Pourquoi le modèle habituellement utilisé pour décrire l’approvisionnement énergétique futur ne fonctionne pas

Par Gail Tverberg
4 avril 2018

L’opinion la plus répandue au sujet de l’approvisionnement futur en pétrole, tout comme de celui en énergie, semble être étroitement liée à celle qu’expriment les partisans du pic pétrolier. L’approvisionnement futur en combustibles fossiles est supposé être déterminé par les ressources présentes dans le sol et par la technologie disponible pour les extraire. Les prix sont supposés monter à mesure que l’on épuise les combustibles fossiles, rendant accessible une technologie d’extraction plus coûteuse. Des substituts sont supposés devenir possibles avec la hausse des coûts.

Les gens qui ont le point de vue le plus optimiste au sujet de la quantité de ressources présentes dans le sol sont particulièrement préoccupés par le changement climatique. Ils semblent penser que c’est aux êtres humains de décider de la quantité de ressources énergétiques qu’ils utiliseront. On peut facilement choisir d’en réduire notre consommation si c’est ce que nous voulons.

Le problème que pose cette approche, c’est que l’économie mondiale est bien plus interconnectée que tout ce que la grande majorité des analystes ont jamais imaginé. Elle dépend aussi beaucoup plus d’un approvisionnement énergétique croissant que la plupart d’entre eux s’imaginent. Étonnamment, nous autres, humains, ne sommes pas vraiment ceux qui commandent : ce sont les lois de la physique qui finissent toujours par définir ce qui va se passer.

À mon avis, les avocats du pic pétrolier ne se trompaient pas quand ils affirmaient que l’approvisionnement en énergie finirait par devenir un problème. Là où ils se sont trompés, c’est en décrivant la manière avec laquelle il faut s’attendre que le problème survienne. La figure 1 résume les grandes différences entre mon point de vue et la vision standard du problème.

Figure 1 Les conclusions des chercheurs • Le problème concerne le pétrole • Le problème est celui de son épuisement • Les prix vont grimper • Éolien et solaire sont de bons substituts • Réduire notre consommation est aisé La véritable situation • Le problème concerne la totalité de l’énergie • L’énergie par personne doit croître • Les prix vont chuter • Éolien et solaire n’ont qu’une faible valeur • Une moindre consom- mation peut conduire à un effondrement

Figure 1. Diapositive de l’auteur.

Permettez-moi de détailler certains des éléments en jeu.

1. Modéliser le système est beaucoup plus difficile que cela en a l’air.

Prenons un modèle courant pour décrire la partie de la Terre où nous vivons, à savoir un plan de quartier :

Figure 2. Source : Edrawsoft.com

Si nous voulons développer le modèle pour couvrir le monde entier, il nous faut y ajouter une toute nouvelle dimension. En d’autres termes, il nous faut fabriquer un globe.

Le même problème se pose avec ce qui semble être des modèles économiques simples, comme celui de l’offre et de la demande :

Figure 3. Tiré de Wikipédia : Le prix P d’un produit est déterminé par un équilibre entre la production pour chaque prix (offre S) et les désirs de ceux qui ont le pouvoir d’achat à chaque prix (demande D). Le diagramme montre un changement positif de la demande de D1 à D2, entraînant une augmentation du prix (P) et de la quantité vendue (Q) du produit.

Figure 3. Tiré de Wikipédia : Le prix P d’un produit est déterminé par un équilibre entre la production pour chaque prix (offre S) et les désirs de ceux qui ont le pouvoir d’achat à chaque prix (demande D). Le diagramme montre un changement positif de la demande de D1 à D2, entraînant une augmentation du prix (P) et de la quantité vendue (Q) du produit.

Si la situation que l’on essaie de modéliser se situe loin des limites (ce peut être un épuisement, ou toute autre véritable limite), alors il est possible que ce modèle soit « suffisant ».

Mais si l’énergie est l’élément dont l’approvisionnement se trouve restreint à l’approche des limites, cela peut affecter à la fois la quantité et le prix. Le manque d’approvisionnement en énergie à un prix suffisamment bas peut réduire à la fois la quantité de biens produits et les salaires des travailleurs. Par exemple, les distributeurs de biens aux États-Unis peuvent choisir d’acheter des produits importés de Chine ou d’Inde pour contourner le problème du coût de production trop élevé (y compris les coûts énergétiques).

