Par Gail Tverberg
20 juin 2016
Les ressources mondiales en charbon sont clairement énormes. Comment est-il possible que la Chine, ou que le monde dans son ensemble, puissent atteindre un pic du charbon à plus ou moins brève échéance ?
Si l’on regarde la production et la consommation de charbon de la Chine telles que les a publiées BP dans son Statistical Review of World Energy en 2016, voici ce que l’on trouve :
La figure 2 montre que contrairement au charbon, la consommation des autres combustibles suit la même tendance à l’augmentation que dans les années passées. Aucune de ces augmentations ne suffit à compenser la baisse de la consommation de charbon. Dans cette figure, les « renouvelables » (en fait, les « autres renouvelables ») incluent l’éolien, le solaire, la géothermie et la production d’électricité par combustion du bois. Cette catégorie est encore ridiculement petite par rapport au charbon.
Pourquoi un pays déciderait-il de ralentir de manière sélective la croissance du combustible sans lequel il n’aurait jamais pu connaître son « boom » actuel ? En général, le charbon est moins cher que les autres combustibles. Le fait que la Chine dispose en grandes quantités d’un charbon peu coûteux, et qu’elle puisse le combiner à une main-d’œuvre bon marché, lui a permis de fabriquer des biens à très faible coût, et d’être donc très compétitive sur les marchés mondiaux.
À mon avis, la Chine n’a pas vraiment eu le choix de réduire sa production de charbon – les forces du marché allaient dans le sens d’une baisse de la production de biens, et cela s’est traduit par une baisse des prix de nombreuses matières premières, y compris le charbon, le pétrole, le gaz naturel et de nombreux métaux.
La Chine est à peu près autosuffisante pour sa production de charbon, mais elle est une importatrice majeure de gaz naturel et de pétrole. La baisse des prix du pétrole et du gaz naturel a rendu plus abordables ces deux combustibles lorsqu’ils sont importés ; l’importation de ces produits a donc été encouragée. Dans le même temps, la baisse des prix du charbon a rendu bon nombre de mines de charbon chinoises non rentables, ce qui a conduit à imposer une réduction de la production de charbon. Ainsi, on constate un résultat assez bizarre : la consommation du produit énergétique le moins cher (le charbon) est celle qui baisse en premier. Nous reviendrons sur ce point un peu plus loin.
Avec le schéma de consommation d’énergie que montre la figure 2, la croissance de la consommation totale d’énergie de la Chine tous combustibles confondus a ralenti, comme le montre la figure 3.
Les hausses de consommation totale d’énergie que donne la figure 3 sont les suivantes : 8,1% en 2011 ; 4,0% en 2012 ; 3,9% en 2013 ; 2,3% en 2014 ; 1,5% en 2015.
À moins que l’économie chinoise ne se transforme radicalement en une économie de services, il faut s’attendre à ce que le taux de croissance du PIB de la Chine diminue lui aussi assez rapidement, et, sans doute, à ce qu’il reste 1% ou 2% au-dessus de la croissance de la consommation d’énergie tous combustibles confondus. Un tel lien semble suggérer que le taux de croissance du PIB de la Chine pour 2014 et 2015 soit surestimé.
La plupart d’entre nous ne fait pas attention aux prix du charbon dans le monde, mais d’après les données de BP, les prix du charbon ont connu une évolution similaire à ceux du pétrole et du gaz naturel.
Les différents prix du pétrole ont tendance à être bien plus proches les uns des autres que ceux du charbon et du gaz naturel, car le marché du pétrole est bien plus mondial que celui des autres combustibles fossiles. Le charbon et le gaz naturel ont des coûts de transport relativement élevés, ce qui rend le commerce international de ces produits plus coûteux.
Le seul endroit au monde où les prix du gaz naturel n’ont pas suivi la même évolution que ceux du pétrole et du charbon, ce sont les États-Unis. Après 2008, les producteurs de gaz de schiste y ont extrait plus de gaz naturel à destination du marché national que ce que celui-ci pouvait facilement absorber. Cette surproduction, conjuguée à un manque de capacités d’exportation, a conduit à une baisse des prix du gaz aux États-Unis. Puis, à partir de 2014–2015, les prix ont baissé partout dans le monde, aussi bien pour le pétrole, le charbon que pour le gaz naturel.
