Le PIB mondial semble avoir atteint un maximum en dollars US courants : c’est un problème

Par Gail Tverberg
14 août 2017

D’une certaine manière, le PIB mondial exprimé en dollars US courants est le calcul le plus simple qu’une personne puisse faire du PIB mondial. On le calcule en prenant, pour chaque pays, son PIB annuel en monnaie locale (par exemple, le yen), et en le convertissant ensuite en dollars US en utilisant la valeur relative du moment entre la monnaie locale et le dollar US.

Pour obtenir le total mondial, il suffit de faire la somme des montants de PIB de tous ces pays, qui n’ont pas besoin d’être corrigés de l’inflation. Comparer les croissances de PIB calculées ainsi donne une indication sur la croissance de l’économie mondiale, inflation comprise. Un tel calcul du PIB inclut également les changements de valeur relative des monnaies par rapport au dollar US.

Ce qui est inquiétant concernant ces quelques dernières années, c’est que le PIB mondial calculé de cette manière a cessé de croître vigoureusement. En fait, il est même possible qu’il ait commencé à baisser, avec un maximum atteint en 2014. La figure 1 montre le PIB mondial en dollars US courants, d’après un graphe de la Banque mondiale.

Figure 1. PIB mondial en « dollars US courants », dans un graphe tiré du site Web de la Banque mondiale.

Figure 1. PIB mondial en « dollars US courants », dans un graphe tiré du site Web de la Banque mondiale.

Comme le concept du PIB en dollars US courants n’est pas vraiment un sujet bien connu de tous, l’un des objectifs de cet article va être d’explorer la manière dont les valeurs de PIB et d’inflation calculés ainsi peuvent correspondre à d’autres notions dont nous sommes plus familiers.

Quand je regarde ces données, il me paraît manifeste que la raison pour laquelle le PIB actuel exprimé en dollars US courants ralentit est très liée aux questions que je traite depuis plusieurs années sur ce blog. En particulier, elle me paraît liée à la chute des prix du pétrole depuis mi-2014 et aux problèmes que les producteurs de pétrole rencontrent depuis lors, faisant une trop faible marge sur le pétrole qu’ils vendent. Gaz naturel et charbon rencontrent le même genre de problèmes, tout comme d’autres matières premières. Ces prix bas et la situation de déflation qu’ils provoquent semblent se traduire sous la forme d’un faible PIB mondial en dollars US courants.

Figure 2. Salaires moyens par personne calculés en divisant le total des « salaires et traitements » déclarés par le BEA américain par la population totale des États-Unis, et en ajustant de l’inflation (référence 2016) à l’aide des indices CPI-Urban. Salaires et prix du pétrole par personne aux États-Unis, en dollars de 2016 Salaires (×1000) Prix du pétrole Montant en dollars US de 2016

Figure 2. Salaires moyens par personne calculés en divisant le total des « salaires et traitements » déclarés par le BEA américain par la population totale des États-Unis, et en ajustant de l’inflation (référence 2016) à l’aide des indices CPI-Urban. Le prix moyen du pétrole hors inflation repose principalement sur les données en série longue de prix du pétrole brut de Brent tel que rapporté par BP, elles aussi corrigés de l’inflation (référence 2016) à l’aide des indices CPI-Urban.

Alors que les produits énergétiques semblent représenter une part relativement faible du PIB mondial, ils jouent en fait un rôle démesuré. Cela est dû, pour partie, au fait que consommer des produits énergétiques permet de faire croître le PIB (l’énergie fournit la chaleur et les mouvements nécessaires aux processus industriels) et pour partie au fait qu’une hausse du prix des produits énergétiques conduit, de manière indirecte, à une hausse du prix des autres biens et services. Cette croissance des prix permet d’utiliser la dette pour financer des biens et des services de tous types.

Une baisse du prix des produits énergétiques a des conséquences ambivalentes. Le principal effet favorable est que la baisse des prix permet aux pays importateurs de pétrole, comme les États-Unis, les pays de l’Union européenne, le Japon ou la Chine, de croître plus rapidement. Jusqu’à présent, c’est cet effet qui était prédominant.

Les conséquences négatives sont plus lentes à apparaître, ce qui explique que nous les ayons moins vu jusqu’à maintenant. Il s’agit du fait que ces prix plus bas ont tendance à produire de la déflation plutôt que de l’inflation, ce qui rend la dette plus difficile à rembourser. Une autre conséquence négative est que les prix plus bas poussent (lentement) les entreprises productrices de produits énergétiques à la faillite, ce qui est une autre cause, différente, de perturbation du système d’endettement. Une troisième conséquence négative, ce sont les licenciements dans les industries qui sont touchées par ces prix bas. Une quatrième conséquence négative est que cela provoque une baisse des recettes fiscales, en particulier dans les pays exportateurs de pétrole. Cette baisse des recettes fiscales a tendance à obliger les États en question à faire des coupes drastiques dans leurs programmes publics et à des phénomènes comme ceux que l’on a observé récemment au Venezuela.