La concurrence qui en résulte avec les pays à bas salaires réduit les salaires de nombreux travailleurs, en particulier ceux qui ont un faible niveau de qualification et ceux qui viennent de terminer leurs études. Avec des salaires aussi bas, les travailleurs n’ont pas les moyens d’acheter autant de voitures, de deux-roues et des autres biens qui consomment des produits énergétiques. Le manque de demande provenant de ces travailleurs fait indirectement baisser les prix des diverses matières premières, y compris du pétrole. En fait, les prix peuvent chuter de manière prolongée en-dessous du coût de production. C’est ce qui s’est passé depuis 2014 pour de nombreux produits énergétiques, y compris le pétrole.

Le modèle des économistes est incorrect. Il n’inclut pas assez de dimensions. Les chercheurs qui travaillent sur le pic pétrolier n’ont pas compris que le modèle que les économistes ont construit est gravement incomplet. Ce modèle ne représente que des cas simples, éloignés des limites énergétiques. Il n’explique pas ce à quoi nous devrions nous attendre quand nous sommes proches des limites énergétiques.

2. Les modèles bidimensionnels simples peuvent fonctionner pour remplir certains objectifs, et ne pas fonctionner pour d’autres.

L’un des éléments qui a créé une certaine confusion chez les chercheurs du pic pétrolier est le fait que le modèle au cœur du livre Les limites à la croissance (The Limits to Growth en anglais) de 1972 semble donner une description chronologique assez juste du moment où l’on pourrait rencontrer des limites énergétiques. En gros, il indique que c’est à peu près en ce moment que les limites pourraient bien être atteintes.

Le modèle reflète une approche quantitative simple qui écarte un certain nombre de problèmes du genre comment rembourser avec intérêts la dette qui a été contractée si l’économie se contracte, ou comment évolueraient le paiement des pensions de retraite dans une économie qui se contracte. Le modèle repose sur l’hypothèse que nous ne faisons face qu’à un problème d’offre insuffisante, et non de problèmes économiques qui résultent de manière indirecte d’une pénurie.

Figure 4. Scénario de base du livre de 1972 Les limites à la croissance, reproduit en utilisant les graphiques actuels de Charles Hall et John Day publiés dans « Revisiter les limites de la croissance après le pic pétrolier » (http://www.esf.edu/efb/hall/2009-05Hall0327.pdf).

La chose à côté de laquelle il est facile à passer est le fait que ce modèle soit trop simple pour montrer comment les limites vont se manifester. Par exemple, vont-elles s’appliquer seulement au pétrole, ou à tous les combustibles en même temps ? Quels en seront les effets sur les disparités de revenus ? Comment ces effets affecteront-ils la demande de biens et de services ? L’économie va-t-elle se mettre à croître trop lentement, et faire faillite pour cette raison ?

De manière judicieuse, les auteurs des Limites à la croissance ont souligné qu’il ne fallait pas faire confiance à leurs modèles pour savoir ce qui allait se passer après l’effondrement. Mais cet avertissement semble échappé à de nombreux lecteurs. J’ai suggéré par le passé qu’il aurait mieux valu tronquer les résultats du modèle à une date antérieure, pour souligner à quel point les capacités prédictives du modèle sont limitées par le fait d’avoir omis qu’un système financier comprenait de la dette, des salaires et des prix.

Figure 5. Prévision des Limites à la croissance tronquée peu de temps après que la production se mette à chuter, car après cette date, les valeurs trouvées par le modèle cessent d’être fiables.

3. L’économie a un besoin critique d’énergie pour fonctionner. De nombreuses économies du passé se sont effondrées quand leur consommation d’énergie a cessé de croître à un rythme suffisamment rapide.

De nombreuses recherches ont été effectuées sur un grand nombre d’économies passées qui se sont effondrées. Peter Turchin et Sergey Nefedov ont étudié huit économies agricoles qui se sont effondrées. Ce qui suit est un graphe que j’ai préparé, pour expliquer le déroulement temporel approximatif de ces huit effondrements, et le schéma de croissance démographique qui a semblé se produire.

