Par Gail Tverberg
6 septembre 2017
Les économistes nous ont fourni un modèle de la manière dont prix et quantités de marchandises sont censés interagir.
Figure 1. Tiré de Wikipédia : Le prix P d’un produit est déterminé par un équilibre entre la production pour chaque prix (offre S) et les désirs de ceux qui ont le pouvoir d’achat à chaque prix (demande D). Le diagramme montre un changement positif de la demande de D1 à D2, entraînant une augmentation du prix (P) et de la quantité vendue (Q) du produit.
Malheureusement, ce modèle est cruellement insuffisant. Il fonctionne de manière très approximative, jusqu’au moment où il ne fonctionne plus. Si des produits sont disponibles en trop faible quantité, le problème est censé se résoudre par des prix plus élevés et un certain niveau de substitution. S’ils le sont en trop grande quantité, les prix sont supposés chuter, obligeant les producteurs les plus chers à sortir du système.
Ce modèle ne marche pas avec le pétrole. Si les prix baissent – comme on peut le voir depuis mi-2014 – cela ne fait pas sortir les entreprises pétrolières du système. Souvent, elles réagissent en pompant plus de pétrole. L’idée consiste à essayer de compenser les prix trop bas en augmentant le volume de pétrole qu’elles extraient. Évidemment, cela ne résout absolument pas le problème. Et bien sûr, ces entreprises se comportent ainsi parce qu’on suppose que dans un futur proche, les prix du pétrole vont repartir à la hausse. Et quand cette hausse se produira, on s’attend à ce que les entreprises pétrolières réussissent à en tirer une marge suffisante, et on espère que le système pourra continuer à fonctionner comme il l’a fait dans le passé, peut-être avec un moindre débit de pétrole extrait, mais avec un prix du pétrole plus élevé.
Je doute que cela arrive un jour. Permettez-moi d’expliquer certains des problèmes qui se posent.
Comme pour de nombreux autres produits, offre et demande de pétrole sont liées l’une à l’autre. S’il y a trop peu de pétrole, la théorie affirme que les prix du pétrole doivent augmenter, pour encourager une hausse de la production. Mais s’il y a trop peu de pétrole, certains travailleurs potentiels se retrouvent sans emploi. Par exemple, des conducteurs de camion peuvent se retrouver au chômage s’il n’y a pas assez de carburant pour faire rouler aussi leur camion. En plus, cela empêchera de livrer un certain nombre de biens à destination, entraînant une perte supplémentaire d’emplois (à la fois du côté de la production de ces biens, et du côté de leur consommation).
En fin de compte, on peut s’attendre à ce que le manque de pétrole réduise la disponibilité d’emplois bien rémunérés. Creuser dans le sol avec un bâton pour faire pousser de la nourriture est un travail qui existera toujours, avec ou sans supplément énergétique, mais ce n’est pas un travail qui paie bien !
Concrètement, le manque de pétrole a donc deux effets contraires :
Quand on y pense, les prix des matières premières, comme la nourriture ou les carburants, ne peuvent pas trop augmenter par rapport au salaire des travailleurs ordinaires (aussi appelés « travailleurs peu qualifiés »), faute de quoi tout le système s’arrête. Par exemple, si, à un moment donné, les travailleurs peu qualifiés dépensent la moitié de leur revenu pour acheter leur nourriture, le prix de la nourriture ne pourra pas se retrouver multiplié par deux. Si cela arrive, ces travailleurs n’auront plus d’argent pour se loger, se vêtir ou payer des impôts.
Si les travailleurs deviennent plus productifs, cette productivité croissante des travailleurs se traduit souvent par des hausses de salaire des travailleurs. Grâce à ces salaires plus élevés, les travailleurs peuvent se permettre d’acheter plus de produits fabriqués avec du pétrole et qui consomment du pétrole pour être utilisés. Ainsi, ces salaires plus élevés conduisent à une « demande » plus élevée (en fait, à des prix plus abordables) du pétrole.
Depuis quelques années, la productivité des travailleurs n’augmente plus. L’une des raisons qui explique que ce ne soit pas une surprise, c’est que la consommation d’énergie par personne a atteint un maximum en 2013. Avec une moindre consommation d’énergie par personne, il est probable qu’en moyenne, les travailleurs ne bénéficient plus « d’outils » plus gros et plus efficaces (comme des camions, des pelles mécaniques et toutes sortes d’autres machines) grâce auxquels ils démultiplient leur travail. Tous ces outils exigent de consommer des produits énergétiques, aussi bien pour être fabriqués que pour être utilisés.
