Par Gail Tverberg
30 mai 2018
(Cet article est un rapide aperçu que j’ai récemment écrit pour Transform, un magazine destiné aux professionnels de l’environnement et du développement durable ; j’y ai ajouté six questions/réponses connexes.)
À lire la plupart des articles qui sont actuellement publiés sur l’énergie, il est facile de croire que notre problème énergétique est un problème de qualité : certaines énergies polluent ; d’autres, espère-t-on, vont moins polluer.
Mais il y a un autre problème qui est entièrement passé sous silence. C’est le fait que de disposer d’assez d’énergie est tout aussi crucial. Cela fait de nombreuses décennies que la consommation mondiale totale d’énergie connaît une croissance rapide.
En effet, si l’on exclut deux périodes de stagnation, la quantité d’énergie consommée en moyenne par chacun d’entre nous (que l’on appelle aussi « consommation d’énergie par personne ») n’a cessé d’augmenter.
Il y a une bonne raison pour que la quantité d’énergie consommée par personne ait augmenté avec les années. Chaque être humain a besoin de produits énergétiques, tout comme chaque entreprise. L’énergie est ce qui permet de cuire nos aliments et de chauffer nos logements. Les produits énergétiques permettent aux entreprises de fabriquer, puis de transporter des biens. Sans ces produits énergétiques de toutes sortes, les travailleurs seraient moins productifs dans leur travail. L’économie mondiale aurait alors beaucoup de mal à croître.
Lorsque la consommation d’énergie par personne augmente, les travailleurs deviennent facilement plus productifs, parce que l’économie leur fabrique plus d’outils (au sens large), ce qui rend leur travail plus facile. Fabriquer des téléphones portables et des ordinateurs exige de l’énergie. Même pour construire des biens comme des routes, des pipelines ou des lignes électriques à haute tension, il faut utiliser de l’énergie.
Lorsque la consommation d’énergie cesse de croître, comme par exemple durant la période 1920–1940, les conséquences sur l’économie mondiale sont négatives. Ainsi, la Grande Dépression des années 1930 s’est produite au cours de la période 1920–1940. En fait, les problèmes ont même commencé bien plus tôt. La production de charbon au Royaume-Uni a commencé à décroître en 1914, l’année du début de la Première Guerre mondiale. Et ce n’est qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire juste après la période 1920–1940, que la Grande Dépression a pris fin.
Au cours de la période 1920–1940, nombre de gens, en particulier les agriculteurs, n’arrivaient pas à gagner assez pour avoir de quoi vivre. La situation d’alors n’était pas très différente de celle d’aujourd’hui, où de nombreux jeunes n’arrivent pas à gagner assez d’argent pour pouvoir vivre de leurs revenus. Aussi étrange que cela puisse paraître, ce genre de disparités de revenus est le signe d’une quantité insuffisante d’énergie par personne, parce que les emplois bien rémunérés exigent de consommer de l’énergie.
À bien des égards, la situation de la période de stagnation entre 1980 et 2000 n’a pas été aussi mauvaise que celle de la période 1920–1940, parce que la croissance insuffisante de la consommation d’énergie était alors quelque chose de planifié. Les pays occidentaux, États-Unis compris, se sont mis à utiliser des voitures plus petites et plus efficaces en énergie afin de réduire la quantité de carburant consommée. On a arrêté les centrales électriques qui brûlaient du fioul et on les a remplacées par des centrales électriques d’autres types, par exemple les centrales nucléaires. Les systèmes de chauffage des logements et des bâtiments d’entreprises ont été remplacés par des systèmes plus efficaces qui ne brûlaient pas de pétrole.
La réduction planifiée de la consommation de pétrole a eu comme conséquence indirecte de faire baisser les prix du pétrole. À leur tour, les faibles prix du pétrole ont eu des conséquences néfastes sur tous les pays exportateurs de pétrole, l’Union Soviétique en a particulièrement souffert. Son gouvernement central s’est effondré, au moins en partie à cause de la baisse de ses revenus. Les autres républiques membres de l’Union soviétique ont tenu le choc, en fonctionnant plus ou moins comme précédemment. La Russie et l’Ukraine ont fortement réduit leur niveau d’industrialisation, ce qui a réduit leur utilisation de produits énergétiques. La taille de leur population a eu tendance à se réduire dans la mesure où les gens trouvaient de meilleures opportunités de travail ailleurs.