Figure 6. Forme du cycle séculaire typique, d’après les travaux de Peter Turchin et Sergey Nefedov. (Figure de Gail Tverberg.) 0 30 60 90 120 150 180 210 240 270 300 330 Croissance > 100 ans Stagflation 50–60 ans Crise 20–50 ans Intercycle Forme d’un « cycle séculaire » typique Années à partir du début du cycle

Figure 6. Graphe de l’auteur tiré des « Cycles séculaires » de Peter Turchin et Sergey Nefedov.

Selon Turchin et Nefedov, à chaque fois qu’une nouvelle ressource devenait disponible (par exemple, des terres rendues disponibles par défrichement, ou une nouvelle découverte pour améliorer les rendements alimentaires par l’irrigation), la population connaissait une croissance rapide jusqu’à atteindre la capacité de la région à soutenir cette population en incluant la nouvelle ressource. Cette capacité reflétait les ressources énergétiques facilement disponibles : des terres cultivables, la biomasse que l’on pouvait récolter ou brûler.

À mesure que la population atteignait des limites, la croissance démographique avait tendance à plafonner. Ce plafond de la taille de la population avait tendance à être apparaître lorsque la région ne pouvait pas soutenir plus que cette population existante, sauf à ajouter une certaine forme de complexité supplémentaire pour essayer de produire plus de biens et de services avec les ressources énergétiques existantes. Joseph Tainter, dans L’effondrement des sociétés complexes, nous indique qu’en ajoutant de la complexité (ce qui inclut une technologie améliorée, des entreprises plus grosses et des services gouvernementaux plus étendus), il était possible de faire croître la production de l’économie par rapport à ce qui semblait initialement possible. Cependant, il existe au moins deux raisons pour lesquelles avoir recours à la technologie pour contourner les limites naturelles ne fonctionne pas très longtemps :

L’histoire montre que de nombreux phénomènes contribuent à l’effondrement d’économies :

4. Analyser le ratio salaires sur PIB prouve le besoin de croissance de la consommation d’énergie par habitant ; or ce ratio a baissé au fil des ans.

Figure 7 Salaires US en pourcentage du PIB vs. Prix du pétrole (dollars de 2016) Salaires/PIB Prix du pétrole (dollars de 2016) Salaires/PIB Prix du pétrole

Figure 7. Salaires américains en pourcentage du PIB (d’après les données du BEA) par rapport au prix du pétrole de Brent en dollars de 2016, d’après les données du BP Statistical Review of World Energy.

Si les besoins énergétiques des êtres humains se résumaient à leur nourriture, on s’attendrait à ce que la consommation d’énergie par habitant reste stable. Mais le problème, c’est que les humains ne vivent pas dans les limites alimentaires normales de l’économie. Ils ont acquis un avantage initial sur les autres plantes et les autres animaux il y a plus d’un million d’années, lorsqu’ils ont appris à brûler la biomasse et à l’utiliser à de nombreuses fins (cuire les aliments pour en tirer une plus grande valeur énergétique, effrayer et éloigner les prédateurs, attraper des proies, étendre leur habitat jusqu’à des climats plus froids).

Les êtres humains doivent à présent conserver leur avantage antérieur sur les autres espèces, faute de quoi ils vont perdre le combat face à certains de leurs prédateurs, comme par exemple les microbes. Avec l’énorme population humaine actuelle, conserver cet avantage antérieur exige une quantité surprenante d’énergie à fournir en plus de l’énergie sous forme alimentaire.

Le travail humain ne représente qu’une petite partie de l’économie. La figure 7 montre qu’en pourcentage du PIB, les salaires sont restés plutôt stables entre 1940 et 1970, lorsque les prix du pétrole étaient bas et que l’offre de pétrole était abondante. Ce ratio salaires sur PIB a commencé à fortement baisser après 1970, lorsque les prix du pétrole sont devenus plus élevés. Pour contourner le problème des prix du pétrole plus élevés, l’économie s’est complexifiée : entreprises et gouvernements se sont développés ; le commerce international est devenu plus important ; le rôle de la dette et du système financier dans l’économie s’est accru.