La raison pour laquelle les prix des combustibles fossiles ont tendance à connaître les mêmes évolutions en même temps est que les prix des matières premières reflètent la « demande » au moment où ils sont fixés. Ce sont à la fois les niveaux de salaire et d’endettement du moment qui déterminent cette demande. Lorsque les niveaux de salaire sont élevés et que le niveau d’endettement augmente, les consommateurs peuvent s’acheter plus de biens, comme des voitures et des logements neufs. Construire ces nouvelles voitures et de nouveaux bâtiments requiert des matériaux de très nombreuses sortes, ce qui pousse les prix de toutes sortes de matières premières à augmenter ensemble pour encourager leur production.
La hausse des prix des combustibles fossiles dépend d’une demande croissante. Les salaires, eux, n’augmentent pas assez vite pour permettre aux prix des combustibles fossiles d’atteindre les niveaux que montrent les figures 4, 5 et 6, ce qui signifie que le monde a dû avoir recours à une hausse de la dette pour combler la différence. Malheureusement, la croissance de la dette fait l’objet de rendements décroissants. On peut par exemple constater les conséquences néfastes que la hausse du niveau d’endettement du Japon a eues sur la croissance de son PIB.
S’endetter encore plus, c’est comme utiliser un élastique pour augmenter la production mondiale de biens et de services. Cela fonctionne pendant un certain temps, tant que l’économie, qui est relativement élastique, répond à la dette qui croît. Cependant, il y a un moment où le surcroît de dette qu’il faut ajouter devient trop gros comparé au bénéfice qu’il confère. Le système tend alors à « se rétracter », et les prix de nombreux matières premières chutent en même temps. Cela semble être ce qui s’est effectivement produit à la fin de l’année 2008, et qui s’est à nouveau produit récemment. Le défi est de rétablir une croissance économique mondiale, car c’est par une croissance économique mondiale vraiment robuste que les prix des matières premières pourront à nouveau augmenter et atteindre des niveaux élevés.
En temps « normal », une légère hausse de la demande provoque une augmentation de la production de combustibles fossiles de plusieurs points de pourcentage – en général, cela suffit à faire face à la demande croissante. Les prix peuvent alors reculer, et aucune hausse à long terme des prix n’est à craindre. C’est cette situation qui s’est produite de nombreuses années durant, jusqu’en 1970.
En gros à partir de 1970, on a constaté qu’augmenter les niveaux de production de produits énergétiques sans faire augmenter les niveaux de prix de manière permanente devenait plus difficile. La production pétrolière américaine a commencé à baisser en 1970. Cela a déclenché une crise énergétique qui a continué à couver pendant 45 ans. Diverses solutions à notre problème de pénurie d’énergie ont été tentées, comme ajouter du nucléaire, forer du pétrole dans de nouvelles régions comme en mer du Nord, et construire des voitures moins gourmandes en carburant. On a aussi tenté de baisser les taux d’intérêt, pour rendre plus abordables l’achat d’usines, de voitures et de logements coûteux.
Vers la fin des années 1990, même ces solutions de contournement n’apportaient plus les bénéfices nécessaires. On a alors tenté autre chose : encourager le développement du commerce international. Cela devait permettre au monde d’accéder à des sources d’énergie inexploitées, y compris en charbon, situées dans des régions moins développées du monde, comme la Chine et l’Inde.
Pendant un temps, cela a aussi marché. Mais l’épuisement des ressources a eu tendance à continuer d’augmenter le coût d’extraction de l’énergie. En outre, la concurrence avec la main-d’œuvre à bas coût d’Inde, de Chine et d’autres pays avait tendance à tirer vers le bas les salaires des travailleurs les moins formés des pays développés. Des prix plus élevés n’allaient pas, bien sûr, avec les salaires déprimés de certains de ces travailleurs.
Une façon de « régler » le problème a consisté à augmenter la dette et à la rendre moins chère, pour permettre aux consommateurs d’acheter des logements et des voitures malgré leurs plus faibles revenus. Cette solution d’une dette accrue a cessé de fonctionner en 2008, lorsque le remboursement des dettes « subprime » défaillit, et les prix des combustibles fossiles se sont alors tous effondrés.