Figure 2. Consommation mondiale quotidienne d’énergie par habitant, d’après des données de consommation d’énergie primaire issues du BP Statistical Review of World Energy et d’estimations démographiques des Nations Unies de 2017.
Un autre effet à la hausse sur la demande provient de la hausse des investissements. Cet investissement peut reposer sur l’endettement ou sur les fonds propres. Ce sont ces actifs financiers qui permettent d’ouvrir de nouvelles mines et de construire de nouvelles usines. Cela permet ainsi de faire croître le salaire des travailleurs peu qualifiés. Le McKinsey Global Institute indique que la croissance du total des « actifs financiers » a ralenti depuis 2007.
Figure 3. Figure du McKinsey Global Institute montrant que la croissance de l’endettement dans les instruments financiers (dette et capitaux propres) a considérablement ralenti depuis 2007. (Source).
Des données plus récentes publiées par le McKinsey Global Institute montrent que l’investissement transfrontalier, en particulier, a ralenti depuis 2007.
Figure 4. Figure du McKinsey Global Institute montrant que les flux de capitaux transfrontaliers à travers le monde (dette combinée et capitaux propres) ont diminué de 65% depuis le maximum atteint en 2007. La figure provient de cette page.
L’investissement transfrontalier est particulièrement utile pour stimuler les exportations, car il permet souvent de mettre en place de nouvelles infrastructures qui encouragent l’extraction de minerais. Certains de ces minerais ne sont disponibles que sur quelques sites à travers le monde ; ils sont alors souvent commercialisés à l’échelle internationale.
Les figures 3 et 4 montrent que les dépenses d’investissement ont atteint un pic en 2007. Les prix du pétrole ont atteint un pic peu de temps après, au premier semestre de 2008.
Figure 5. Prix mensuels du pétrole de Brent avec les dates de début et de fin de la politique d’assouplissement quantitatif (AQ, pour Quantitative Easing) des États-Unis.
L’assouplissement quantitatif (ou Quantitative Easing) est un moyen d’encourager l’investissement par des taux d’intérêt artificiellement bas. La politique d’assouplissement quantitatif des États-Unis a démarré juste au moment les prix du pétrole étaient les plus bas. On peut constater dans les figures 3 et 4 ci-dessus que le grand pic de prix de 2008 et la chute des prix qui a suivi correspondent à peu près aux moments de hausse et de baisse des investissements.
Si l’on regarde les matières premières autres que le pétrole, on constate souvent une baisse importante des prix au cours de ces dernières années, même si la durée de cette forte baisse est variable d’une matière première à l’autre. Aux États-Unis, les prix du gaz naturel se sont effondrés dès que le gaz issu de la fracturation hydraulique est devenu disponible, et qu’a commencé un problème de surproduction de gaz.
Je m’attends à ce qu’au moins une partie du problème de prix bas du gaz provienne également des prix subventionnés des énergies éoliennes et solaires. Ces subventions entraînent des prix artificiellement bas pour l’électricité de gros. Dans la mesure où, aux États-Unis, la production d’électricité est un débouché majeur du gaz naturel, les bas prix de gros de l’électricité ont indirectement tendance à faire baisser les prix du gaz naturel.
Figure 6. Prix du gaz naturel aux États-Unis et au Canada, indexés sur les prix de 2008, d’après les données annuelles de prix fournies dans le BP Statistical Review of World Energy 2017.
Beaucoup de gens imaginent possible d’avoir recours à la fracturation hydraulique pour un coût si faible qu’il est logique d’observer le type de baisse de prix que montre la figure 6. En fait, les bas prix du gaz naturel constatés aux États-Unis sont l’une des raisons qui ont poussé les entreprises pétrolières et gazières d’Amérique du nord à la faillite.
Pendant un certain temps, il a semblé que les prix élevés du gaz naturel en Europe et en Asie pourraient permettre aux États-Unis d’exporter une partie de leur gaz naturel sous forme de gaz naturel liquéfie et, ainsi, de mettre fin à leur problème d’offre excessive. Malheureusement, les prix du gaz naturel à l’étranger ont baissé depuis 2013, rendant la rentabilité de ces exportations hypothétique (figure 7).
Figure 7. Prix des importations de gaz naturel en Europe et en Asie, indexés sur les prix de 2008, d’après les prix moyens annuels fournis par le BP Statistical Review of World Energy 2017.