Si, sur le long terme, les salaires en pourcentage du PIB ont baissé, le reste de l’économie a crû encore plus vite. Les activités gouvernementales ont crû. La taille des entreprises, et le volume de technologie qu’elles utilisent, se sont accrus. Tout cela a besoin d’être soutenu, indirectement, par des produits énergétiques pour continuer à exister. Pour ces raisons, la consommation d’énergie doit croître plus vite que la population, même si, à l’échelle unitaire, la technologie rend les processus plus efficaces.

5. L’analyse des données en série longue depuis 1820 montre ce qui se passe quand l’économie mondiale fait face à une stagnation de sa consommation d’énergie par habitant.

Figure 8 Consommation mondiale d’énergie par personne Nucléaire Hydroélectr. Gaz naturel Pétrole Charbon Agrocarbur. Gigajoules par personne et par an 1920–1940 Période de stagnation 1980–2000 Période de stagnation

Figure 8. Consommation énergétique mondiale par personne, calculée en divisant la consommation mondiale d’énergie (d’après les estimations de Vaclav Smil publiées dans Energy Transitions: History, Requirements and Prospects, combinées aux données des BP Statistical Data pour les années 1965 et suivantes) par des estimations de la taille de la population, d’après les données d’Angus Maddison. Les deux cercles indiquent deux périodes de stagnation de la consommation d’énergie par personne.

La période de stagnation entre 1920 et 1940 était clairement une période de « d’énergie insuffisante pour l’époque ». La Grande Dépression des années 1930 fut une période de faible croissance du PIB et de fortes disparités de revenus. Et un certain nombre d’éléments démontrent que les deux guerre mondiales (précédant et suivant immédiatement la période 1920–1940) étaient, indirectement, des guerres énergétiques.

La période de stagnation entre 1980 et 2000 correspond à une période où les États-Unis et l’Europe ont volontairement réduit leur consommation de pétrole, craignant que celui-ci vienne bientôt à manquer. Durant cette période, réaliser les évolutions nécessaires exigea de faire croître énormément la dette (figure 9).

Figure 9 Croissance des salaires US et de la dette non financière (par habitant et défalqués de l’inflation) Croissance des salaires Croissance de la dette Taux de croissance (moy. glissante sur 3 ans)

Figure 9. Croissance des salaires aux États-Unis par rapport à la croissance de la dette non financière. Les chiffres des salaires proviennent de l’US Bureau of Economics, catégorie « Salaires et traitements ». La dette non financière est une série interrompue de la Réserve fédérale de St. Louis. (Notez que le graphique ne montre pas de valeur pour 2016.) Les deux ensembles de valeurs ont été ajustés de la croissance démographique américaine et de la croissance de l’inflation selon l’indice CPI Urban. Comme indiqué précédemment, c’est aussi au cours de cette période de temps qu’une énorme quantité de complexité a été ajoutée, cependant que les salaires baissaient en pourcentage du PIB. On peut sérieusement mettre en doute l’idée qu’un tel schéma puisse être répété sans que des problèmes économiques sévères n’apparaissent.

Le monde a connu divers autres problèmes entre 1980 et 2000. Le gouvernement central de l’Union soviétique s’est effondré en 1991. Dans les années qui ont précédé son effondrement, elle a vu ses revenus se réduire fortement du fait des bas prix du pétrole, ce qui semble avoir largement contribué à son effondrement. Les pays exportateurs de pétrole font de nouveau face au problème de recettes fiscales insuffisantes suite à la faiblesse des prix du pétrole depuis 2014.

6. C’est la croissance de l’énergie totale (et pas seulement la croissance de la consommation de pétrole) qui présente une bonne corrélation avec la croissance du PIB.

Figure 10. Graphe X-Y de la consommation mondiale d’énergie par rapport au PIB mondial en dollars US de 2010. Consommation d’énergie vs. PIB  (1965–2016) en dollars de 2010 1965–2016 Régression linéaire (1965–2016) Consommation d’énergie primaire (milliards de tep) PIB en milliers de milliards de dollars US de 2010

Figure 10. Graphe X-Y de la consommation mondiale d’énergie (d’après le BP Statistical Review of World Energy 2017) par rapport au PIB mondial en dollars US de 2010, d’après la Banque mondiale.