Dans cet article, j’essaie d’expliciter le lien entre ce que je vois dans les données récentes (de PIB exprimé en dollars US courants) et les problèmes dont je parle dans mes articles précédents. Il me semble que les prix du pétrole et des autres produits énergétiques n’ont aucune chance de remonter à un niveau de prix suffisant pour les producteurs, parce que nous sommes en train d’atteindre une limite de prix abordable pour les produits énergétiques. Il faut donc s’attendre à ce que le PIB mondial en dollars courants reste faible et finisse par décliner. Il semble donc que nous soyons en train d’atteindre un maximum pour le PIB exprimé en dollars courants.

De plus, dans les années à venir, on peut s’attendre à ce que les conséquences négatives de la baisse des prix du pétrole et des autres combustibles commencent à prendre le dessus sur les conséquences positives. On peut s’attendre à ce que cette évolution débouche sur des problèmes financiers liés à la dette, sur une instabilité des gouvernements des États exportateurs de pétrole et sur une baisse de la consommation d’énergie de toute sorte.

Le pic de la consommation d’énergie par personne fait aussi partie du problème

L’un des problèmes qui aggrave largement notre situation actuelle est le fait que la consommation mondiale d’énergie par personne semble avoir atteint un maximum en 2013 (figure 3).

Figure 3. Consommation mondiale quotidienne d’énergie par personne. Consommation quotidienne d’énergie par personne dans le monde Consommation Kilogramme équiv. pétrole par jour

Figure 3. Consommation mondiale quotidienne d’énergie par personne, d’après des données de consommation d’énergie primaire du BP Statistical Review of World Energy et d’estimations démographiques des Nations Unies pour 2017.

Étonnamment, ce pic de consommation s’est produit avant que le pétrole et les autres prix de l’énergie ne s’effondrent à partir de la mi-2014. Certains pourrait croire qu’avec ces prix plus bas, les consommateurs vont pouvoir se permettre d’acheter plus de biens énergétiques par personne, et non moins.

La consommation d’énergie par personne devrait augmenter si les prix baissent, sauf si la chute des prix est due à un problème d’accessibilité financière. Si la baisse des prix est le reflet d’un problème d’accessibilité financière (c’est-à-dire que les salaires de la plupart des travailleurs ne sont pas assez élevés pour leur permettre d’acheter les biens et services, comme les maisons et les voitures, qui sont fabriqués grâce à des produits énergétiques), on s’attendrait à voir précisément ce que l’on constate en ce moment– des prix bas pour le pétrole et pour d’autres produits énergétiques, ainsi qu’une baisse de la consommation par personne. Si la raison de la baisse de la consommation d’énergie par personne est due à un problème d’accessibilité financière, il y a peu d’espoir que les prix remontent assez pour résoudre notre problème actuel.

Un élément notable qui étaye l’hypothèse selon laquelle le problème auquel nous faisons face est réellement un problème d’accessibilité financière, c’est le fait que ces dernières années, les prix de l’énergie ont été trop bas pour les entreprises productrices de pétrole et d’autres produits énergétiques. Depuis 2015, des centaines d’entreprises pétrolières, gazières et charbonnières ont fait faillite. L’Arabie saoudite a dû emprunter de grosses sommes d’argent pour financer son budget, car aux prix courants, ses recettes fiscales sont devenues insuffisantes. Aux États-Unis, les investisseurs font des coupes franches dans leur soutien aux investissements pétroliers, à cause des pertes financières continues des entreprises du secteur et de l’accumulation d’éléments qui montrent que les approches adoptées pour limiter ces pertes ne fonctionnent pas vraiment.

Quels pays subissent une baisse de leur PIB en dollars US courants ?

Avec la baisse des prix du pétrole, l’Arabie Saoudite est l’un des pays qui voit son PIB baisser en dollars US courants.

Figure 4. Croissance du PIB de l’Arabie saoudite en dollars US courants depuis 1990. PIB en dollars US courants d’Arabie saoudite Arabie saoudite PIB : Indice 1 en 1990

Figure 4. Croissance du PIB de l’Arabie saoudite en dollars US courants depuis 1990, d’après des données de la Banque mondiale.