Finalement, au début des années 2000, les prix du pétrole se sont mis à remonter. La Russie a pu redevenir un exportateur de pétrole majeur, mais l’Ukraine, ainsi que d’autres zones industrielles, ne se sont pas remises de leur effondrement. Les pays liés à l’Union Soviétique (y compris les pays d’Europe de l’Est, la Corée du Nord et Cuba) se sont retrouvés en décrochage permanent vis-à-vis des États-Unis et de l’Europe occidentale.
Plus récemment (2013–2017), l’économie mondiale semble avoir de nouveau atteint une période de stagnation de sa consommation d’énergie par personne.
En fait, à bien des égards, cette nouvelle stagnation ressemble à celle de la période 1920–1940. Les disparités de revenus accrues sont à nouveau devenues un problème. Les excès d’approvisionnement en pétrole deviennent à nouveau un problème, parce que ceux qui se trouvent en bas de la hiérarchie des salaires ne peuvent pas se permettre d’acheter les biens qui consomment du pétrole, comme par exemple des deux-roues motorisés. Les jeunes connaissent un niveau de vie inférieur à celui de leurs parents. Ils ne peuvent pas se permettre d’acheter un logement et de subvenir aux besoins d’une famille. Les États montrent de moins en moins d’intérêt à coopérer avec d’autres États.
Pourquoi la consommation mondiale d’énergie par habitant a-t-elle stagné, ou plus exactement baissé légèrement, après 2013 ? La réponse semble être les rendements décroissants auxquels la production de charbon a fait face. La notion de rendements décroissants de la production de charbon se rapporte au fait que si, au départ, le charbon est peu coûteux à extraire, le coût de son extraction croît une fois que les filons les plus épais et les plus proches de la surface ont été entièrement exploités.
Un graphe de la production énergétique de la Chine met en évidence le fait que la production de charbon de la Chine a d’abord augmenté alors que son faible coût rendait son utilisation avantageuse, puis qu’elle a baissé du fait de rendements décroissants. La Chine a connu une forte croissance de sa production de charbon après son intégration à l’Organisation mondiale du commerce en 2001.
À mesure que l’extraction du charbon progressait, la Chine s’est retrouvée avec de nombreuses mines de charbon dont le coût de production augmentait. Les prix du charbon n’ont pas suivi la hausse du coût de production du charbon, ce qui explique que la Chine ait fermé un grand nombre de mines non rentables, en gros à partir de 2012.
La principale raison qui explique la stagnation de la consommation d’énergie mondiale par personne à partir de 2013, c’est la chute de la production de charbon en Chine après 2013. La production de charbon de nombreux autres pays baisse aussi à peu près au même moment, à mesure qu’augmentent les coûts de production et que les consommateurs sont de plus en plus conscients des problèmes environnementaux que pose le charbon. Les autres sources d’énergie n’ont pas assez augmenté pour compenser cette baisse et maintenir à la hausse la consommation totale d’énergie par personne. Dans le graphe de la figure 4, on peut voir que la production éolienne et solaire de la Chine n’a pas augmenté assez pour compenser la production de charbon qu’elle a perdue. (L’énergie éolienne et l’énergie solaire font partie de la catégorie Autres renouv.) On retrouve la même situation ailleurs.
Quel rôle jouent l’éolien et le solaire dans le maintien de l’approvisionnement énergétique mondial ? Dans les faits, très peu. Alors qu’on a dépensé beaucoup d’argent pour fabriquer éoliennes et panneaux solaires, l’éolien et le solaire ne représentaient qu’environ 1% de l’approvisionnement mondial en énergie primaire en 2015, selon l’Agence internationale de l’énergie.
L’un des problèmes majeurs est que l’éolien et le solaire sont difficiles à développer à la bonne échelle. Plus on ajoute d’éolien et de solaire aux réseaux électriques, plus on a besoin de systèmes de rechange (comme des batteries et des lignes à haute tension sur de longues distances) pour faire face à leur intermittence. Les prix proposés aux fournisseurs d’électricité éolienne et solaire donnent une impression faussement basse de leur véritable coût, sauf à inclure dans le coût des projets les nombreuses heures de stockage nécessaires pour compenser les effets de l’intermittence.
La clé d’une consommation d’énergie croissante semble être la baisse des coûts des services énergétiques, gains d’efficacité inclus. Par exemple, le coût de livraison, hors inflation, d’un colis d’une certaine taille sur une certaine distance doit baisser. De même, le coût du chauffage d’un logement d’une taille donnée doit baisser. Les États doivent pouvoir taxer les producteurs de produits énergétiques plutôt que de distribuer des subventions.