Les partisans du Peak Oil n’ont pas cessé de réfléchir à la manière dont fonctionne l’économie. Du point de vue du fonctionnement de l’économie, c’est bien de la croissance de la quantité totale d’énergie dont nous devrions nous inquiéter.

7. Indirectement, dette et prix des actifs sont des promesses de consommation future d’énergie.

Nous ne voyons pas la dette comme une promesse de consommation future d’énergie. Mais le lien entre les deux est bien réel parce que la dette ne peut être échangée (via une transaction financière) que contre des biens et services futurs. Et fabriquer ces biens et services futurs exigera de consommer de l’énergie.

Le même principe s’applique aux prix des actifs de quelque sorte que ce soit : les prix des actions, ceux des logements, ceux du foncier, les pensions de retraite... Si un détenteur d’actifs veut vendre un actif et en utiliser le produit pour acheter d’autres biens et services, il se retrouve dans la même situation que le propriétaire d’une dette : les biens et services qui seront fournis en échange dépendent des sources d’énergie disponibles à la date où l’échange se fait. Ainsi, indirectement, les prix représentent des promesses de consommation future d’énergie.

8. L’un des éléments au cœur du système de croissance économique semble être celui de la baisse incessante des prix des services énergétiques – ces services étant définis comme le coût de l’énergie, plus les progrès d’efficacité énergétique disponibles pour réduire leur coût.

Par exemple, le coût du transport d’un paquet de 100 kg sur 100 kilomètres, ou celui de chauffer un logement de 100 mètres carrés durant tout un hiver, ne doivent pas cesser de baisser. Grâce à cette baisse, les entreprises peuvent se permettre d’acheter toujours plus d’outils pour leurs travailleurs. Et avec ces outils, les travailleurs peuvent devenir de plus en plus productifs.

De plus, en raison de leur productivité croissante, les travailleurs constatent que leurs salaires augmentent, ce qui leur permet d’acheter toujours plus de biens et de services. De cette manière, la demande continue d’augmenter. Ce genre d’évolutions permettent à l’économie de continuer de croître.

Figure 11 En fait, le prix des services énergétiques (gains d’efficacité énergétique compris) n’a cessé de baisser

Figure 11. Tableau des services énergétiques de Roger Fouquet, de Divergences dans les tendances à long terme des prix de l’énergie et des services énergétiques. Le deuxième graphique est une figure des flux mondiaux de matériaux et de la productivité des ressources du PNUE.

En fait, les prix des services énergétiques semblent continuer leur baisse, même si le coût de fourniture ces services, lui, ne baisse pas. C’est une des principales raisons pour lesquelles, ces dernières années, les prix de l’énergie semblent être passés en-dessous du coût de production pour pratiquement tous les types d’énergie. Une telle situation ne pourra pas durer très longtemps : il faut s’attendre à ce que cela conduise le système à s’effondrer.

9. Si le rythme de croissance de l’économie n’est pas assez rapide, l’économie est en danger d’effondrement.

On peut imaginer la situation du PIB comme étant similaire à celle d’un vélo. Le PIB doit croître suffisamment vite, faute de quoi l’économie finira par s’effondrer. Un vélo doit se déplacer suffisamment vite, faute de quoi il tombera. D’une économie qui ralentit, les économistes disent souvent qu’elle décroche.

Figure 12 "Cycliste = "Fournit l’énergie primaire = "Combustibles fossiles "Guidon = "Profitabilité, lois "Freinage = "Taux d’intérêt "Roue avant = "Système de dette "Pédalier = "Efficacité énergét. "Roue arrière = Là où "l’énergie agit via le pédalier

Figure 12. Vision de l’auteur des analogies entre un vélo qui accélère et l’économie qui accélère.

Il est probable que les taux de croissance du PIB mondial qui ont été déclarés ces dernières années soient quelque peu exagérés, et ce pour plusieurs raisons :

C’est l’économie elle-même qui déterminera si elle pourra ou non continuer à fonctionner, à cause de sa nature autoorganisée. Le fait qu’elle continue à fonctionner ne dépend pas de statistiques publiées dont la qualité est variable.

