. Aujourd’hui, des prix alimentaires élevés sont l’une des raisons des troubles politiques au Moyen-Orient et dans le Maghreb. Dans les pays importateurs de pétrole, des prix élevés du pétrole ont également tendance à avoir un effet récessif et de hausse du chômage. À terme, il est possible que sans une disponibilité suffisante du pétrole, la population mondiale ait du mal à produire assez de nourriture.

La courbe de Hubbert garde de l’importance, car elle fournit une valeur plafond proche de la quantité maximale de pétrole qui pourra être produite. Si je parle d’un plafond « proche de » la quantité maximale, c’est parce qu’il est encore possible que soient faits des progrès techniques en matière d’extraction, qui rendent de nouveaux types de production économiquement rentables. Les retours d’expérience accumulés à ce jour montrent que le rôle de ces progrès sera probablement assez limité.

Si l’on ne trouve pas de substitut approprié qui soit disponible, il est de plus en plus probable que le déclin de la production de pétrole soit affectée par les soubresauts économiques, qui rendront le rythme de décline encore plus rapide que ce que la courbe de Hubbert, prise isolément, ne prévoit. En publiant leur livre Limits to Growth en 1972, Meadows et al. ont également tenté de modéliser les effets de certains de ces autres facteurs. Ce qu’ils suggéraient était un déclin rapide lorsque diverses limites étaient atteintes.

Dans son article de 1956, Hubbert a donné des indications de l’éventail des issues possibles :

Figure 3.

Dans sa Figure 61, « énergie solaire » semble vouloir correspondre à l’ensemble des énergies solaires, éoliennes, marémotrices, du bois, des biocarburants et toutes celles que, chaque jour, nous obtenons indirectement du Soleil. Son chiffre semble suggérer que son « énergie solaire » fonctionnerait pour l’essentiel comme un prolongateur de combustible fossile, et qu’elle ne durerait pas beaucoup plus longtemps que les combustibles fossiles eux-mêmes. Selon lui, une autre source d’énergie, comme le nucléaire, serait nécessaire pour maintenir sur le long terme la production énergétique totale.

Hubbert ne nous fournit pas un graphique « redessiné », qui prendrait en compte les effets secondaires auxquels il faudrait s’attendre en l’absence de bons substituts appropriés disponibles au moment où les combustibles fossiles entrent en déclin. Cependant, il me semble que s’il avait envisagé le cas particulier de la non-disponibilité de bons substituts énergétiques, il aurait probablement été obligé d’ajuster la partie droite, descendante de sa distribution pour prendre en compte les conséquences négatives probables sur la quantité de pétrole réellement produite, des effets secondaires de type perturbations politiques et manque de nourriture et d’eau. Du fait des nombreuses interactions simultanées, arriver à faire cette prise en compte avec le moindre degré de précision serait très difficile à réaliser. Cependant, les analyses du type de celles effectuées dans Limits to Growth suggèrent que cet ajustement à la baisse risque fort d’être très important.

Du fait de ces problèmes, il me semble que nous devons faire preuve de prudence en déclarant : « Même quand l’approvisionnement mondial de pétrole commencera à baisser, il en restera environ la moitié », ou bien « Il y aura toujours un approvisionnement en pétrole disponible, il sera juste plus cher. » Ce que fournit la courbe de Hubbert, c’est une borne supérieure de la quantité maximale qui sera disponible. Mais elle ne nous dit pas grand-chose sur la quantité de pétrole qui sera réellement disponible dans les conditions du monde réel juste après le pic. Cette quantité maximale pourrait bien être un peu plus faible que ce qu’indique la courbe de Hubbert.