La mondialisation exige des approvisionnements énergétiques toujours croissants pour pouvoir répondre aux besoins d’une population mondiale croissante. Pour maintenir la mondialisation, il nous faut pouvoir disposer d’un approvisionnement croissant en produits énergétiques qui soient très bon marché et déployables à la bonne échelle. Malheureusement, éolien et solaire ne semblent pas pouvoir répondre à nos besoins. Extraire des combustibles fossiles n’est désormais plus assez bon marché, car nous avons commencé par extraire les ressources les moins chères à extraire. Notre problème aujourd’hui est que nous n’avons pas été en mesure de trouver des substituts à la fois suffisamment peu chers, non polluants et déployables à la bonne échelle.
Nous ne pouvons pas faire monter le prix du pétrole et des autres combustibles à un niveau suffisamment haut pendant suffisamment longtemps pour que cela encourage la production des combustibles fossiles qui semblent être présents dans le sol. Au lieu de cela, ce qui se passe, c’est que les prix de l’énergie atteignent une limite d’accessibilité financière, et chutent.
La récente grève au Brésil déclenchée par les prix élevés du gazole montre le type de problèmes qui peuvent apparaître. Les prix du pétrole sont encore bien en dessous de ce que de nombreux pays exportateurs de pétrole (comme la Norvège, le Venezuela et l’Irak) ont vraiment besoin une fois que l’on inclut les taxes qu’ils doivent prélever.
Bien sûr, le problème de ne pas pouvoir tirer des prix suffisamment élevés du pétrole décourage également l’utilisation d’alternatives aux combustibles fossiles, comme les énergies éoliennes et solaires.
On pourrait facilement s’imaginer que l’éolien et le solaire apporteront des progrès énormes par rapport au fait de brûler directement des combustibles fossiles. Mais presque toutes les analyses qui arrivent à cette conclusion négligent les problèmes qui apparaissent quand on introduit de l’intermittence dans le réseau électrique. Les premières analyses faisaient l’hypothèse qu’avec un développement suffisamment massif, l’intermittence constatée à un endroit aurait tendance à compenser l’intermittence constatée à un autre endroit. On espérait aussi que la consommation d’électricité pourrait être décalée à différents moments de la journée.
Plusieurs analyses récentes examinent de plus près ces hypothèses. Jean-Marc Jancovici a montré que si l’on ajoute des quantités suffisantes de stockage pour l’éolien et le solaire, on se retrouve à devoir consommer un peu plus de ressources physiques pour produire de l’électricité éolienne et solaire que pour produire l’électricité nucléaire commandable qui est utilisée dans France. Les deux ont de faibles coûts d’exploitation à long terme. On pourrait donc s’attendre à ce que le coût réel de l’électricité éolienne et solaire soit nettement supérieur à celui de l’électricité nucléaire française.
Roger Andrews, qui écrit sur le site Energy Matters d’Euan Mearns, montre que certains prix d’enchère récents pour l’électricité éolienne et l’électricité solaire semblent être loin en-deçà de leurs véritables coûts dès lors que l’on prend en compte des hypothèses raisonnables minimales sur les coûts.
Concernant la « réponse à la demande » comme solution à l’intermittence, Roger Andrews montre à quel point faire varier heure par heure les prix pour les consommateurs a une faible incidence sur les courbes de consommation. Il semble que, quel que soit le coût de l’électricité à ce moment-là, les gens tiennent absolument à dîner quand ils rentrent à la maison le soir.
L’approvisionnement interruptible est un autre moyen de réduire la demande. Ce lien décrit certains des problèmes que la Californie a rencontrés quand elle a essayé de mettre en place à grande échelle un approvisionnement interruptible.
Les données historiques de la figure 2 n’indiquent pas vraiment que c’est possible. À chaque fois qu’il y a ne serait-ce qu’une petite baisse de la consommation d’énergie par personne, cela semble avoir des conséquences négatives. Sur la figure 3, même la légère baisse de la consommation d’énergie par personne en 2008 et 2009 a entraîné une grave récession dans de nombreux pays du monde.
Les gens qui parlent de faire avec moins d’énergie n’ont pas réfléchi aux ramifications probables que cela aura. Avec moins d’énergie par personne, on aurait moins d’emplois bien rémunérés, car un certain nombre d’emplois, comme ceux consistant à construire des choses, disparaîtraient. L’économie se contracterait en raison du moindre nombre d’emplois, provoquant une récession bien plus grave que la grande récession de 2008–2009.