10. Les chercheurs étudiant les limites du pétrole pensaient avoir trouvé un tout nouveau phénomène, le « pic pétrolier » ou « Peak Oil ».

En fait, ce qu’ils ont trouvé, c’est un cas particulier d’un phénomène qui a tendance à provoquer un effondrement, à savoir les conditions qui conduisent à une consommation d’énergie par personne n’augmentant pas assez vite. Ce genre de conditions peuvent se produire de manières très variées, comme par exemple :

11. Les chercheurs travaillant sur le pic pétrolier ont fait de leur mieux, avec la compréhension limitée du moment. Malheureusement pour eux, le modèle qu’ils ont mis en place n’était pas vraiment correct.

Le problème fondamental rencontré par les chercheurs travaillant sur le pic pétrolier, c’est que les chercheurs en économie, sur lesquels ils se sont reposés, ne comprenaient pas vraiment la nature interconnectée de l’économie. Ils ont continué à utiliser des modèles économiques bidimensionnels là où ils avaient besoin de modèles multidimensionnels. Les économistes ont prédit qu’à l’approche des limites, les prix augmenteraient, alors même qu’il est de plus en plus évident que cela ne peut pas être le cas. Depuis 2014, pour de nombreuses matières premières, le monde se débat avec des prix bas. À présent, les prix sont, pour un temps, un peu moins bas, mais ils ne sont pas encore assez élevés pour permettre aux pays exportateurs de pétrole d’en obtenir des recettes fiscales suffisantes.

Le modèle de l’EROEI (Énergie Récupérée sur Énergie Investie) du professeur Charles Hall reposait sur la pensée du jour : ce qui importe, c’est la consommation d’énergie facile à compter. D’une certaine manière, si l’on pouvait trouver quels sont les produits énergétiques qui comptent la plus petite quantité de produits énergétiques faciles à compter parmi leurs intrants, cela fournirait une estimation de l’efficacité d’un type d’énergie donné. Peut-être une transition vers des types d’énergie plus efficaces était-elle possible, afin d’économiser les combustibles fossiles qui semblaient être disponibles en quantité insuffisante.

L’ennui, c’est que ce qui compte, c’est la consommation totale d’énergie, pas la consommation d’énergie facile à compter. Dans une économie en réseau, la quantité d’énergie consommée qu’il n’est pas facile de compter est énorme : il y a celle qui est nécessaire pour construire et faire fonctionner des écoles, des routes, des systèmes de santé et des gouvernements ; celle requise pour maintenir un système où la dette est remboursée avec intérêts ; celle qui permet aux gouvernements de percevoir beaucoup d’impôts sur le pétrole et les autres biens exportés. La méthode standard de l’EROEI suppose que le coût énergétique de chacun de ces éléments est nul. En général, le salaire des travailleurs n’est pas non plus pris en compte.

La manière de compter les différents types d’intrants et de production d’énergie pose également problème. Notre système économique affecte des valeurs monétaires différentes à chacune des différentes qualités d’énergie ; fondamentalement, la méthode de l’EROEI leur assigne soit un, soit zéro. Dans la méthode de l’EROEI, certaines catégories difficiles à compter sont même complètement ignorées. Celles qui peuvent être comptées le sont et sont supposées égales les unes aux autres, indépendamment de leur qualité réelle. Par exemple, l’électricité intermittente est considérée comme identique à de l’électricité pilotable de haute qualité.

Au moment où il a été créé, le modèle de l’EROEI semblait pouvoir être utile. Manifestement, si un puits de pétrole consomme beaucoup plus d’intrants énergétiques qu’un puits de pétrole voisin, alors c’est certainement un puits plus coûteux. Ce modèle semblait donc permettre de distinguer les types d’énergie plus coûteux des autres du fait de leur consommation de ressources, en particulier dans le cas de types d’énergie qui sont très semblables.