Pour « redynamiser » l’économie mondiale, les dirigeants mondiaux ont commencé à essayer d’ajouter encore plus de dettes. Ils l’ont fait en fixant des taux d’intérêt à des niveaux encore plus bas, à partir de la fin 2008, et par le recours à un programme appelé « assouplissement quantitatif » (Quantitative Easing). Celui-ci a réussi à faire remonter les prix des matières premières, bien que son effet ait semblé se réduire avec le temps. Pendant cette période, l’énorme croissance de la dette chinoise a elle aussi été d’un grand secours.
Mi-2014, les prix de l’énergie ont de nouveau baissé, lorsque les États-Unis ont abandonné leur programme d’assouplissement quantitatif, et que la Chine (sous une nouvelle direction) a décidé de ne plus faire croître sa dette aussi rapidement. Le résultat en fut une seconde forte chute des prix des matières premières, sans que le coût de production de ces combustibles fossiles ait connu une baisse qui lui corresponde. Pour les producteurs d’énergie, ce changement de politique se révéla dévastateur.
La Chine dispose de beaucoup de ressources en charbon, mais toutes ces ressources ne peuvent pas être produites à bon marché. Généralement, les ressources les moins chères ont tendance à celles que l’on produit en premier. Lorsque les prix sont élevés, on pourrait croire qu’exploiter des filons plus profonds et plus fins en plus de ceux qui sont les plus facile et les moins chers à exploiter est devenu possible, mais cela n’est jamais sûr. À tout moment, les prix peuvent partir à la baisse et déclencher un signal d’arrêt pour l’extraction.
Lorsque les prix du charbon baissent, il est probable que les producteurs se retrouvent face à des problèmes d’endettement, car les montants empruntés pour les activités charbonnières deviennent exigibles. La raison pour laquelle cela se produit est que les prêts contractés au moment où les prix du charbon étaient élevés reflètent fréquemment une vision optimiste de ce qu’il est possible d’extraire. Une fois les prix baissent, les opérateurs découvrent qu’ils se sont engagés à rembourser plus pour leurs prêts que ce que leurs mines de charbon peuvent réellement produire. C’est ce qui semble se produire maintenant.
Si l’on regarde le graphique qui montre la consommation mondiale de produits énergétiques par combustible, on constate qu’au niveau mondial, la production de charbon a connu une baisse tout à fait similaire à celle de la production de charbon chinoise.
Il existe de nombreuses grandes régions du monde qui semblent avoir franchi leur pic de production de charbon, y compris les États-Unis, la zone euro, l’ancienne Union soviétique et le Canada. On notera que la production de charbon des États-Unis a atteint un maximum en 1998. Cela s’est ajouté aux pressions exercées en faveur de la mondialisation.
Si l’on exclut les régions indiquées dans la figure 9, et que l’on considère le reste du monde, appelé « parties du monde n’ayant pas atteint leur pic » (Non-Peaking Areas), on constate que la production actuelle de charbon en Chine dépasse de loin celle de ce reste du monde.
La figure 10 indique que même la partie du monde qui n’a pas atteint son pic montre un ralentissement de sa production en 2015, qui est sans doute lié aux bas prix actuels.
Un autre problème provient du fait que la production de charbon en Inde s’éloigne de plus en plus de sa consommation de charbon. L’Inde devient donc massivement importatrice de charbon. En 2015, la consommation de charbon de l’Inde a légèrement dépassé celle des États-Unis, ce qui fait d’elle le second plus gros consommateur de charbon après la Chine, et le plus gros importateur de charbon au monde. Si la Chine décidait d’augmenter sa consommation de charbon en ayant recours à des importations, elle serait obligée de faire concurrence à l’Inde pour ses approvisionnements.
L’espoir qu’entretient l’Inde en une croissance économique soutenue est également lié au charbon, même s’il ne produit pas assez par lui-même. La consommation indienne de gaz naturel baisse, car ses propres approvisionnements nationaux en gaz naturel déclinent, et qu’importer du gaz naturel coûte cher.
Le charbon coûte plus cher lorsqu’il est importé que lorsqu’il est produit localement, à cause des coûts de transport que cela implique. Par conséquent, augmenter la part des importations dans le charbon que l’Inde consomme finira par rendre les produits indiens moins compétitifs en termes de prix. L’Inde a commencé par avoir des niveaux de salaire moindres que ceux de la Chine ; peut-être pourra-t-elle temporairement résister à un prix moyen du charbon un peu plus élevé. Cependant, elle finira par atteindre une limite à la part de charbon importé dans son mix électrique, avant que ses travailleurs ne puissent plus se permettre d’acheter les produits qu’elle fabrique avec ce charbon plus coûteux.