Nous savons que dans les effondrements passés, l’un des gros problèmes qui se sont posés était l’incapacité des gouvernements à collecter assez d’impôts. Il est probable que nous serions encore confrontés au même problème s’il y avait moins de gens avec des revenus élevés. Aux États-Unis, l’essentiel des recettes du gouvernement fédéral provient des individus (sous forme d’impôts sur le revenu ou de prélèvements sociaux) plutôt que des entreprises.
La dernière année que montre la figure 7 est 2017, c’est-à-dire avant la récente baisse d’impôts pour les entreprises. Cette réforme aura tendance à déplacer encore un peu plus le fardeau des impôts fédéraux vers les salaires.
Ici, il y a deux problèmes en jeu. Si nous faisions réellement de grosses économies de combustibles, comparables à celles que nous avons faites au début des années 1980, les prix du pétrole et des autres énergies chuteraient de manière spectaculaire. Cela pousserait les producteurs de pétrole, de charbon et de gaz du monde entier à la faillite. Les gouvernements des pays exportateurs de pétrole, comme le Venezuela et l’Arabie Saoudite, auraient des difficultés à percevoir assez d’impôts pour financer leurs dépenses. Ils s’effondreraient probablement par manque de recettes fiscales, ce qui réduirait considérablement l’approvisionnement.
Un deuxième problème est que, dans le passé, accroître l’efficacité énergétique, c’est précisément ce que nous avons fait. En fait, l’efficacité est ce qui a tendance à rendre les combustibles plus abordables. Comme on l’a vu dans cet article, la consommation d’énergie peut augmenter quand le coût des services énergétiques diminue.
Certaines des réformes apportées ces dernières années vont dans le sens d’une moindre efficacité énergétique. Par exemple, l’article récent intitulé « Le plus grand changement jamais réalisé sur les marchés pétroliers pourrait entraîner une hausse des prix » (Biggest Ever Change in Oil Markets Could Send Prices Higher) aborde une nouvelle réglementation exigeant l’utilisation de fioul à faible teneur en soufre pour les navires. Cela réduirait considérablement la quantité de soufre libérée dans l’atmosphère sous forme d’émissions. Ce n’est pas un changement qui va vers une meilleure efficacité ; c’est un changement qui va vers un coût de production accru, ce qui est le contraire d’une meilleure efficacité. Les régulateurs prévoient d’utiliser une partie de notre approvisionnement énergétique pour éliminer le soufre en trop avant que le pétrole ne soit vendu.
Aussi indésirable que puisse être la pollution par le soufre, le problème que cela pose est le caractère abordable et le coût accru. Les salaires ne sont pas assez élevés pour que les travailleurs du monde entier puissent se permettre le coût accru de la nourriture que cette nouvelle réglementation implique (parce que la production alimentaire et le transport utilisent du pétrole). Ainsi, le résultat probable de cette réglementation est de pousser le monde vers la récession. Au-delà d’un certain seuil d’accessibilité, il est difficile de faire grimper encore un peu plus les prix du pétrole, car les salaires ne suivent pas.
Regarder en détail quelques graphes montrant les tendances récentes de la consommation d’énergie pour quelques pays aidera peut-être à expliquer ce qui se passe quand la consommation globale d’énergie par personne ne croît plus.
Joseph Tainter, dans L’effondrement des sociétés complexes, explique que les économies ont souvent recours à la « complexité » pour contourner les problèmes qu’elles rencontrent quand elles s’approchent de limites aux ressources. Dans la version particulière de la complexité que notre monde a essayée, la production de biens a été de plus en plus mondialisée. Les travailleurs ont soudainement vu leur salaire entrer en compétition avec celui de travailleurs vivant dans des pays avec des salaires beaucoup plus faibles. Les disparités de revenus sont alors devenues un gros problème.
À mesure que les travailleurs sont de plus en plus pauvres, ils peuvent se permettre d’acheter de moins en moins de biens et de services. On peut le voir dans la consommation d’énergie par personne. La figure 9 montre la consommation d’énergie par personne pour trois pays européens qui font actuellement face à des difficultés. Dans les trois cas, la consommation d’énergie par personne baisse depuis plusieurs années. Quand le secteur de la fabrication a été délocalisé en Asie, les travailleurs se sont retrouvés avec un revenu plus faible, ce qui leur a permis d’acheter moins de biens fabriqués avec des produits énergétiques. À cela, il faut ajouter que les produits européens étaient moins compétitifs sur le marché mondial, du fait de la nouvelle concurrence des marchés à bas coûts.
Les pays qui ont réussi à croître plus rapidement en réponse à la mondialisation (comme ceux de la figure 10) doivent maintenir leur schéma de croissance, faute de quoi ils vont commencer à rencontrer des problèmes financiers parce que leur croissance antérieure était généralement financée par l’endettement. Sans une croissance suffisamment vigoureuse, ils auront du mal à rembourser leur dette avec intérêts.