Un autre avantage de la méthode de l’EROEI était que si le problème était celui de l’épuisement de combustibles fossiles, le modèle permettait au système d’optimiser sa consommation des combustibles fossiles limités qui semblaient être disponibles, en fonction des types d’énergie dont les EROEI sont les plus élevés. Il semblait permettre de faire le meilleur usage de l’approvisionnement en combustibles fossiles disponibles.

12. Des corrections à la méthode de l’EROEI ont été proposées pour lui permettre de fonctionner comme attendu. L’ennui, c’est que ces corrections semblent montrer que les énergies éoliennes et solaires ne sont pas des solutions à nos problèmes. En fait, le système est tellement intégré, et notre besoin d’une consommation d’énergie par habitant croissante, si grand, que l’on peut douter que le moindre substitut aux combustibles fossiles puisse être une véritable solution.

Charles Hall a remarqué qu’un poisson ne devait pas avoir à nager trop loin pour obtenir sa nourriture, et dédier une trop grande part de l’énergie qu’il retirait de cette nourriture pour l’attraper, parce qu’il avait besoin de la plus grande part de cette énergie pour son métabolisme au quotidien et sa reproduction. S’il veut disposer d’assez d’énergie pour pouvoir à la fois couvrir ses besoins métaboliques complets (y compris la reproduction) et attraper ses proies, un poisson a typiquement besoin d’un EROEI d’au moins 10:1 au moment de les attraper.

Si capturer certaines proies n’offrait qu’un retour énergétique de 1:1, il s’agirait là d’une source de nourriture à peu près sans intérêt, car elles ne permettraient de couvrir aucun des coûts métaboliques du poisson. Il ne faut aucun doute que qualifier « d’énergie nette » une source d’énergie dont l’EROEI n’est pas très éloigné de 1:1, puisqu’elle ne contribue pas à couvrir les activités métaboliques ou de reproduction du poisson. On ne devrait appeler « énergie nette » que les sources alimentaires dont l’EROEI est proche, voire supérieur à un ratio de 10:1.

On peut utiliser une approche comparable pour l’économie, en intégrant la grande quantité d’énergie qui est perdue quand on exclut l’équivalent pour l’économie du métabolisme du poisson. D’après la figure 11, l’EROEI moyen requis (qui correspond à ce que l’économie peut se permettre de payer) doit augmenter au fil du temps. Donc si, aujourd’hui, l’EROEI moyen requis est de 10:1, il pourrait bien être de 11:1 plus tard, simplement parce que l’économie mondiale, de plus en plus complexe, a besoin de services énergétiques de moins en moins chers.

L’histoire selon laquelle « des prix plus élevés de l’énergie ne poseront pas de problème à l’avenir » n’est rien d’autre qu’une légende, créée par des économistes qui ne comprennent pas comment l’économie fonctionne réellement, compte tenu de toutes les rétroactions en jeu. En termes corrigés de l’inflation, le prix des services énergétiques doit continuer à baisser en pourcentage du PIB pour que le système puisse continuer à fonctionner.

Pour corriger le calcul de l’énergie nette, il convient de déterminer un ratio d’EROEI minimum pour l’économie – qui tourne probablement autour de 10:1 – si l’on veut y intégrer la part importante de la consommation d’énergie dont manque l’économie. L’énergie nette serait alors déterminée comme l’énergie en supplément de cet EROEI de 10:1, plutôt qu’en en supplément d’un EROEI de 1:1. Avec une telle approche, le jour sous lequel l’énergie solaire et l’énergie éolienne sont présentées serait beaucoup moins favorables que celui auquel concluent la plupart des calculs à ce jour.

Dans le cas des énergies renouvelables intermittentes, il faut déterminer au cas par cas si le rôle que l’on veut donner à l’énergie éolienne ou à l’énergie solaire est celui de remplacer l’électricité ou de remplacer des combustibles. Si on veut les utiliser pour remplacer l’électricité (comme c’est généralement le cas aujourd’hui), alors il faut inclure un tampon de stockage suffisant au modèle, de sorte que ce dernier puisse calculer l’EROEI adaptée à une électricité pilotable (et non une électricité intermittente). En général, ajouter un tel tampon va réduire de manière considérable les EROEI des types d’électricité intermittents. Cet ajustement montre clairement que l’énergie éolienne et l’énergie solaire offrent beaucoup moins d’avantages qu’attendu.