Comme on l’a vu précédemment, l’Inde et la Chine seront en concurrence directe sur les mêmes produits d’exportation si toutes deux prévoient de croître en consommant du charbon importé. On peut modifier la figure 9 pour voir ce que cela donnerait si les pays qui ont besoin d’importer du charbon, à savoir « Chine + Inde », devenaient importateurs de charbon, en les séparant du groupe des pays qui n’ont pas encore atteint leur pic de charbon.
Cette comparaison montre un écart encore plus énorme entre les régions qui ont atteint leur pic et la production actuelle des régions qui pourraient augmenter leur production.
La production future de charbon est clairement une fonction de la quantité de ressources disponibles et des prix futurs. Il est assez évident que s’il n’y a pas de ressource disponible, aucune ressource ne peut être extraite.
Ce que la plupart des chercheurs n’ont pas compris, c’est que les prix futurs ont eux aussi de l’importance. Il ne faut pas nous attendre à ce que les prix augmentent indéfiniment, parce que les travailleurs faiblement rémunérés, en particulier, se retrouvent dans une situation difficile. L’achat d’un logement ou d’une voiture leur est de plus en plus inabordable, sauf à ce que l’État fasse baisser les taux d’intérêt jusqu’à des niveaux jamais atteints. Précisément parce que ce rôle des prix est si mal compris, la plupart des modèles actuels ne prennent pas en compte la possibilité que les niveaux de prix réduisent la production bien plus tôt que ce que la quantité de ressources présente dans le sous-sol pourrait laisser penser.
La confusion vient en partie de la manière dont les économistes voient les prix, l’innovation et la substitution. Les économistes semblent intimement convaincus que les prix augmenteront indéfiniment pour résoudre le problème des pénuries à venir, mais leurs modèles ne semblent prendre en compte ni le rôle majeur que l’énergie joue dans l’économie, ni le manque de substituts disponibles. Il ne fait pourtant pas de doute que rien dans l’histoire des prix de l’énergie ne permet de soutenir leur affirmation.
Si je ne me trompe pas en soutenant que les prix ne peuvent pas augmenter indéfiniment, alors il est probable que les trois types de combustibles fossiles vont atteindre un maximum, plus ou moins en même temps, lorsque leurs prix ne pourront plus rester à un niveau assez haut pour permettre leur extraction. La pente descendante après le pic dépendra de résultats financiers, comme par exemple la faillite d’exploitants de charbon, et non de l’épuisement des réserves ou des ressources du sous-sol. On peut s’attendre à ce que cette dynamique produise un coup de frein beaucoup plus sévère que celui que suggère la courbe de Hubbert.
Les analystes qui considèrent la possibilité que les prix puissent ne jamais rester très longtemps à un niveau très élevé réalisent très vite à quel point ce scénario à bas prix serait une catastrophe. Voilà pourquoi nous entendons peu parler d’une telle possibilité.
Il semble probable que la production de charbon de la Chine ait « atteint un pic », et qu’elle ait entamé son déclin. C’est d’autant plus probable dans l’hypothèse où les prix de l’énergie futurs resteraient faibles, ou ne remonteraient jamais durablement à un niveau très élevé.
Si je ne me trompe pas au sujet des prix de l’énergie qui ne vont pas suffisamment augmenter à l’avenir, alors tous les combustibles fossiles pourraient bien atteindre, dans un avenir pas très lointain, un maximum de production plus ou moins en même temps. Si tel est le cas, des défauts de dette généralisés semblent assez probables.
Si l’on atteint effectivement le pic de charbon avant même d’atteindre le pic de pétrole, cela va déconcerter tous ceux qui croient que le modèle de Hubbert est la seule manière de voir le monde. Peut-être attendons-nous trop de ce modèle ; peut-être avons-nous besoin d’un modèle qui tienne compte à la fois des prix et de la manière dont les prix dépendent des salaires et de l’endettement croissant. La baisse des prix de l’énergie est une nouvelle particulièrement mauvaise pour le système : elle semble conduire à des défauts de dette.