Les prix du charbon ont suivi une pente descendante d’une autre forme depuis 2008. Notez que les prix de 2016 se situent entre 32% et 59% des prix de 2008. Ils sont encore plus bas qu’en 2011.
Figure 8. Prix de plusieurs types de charbon, indexés sur les prix de 2008, d’après les prix moyens annuels fournis par le BP Statistical Review of World Energy 2017.
La figure 9 montre les évolutions des prix de plusieurs métaux et minerais. Ces prix semblent également être orientés à la baisse. Je n’ai pas trouvé d’indice de prix pour les minerais de terres rares qui remonte à 2008. Les données récentes suggèrent que les prix de ces minerais ont également baissé.
Figure 9. Prix de divers métaux et minerais, indexés en 2008, d’après des analyses de l’USGS (Source).
La figure 9 montre que les prix de plusieurs métaux importants ont baissé de 24% à 35% depuis 2008. La baisse est encore plus grande si l’on prend comme référence les prix de 2011.
Les prix mondiaux des matières premières alimentaires ont eux aussi baissé depuis 2008.
Figure 10. Les prix des denrées alimentaires, indexés sur les prix de 2008, d’après des données de la FAO.
Dans le point [4] ci-dessus, j’ai listé plusieurs facteurs qui avaient tendance à faire baisser les prix du pétrole. On peut s’attendre à ce que les mêmes problèmes produisent les mêmes effets sur ces autres matières premières, à savoir réduire aussi leur prix. En outre, extraire des minerais, produire des métaux ou de la nourriture exige d’utiliser des produits énergétiques. Une baisse du prix des produits énergétiques aurait donc tendance à se traduire par un moindre prix d’extraction des minerais et de moindres coûts de production et de commercialisation des produits agricoles.
Un cas étonnant de baisse des prix est celui des prix d’enchères pour l’électricité produite par les éoliennes terrestres. J’ai reproduit ci-dessous un tableau de Roger Andrews, publié dans un article récent du blog Energy Matters. Le coût de fabrication des éoliennes ne semble pas baisser de manière spectaculaire, au-delà de la baisse des prix des matières premières utilisées pour fabriquer les turbines. Pourtant, les prix d’enchères semblent baisser de 20% par an, voire plus.
Figure 11. Figure de Roger Andrews, montrant la tendance des prix d’enchères pour l’électricité des éoliennes terrestres, publiée sur Energy Matters.
Ainsi, l’électricité éolienne achetée par enchères semble succomber aux mêmes forces déflationnistes de marché que le pétrole, le gaz naturel, le charbon, de nombreux métaux et les produits alimentaires.
Ce qui semble se produire, c’est un décalage fondamental entre (a) la quantité de biens et de services que les pays veulent vendre, et (b) la quantité de biens et de services que les consommateurs, en particulier peu qualifiés, peuvent réellement se permettre d’acheter. D’une manière ou d’une autre, il va falloir résoudre ce déséquilibre entre offre et demande (= accessibilité financière).
L’une des manières d’augmenter la demande est d’augmenter la productivité. Comme on l’a vu précédemment, nous n’avons pas connu une telle hausse de la croissance de la productivité depuis plusieurs années. Compte tenu de la baisse de la quantité d’énergie par personne que montre la figure 2, une hausse de la productivité dans un proche avenir semble peu probable, car adopter des technologies plus avancées exige de consommer de l’énergie.
Une seconde façon d’augmenter la demande est d’augmenter les salaires, au-delà de ce qu’indiquerait la croissance de la productivité. Avec la mondialisation, la tendance suivie a été celle d’une baisse et d’une variabilité accrue des salaires, en particulier pour les travailleurs les moins diplômés. C’est exactement le contraire de ce dont nous aurions besoin, si l’on veut que la demande de biens et services augmente assez pour éviter une déflation des prix des matières premières. Ces travailleurs peu qualifiés sont très nombreux. Si leurs salaires sont bas, cela a tendance à réduire la demande de logements, de voitures, de motos, de scooters, et de nombre d’autres biens dont les ventes dépendent des salaires des travailleurs à travers le monde. C’est la fabrication et l’utilisation de tous ces produits qui conditionnent la demande de matières premières.