Si le but de l’électricité intermittente n’est que de remplacer des combustibles (comme l’envisage par exemple cette nouvelle installation solaire qui a été proposée en Arabie saoudite), alors prendre en compte un tampon amortisseur dans le calcul devient inutile. Bien sûr, on pourrait aussi utiliser une simple comparaison des coûts, ce qui peut être l’approche la plus simple. Une comparaison des coûts donnera généralement un résultat favorable si le combustible remplacé est le pétrole, car le pétrole est un combustible cher.

Trop souvent, éolien et solaire sont ajoutés au système en négligeant totalement le coût réel de la mise en place d’un tampon de stockage. Les productions d’électricité au charbon et nucléaire se retrouvent à fournir un service non rémunéré de tampon à destination des énergies éoliennes et solaires. De ce fait, l’effet net du fait d’ajouter des énergies renouvelables intermittentes est de pousser les indispensables sources électriques de secours à la faillite. On se retrouve alors avec un système électrique dans un état plus dégradé par le fait d’avoir ajouté des énergies renouvelables intermittentes, même si ce n’était pas l’intention de ceux qui exigent de faire appel à ce type de production électrique.

Conclusion

Le besoin numéro 1 de l’économie mondiale est de faire croître la consommation d’énergie par habitant. Pour pouvoir maintenir la croissance économique, le prix des services énergétiques doit baisser en pourcentage du PIB. Le système va essayer de se rééquilibrer en privilégiant la production d’énergie au coût le plus bas, grâce à divers leviers, en particulier la mondialisation. Quand ce rééquilibrage deviendra impossible, il est probable que le système économique mondial actuel lâchera.

Les modélisateurs du pic pétrolier n’ont pas compris à quel point notre économie était complexe. Pour leur défense, personne d’autre ne l’a compris, entre particulier entre 1970 et 2005. Ils ont fait de leur mieux, en utilisant les modèles que les économistes avaient construit. Parce qu’ils ont supposé que les prix de l’énergie allaient connaître une hausse inexorable, les modèles de pic pétrolier ont fait l’hypothèse d’une quantité extractible de combustibles fossiles très largement supérieure à ce qui sera très vraisemblablement possible d’extraire. Les optimistes (les compagnies pétrolières, les hommes politiques, les agences gouvernementales) font même l’hypothèse d’une quantité extractible de combustibles fossiles encore plus élevée, au-delà du raisonnable. Il en résulte une inquiétude considérable au sujet du changement climatique.

Quand on se rend compte à quel point l’économie mondiale est fortement intégrée et à quel point elle a besoin de croître, il devient évident que consommer moins d’argent n’est pas une solution. Les prix des matières premières plongeraient encore plus loin en-dessous des coûts de production. Le système économique connaîtrait une récession bien plus sévère que la Grande Récession de 2008–2009. Certains pays feraient faillite. La spirale pourrait devenir descendante de manière permanente.

Les solutions habituelles ne fonctionnent pas non plus. Les substituts ne se peuvent être développés rapidement. On ne peut pas avoir massivement recours à la biomasse parce que les écosystèmes du monde en dépendent ; nous en utilisons déjà plus que notre part. Les énergies renouvelables intermittentes comme l’énergie éolienne et l’énergie solaire ont elles-mêmes un coût énergétique élevé, mais qu’il est difficile de compter. Elles sont dépendantes du commerce international pour leur fabrication et la réparation de leurs dispositifs de capture. Elles dépendent de la dette pour leur financement. En réalité, contrairement à ce que leur nom de « renouvelables » pourrait faire croire, elles ne font qu’une partie du système à combustibles fossiles.

Les modélisateurs de l’énergie ont fait de leur mieux. Malheureusement, le processus de modélisation ne permet pas facilement de voir en quoi les modèles sont incorrects. Cela se vérifie en particulier dans un monde où la recherche scientifique est divisée en silos, chacune des disciplines ayant tendance à regarder d’abord ce qu’ont écrit les gens du même domaine de spécialité. Un modèle incorrect peut alors facilement se retrouver fermement ancré dans l’esprit des gens.