La consommation d’énergie par personne du Brésil a récemment baissé, et le pays connaît de graves problèmes. L’Argentine est un pays dont la consommation d’énergie a cessé de croître. La consommation d’énergie en Chine a également vu sa croissance ralentir ; on lit régulièrement des articles signalant ses problèmes d’endettement.
L’un des problèmes que rencontrent ces pays en croissance rapide est la fluctuation des devises. Tant que leur pays semble connaître une croissance rapide, le niveau de leur devise par rapport au dollar américain ou à l’euro peut rester élevé. Mais dès lors que ces pays rencontrent des difficultés, comme le faible prix de leurs principales exportations ou une croissance économique ralentie, leur devise peut chuter par rapport aux grandes devises.
Il y a trois raisons pour lesquelles une baisse de leur devise par rapport aux grandes devises pose problème à ces pays en croissance rapide. En premier lieu, les importations deviennent chères. Ensuite, toute dette libellée dans une monnaie étrangère (comme le dollar américain) devient plus difficile à rembourser. Cela est dû au fait que les pays à croissance rapide ne trouvent souvent pas assez de crédits disponibles localement : ils sont donc contraints d’emprunter à l’étranger. Un troisième problème provoqué par le ralentissement de la croissance et la baisse de la valeur relative de la devise est qu’attirer de nouveaux investissements dans le pays devient plus difficile. À la place, les investisseurs extérieurs peuvent préférer de quitter le pays, et chercher ailleurs, dans un pays différent, à croissance plus rapide, de nouvelles opportunités de croissance.
La Turquie et l’Argentine semblent rencontrer des problèmes du fait de la baisse de valeur de leur monnaie par rapport au dollar américain.
Un autre problème qui rend impraticable le fait d’avoir une consommation mondiale d’énergie par personne qui stagne à l’échelle mondiale, ce sont les « rendements décroissants » de plus en plus présents à mesure que les ressources s’épuisent. Par exemple, il faut creuser de plus en plus profondément des puits pour trouver de l’eau douce ; les minerais métalliques sont de moins en moins riches, et les stériles qu’il faut jeter de plus en plus importants ; les puits de pétrole doivent être creusés dans des endroits de moins en moins faciles d’accès. Ces problèmes ne sont pas sans solution, mais cela requiert une consommation d’énergie accrue, et donc une part accrue de l’énergie disponible pour le monde. Tous ces usages de produits énergétiques laissent donc moins d’énergie pour le reste de l’économie. Donc si on déduit le supplément d’énergie qu’il faut consommer pour compenser les rendements décroissants, ce qui, à première vue, semble être une consommation mondiale d’énergie par personne qui stagne équivaut en fait à une consommation d’énergie par personne qui baisse.
La tâche de réduire les émissions de dioxyde de carbone est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît, car l’économie mondiale a besoin de consommer de l’énergie pour fonctionner.
La meilleure chose à mes yeux qu’un individu puisse faire est de réduire sa consommation de viande et des autres produits d’origine animale (poisson, fromage, lait, cuir). Pour compenser cette réduction, il faudra fortement augmenter la consommation de produits végétaux nourrissants (comme les pommes de terre, les betteraves, les carottes, les haricots, les patates douces, la racine de taro, les navets et le maïs). Il est sans doute possible d’en cultiver certains localement. L’utilisation de produits animaux par les êtres humains augmente les niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, pour une part à cause de la grande quantité d’aliments qu’il faut cultiver et transporter pour nourrir les animaux, et pour une autre part des émissions directes de gaz à effet de serre de certains animaux (y compris les bovins, les porcins, les buffles, les poulets, les moutons et les chèvres).
En fait, réduire les aliments fortement transformés de toutes sortes (en particulier les sucres, le sirop de maïs à haute teneur en fructose et les huiles) semble également utile. La culture, la transformation et le transport des cultures utilisées dans ces aliments fortement transformés contribuent tous aux émissions de CO2.
Notre problème est que nous avons grandi en étant attachés aux saveurs de ces aliments, et que nous avons fini par être convaincus qu’ils nous aidaient à grandir et devenir fort. Bien que ce soit le cas, ils nous créent aussi des problèmes à un âge plus avancé. Les légumes féculents ont joué un rôle majeur dans l’alimentation des personnes qui vivent longtemps. Nous devrions peut-être commencer à leur redonner, ainsi qu’à d’autres aliments moins transformés, un rôle plus important.