Une troisième manière d’augmenter la demande est d’augmenter l’investissement. Cela peut finir par se répercuter sur les salaires les plus élevés. Mais ce n’est pas non plus ce qui se passe. En fait, les figures 3 et 4 montrent que la dernière hausse importante des investissements date de 2007. De plus, le pourcentage de dette supplémentaire qui est nécessaire pour augmenter le PIB d’un point de pourcentage a considérablement augmenté au cours des dernières années, aux États-Unis et en Chine, ce qui rend une telle approche de croissance économique toujours moins efficace avec le temps. Les débats récents semblent aller dans la direction d’une stabilisation ou d’une baisse des niveaux d’endettement, plutôt que de leur accroissement. Une telle évolution aurait tendance à réduire les nouveaux investissements, et non à les accroître.
Il n’est guère surprenant que la baisse des prix du pétrole ait fait chuter les recettes d’exportation de l’Arabie saoudite.
Figure 12. Exportations et importations de biens et services par l’Arabie saoudite, d’après des données de la Banque mondiale.
En raison de la baisse de ses exportations, l’Arabie saoudite achète à présent moins de biens et de services importés. Et l’on s’attendrait à ce que d’autres pays exportateurs de pétrole réduisent eux aussi leurs achats de biens et de services importés. (Des exportations en dollars US courants signifient que les exportations ont été quantifiées année après année en dollars US de l’année, sans aucun ajustement de l’inflation).
De manière un peu plus surprenante, les exportations et les importations de la Chine baissent elles aussi quand on les mesure en dollars US. La figure 13 montre que, en dollars US, les exportations chinoises de biens et de services ont baissé en 2015 et en 2016, tout comme les importations chinoises.
Figure 13. Exportations et importations chinoises de biens et de services en dollars US courants, d’après des données de la Banque mondiale.
De manière similaire, les exportations et les importations de l’Inde ont également baissé. En fait, les importations de l’Inde ont encore plus baissé que ses exportations, et depuis plus longtemps – depuis 2012.
Figure 14. Exportations et importations de biens et de services de l’Inde en dollars courants, d’après des données de la Banque mondiale.
Les importations de biens et services des États-Unis ont également chuté en 2015 et en 2016. Les États-Unis sont à la fois exportateurs de matières premières (en particulier de produits alimentaires et de produits pétroliers raffinés) et importateurs de pétrole brut. Cette baisse des importations n’est donc pas surprenante.
Figure 15. Exportations et importations américaines de biens et services en dollars US, d’après des données de la Banque mondiale.
En fait, à l’échelle mondiale, exportations et importations de biens et services, exprimées en dollars US, ont toutes baissé en 2015 et en 2016.
Figure 16. Exportations et importations mondiales, en dollars US courants, d’après des données de la Banque mondiale.
Si un pays n’arrive plus à vendre ses propres exportations en grande quantité, il lui devient très difficile d’acheter ce qu’exporte tout autre pays en quantité significative. En soi, ce phénomène a tendance à maintenir les prix des matières premières, y compris du pétrole, à un faible niveau.
De plus, rembourser sa dette lui est de plus en plus difficile, en particulier lorsque celle-ci est libellée dans une monnaie qui s’est appréciée. Cela signifie que s’endetter encore plus devient de moins en moins faisable. Les nouveaux investissements deviennent donc de plus en plus difficiles à financer, ce qui a tendance à maintenir les prix à la baisse. En fait, cela a même tendance à faire baisser les prix, car maintenir le même niveau des prix exige de nouveaux investissements.
Aux États-Unis, peu de consommateurs s’inquiètent du prix du maïs. Ils s’intéressent plutôt au prix d’une boîte de flocons de maïs, ou au prix des tortillas de maïs au restaurant.
Les États-Unis, l’Europe et le Japon se sont spécialisés dans des biens et des services à forte « valeur ajoutée ». Par exemple, dans le cas d’une boîte de flocons de maïs, les industriels entrent dans de nombreuses étapes de fabrication, comme : (a) produire des flocons de maïs à partir d’épis de maïs, (b) mettre les flocons de maïs dans des boîtes attrayantes, (c) livrer ces boîtes dans les rayons des magasins, et (d) faire la publicité de ces flocons de maïs auprès des consommateurs potentiels. De manière générale, ces coûts ne baissent pas avec la baisse des prix des matières premières. Comme le disait un article de 2009 aux États-Unis : « Avec le prix du maïs record de sept dollars atteint cet été, le coût du maïs contenu dans une boîte de 500 grammes de corn flakes n’était que de 14 centimes ».
En raison du faible rôle que semblent jouer les prix des matières premières dans la production de biens et services des pays développés, il est facile pour les dirigeants de la finance de négliger les signaux que donnent les prix des matières premières. (Les données sont bien disponibles à ce niveau de détail ; la question est de savoir jusqu’à quel point les décideurs les étudient de près.)
Figure 17. Divers indices du CPI-Urban américain, montrés comme dans les figures 7 à 11. Autrement dit, les valeurs des indices pour les périodes ultérieures sont comparées à la valeur moyenne des indices pour 2008. Les statistiques de CPI proviennent du Bureau des statistiques du travail des États-Unis.
La figure 17 montre certaines composantes de l’indice des prix à la consommation (IPC) de manière similaire aux tendances des prix des matières premières que montrent les figures 7 à 11. J'ai choisi la catégorie « Mobilier » parce qu’elle inclut des meubles, et parce que je sais que les prix des meubles ont baissé à cause de la consommation croissante de meubles importés de Chine à bas prix. Cette catégorie montre une légère baisse des prix. Les autres catégories montrent toutes de légères hausses avec le temps. Si les prix des matières premières n’avaient pas baissé, les prix des autres catégories auraient très probablement augmenté bien plus que ce que l'on a observé sur la période considérée.
Il est tout à fait possible que, pour une courte période, les prix du pétrole remontent jusqu’à 80, voire 100 dollars le baril. Mais s'ils augmentent très fortement et se maintiennent très longtemps à un niveau élevé, cela aura des effets néfastes sur d'autres secteurs de l’économie. Il ne faut pas s'attendre à ce que les salaires augmentent en même temps. Une hausse des prix du pétrole entraînera donc probablement une baisse des achats de produits discrétionnaires comme des repas au restaurant, des contributions à des associations de bienfaisance et des voyages de vacances. A son tour, il faut s’attendre à ce que ces coupes dans les dépenses entraînent des licenciements dans divers secteurs économiques. Les travailleurs licenciés ont probablement du mal à rembourser leurs prêts. De ce fait, l'économie risque fort de retourner en récession.
Comme on l’a vu plus haut, ce ne sont pas seulement les prix du pétrole qui ont besoin augmenter : de nombreux autres prix doivent aussi augmenter. Un changement d'une telle ampleur est quasiment impossible sans l’économie ne « crashe ».
Les économistes ont construit une vision simplifiée de la manière dont ils imaginent que l’offre et la demande fonctionnent. Ce modèle simple semble marcher, du moins raisonnablement bien, tant que l'on est loin des limites. Ce dont les économistes ne se sont pas rendu compte, c’est que les limites auxquelles nous sommes confrontés sont réellement des limites au caractère abordable des biens et services, et que rendre les produits plus accessibles dépend de la croissance de la productivité. À son tour, la croissance de la productivité dépend d’une quantité croissante d'approvisionnements énergétiques peu coûteux à produire. Le terme de « demande » et le modèle de l'offre et de la demande à deux dimensions cachent tous ces problèmes.
La question des limites, dans son ensemble, a été comprise de travers. Les tenants du pic pétrolier ont supposé que l'on arrivait à « épuisement » d’un produit énergétique essentiel. En combinant ce point de vue avec la vision des économistes de l’offre et de la demande, la conclusion a été : « Bien sûr, les prix du pétrole vont augmenter, afin de résoudre la situation ».
Peu d’entre eux se sont interrompus pour se rendre compte qu’il y avait une autre manière de voir les choses. Ce qui chute, ce sont les ressources dont les gens ont besoin pour pouvoir avoir un emploi bien payé. Quand c'est le cas, il faut s'attendre à ce que les prix baissent au lieu de monter, parce que les travailleurs sont de plus en plus dans l'incapacité de s’acheter ce que produit l’économie.
Si l'on se retourne pour regarder ce qui s’est passé dans le passé, on constate à de nombreuses reprises, les économies se sont effondrées. En fait, c’est probablement ce à quoi il faudrait nous attendre à mesure que l'on se rapproche des limites, au lieu de s'attendre à des prix élevés du pétrole. Si un effondrement devrait se produire, nous devrions nous attendre à des défauts de dette généralisés et à des problèmes majeurs au sein du système financier. Les États risquent alors de rencontrer des difficultés à percevoir assez d'impôts pour financer les services publics, et risquent de finir par faire faillite. Systématiquement, dans l'histoire, les travailleurs peu qualifiés s'en sont assez mal sortis en cas d'effondrement. Avec de faibles salaires et de lourds impôts, ils ont souvent fini par succomber à des épidémies. Et actuellement, nous subissons une véritable épidémie : une épidémie d’opioïdes.