Pour sa devise, l’Arabie saoudite a établi un régime de change fixe par rapport au dollar US. Son PIB plus faible n’est donc pas lié au fait que sa devise aurait baissé par rapport au dollar US. C’est plutôt le reflet du fait que, exprimé en dollars US, un moindre montant de biens et de services de toutes sortes y sont produits. Les calculs de PIB ne tiennent pas compte de la dette, ce qui signifie que ce que la figure 4 montre, c’est que même avec tout ce que l’Arabie saoudite a emprunté pour compenser la chute de ses revenus pétroliers, la quantité de biens et de services qu’elle a pu produire a baissé en 2015 et en 2016.

D’autres pays producteurs de pétrole rencontrent clairement, eux aussi, des problèmes, mais la base de données de la Banque mondiale manque souvent de données pour ces pays. Par exemple, le Venezuela fait clairement face à des problèmes de prix bas du pétrole, mais les montants de PIB de ce pays sont absents de la base de données pour 2014, 2015 et 2016. (Cependant, il semble que, d’une manière ou d’une autre, les totaux mondiaux incluent des estimations des montants qui manquent.)

La figure 5 montre des ratios comparables à ceux de la figure 4 pour un certain nombre d’autres pays producteurs de matières premières.

Figure 5. Allures générales de PIB, en dollars US courants, pour un certain nombre de pays exportateurs de ressources. PIB d’économies dépendantes des ressources pour leurs exportations, en dollars US courants Australie Brésil Canada Mexique Norvège Russie Afrique du s. PIB : Indice 1 en 1990

Figure 5. Allures générales de PIB, en dollars US courants, pour un certain nombre de pays exportateurs de ressources, d’après des données de la Banque mondiale.

Une comparaison des figures 4 et 5 montre que l’allure générale du PIB de ces pays ressemble beaucoup à celle pour l’Arabie saoudite. Parce que, pour ces pays, l’extraction de ressources (y compris de pétrole) ne représente pas une part aussi importante de leur PIB que pour l’Arabie saoudite, le pic du pourcentage de PIB en 1990 n’est pas aussi élevé que pour l’Arabie saoudite. Mais la tendance reste à la baisse, avec, en général, un pic en 2014.

On peut aussi regarder le même genre de données pour les pays qui sont, historiquement, de grands consommateurs de pétrole, de charbon et de gaz naturel, à savoir les États-Unis, les pays de l’Union européenne et le Japon.

Figure 6. Croissance du PIB depuis 1990 pour les États-Unis, les pays de l’Union européenne et le Japon, en dollars courants. PIB des États-Unis, de l’UE et du Japon en dollars US courants États-Unis Union Eur. Japon PIB : Indice 1 en 1990

Figure 6. Croissance du PIB depuis 1990 pour les États-Unis, les pays de l’Union européenne et le Japon, en dollars courants, d’après des données de la Banque mondiale.

Ici, on constate que la tendance suivie par la croissance est beaucoup moins forte que pour les pays que présentaient les deux figures précédentes. J’ai volontairement fixé la limite supérieure de l’échelle de ce graphique à 6 fois le niveau du PIB de 1990. Elle est comparable à celle des figures précédentes, ce qui souligne à quel point ces pays consommateurs ont connu une croissance plus faible que les pays exportateurs des figures 4 et 5.

En fait, pour l’Union européenne et le Japon, le PIB en dollars courants est désormais inférieur à ce qu’il était encore récemment. La figure 6 nous apprend que les biens et services produits dans ces pays ont désormais une valeur plus faible en dollars US qu’il y a encore quelques années. Comme une partie du coût des biens et des services sert à payer les salaires, cette valeur relative plus faible implique, de manière indirecte, que les salaires des travailleurs européens et japonais ont baissé par rapport au coût d’achat des biens et services dont le prix est en dollars US. Ainsi, même en laissant de côté les taxes qu’ajoutent ces pays, les consommateurs européens et japonais se sont laissé distancer en matière de capacité à acheter des produits énergétiques en dollars US.

En fait, pour l’Union européenne et le Japon, le PIB en dollars courants est désormais inférieur à ce qu’il était encore récemment. La figure 6 nous apprend que les biens et services produits dans ces pays ont désormais une valeur plus faible en dollars US qu’il y a encore quelques années. Comme une partie du coût des biens et des services sert à payer les salaires, cette valeur relative plus faible implique, de manière indirecte, que les salaires des travailleurs européens et japonais ont baissé par rapport au coût d’achat des biens et services dont le prix est en dollars US. Ainsi, même en laissant de côté les taxes qu’ajoutent ces pays, les consommateurs européens et japonais se sont laissé distancer en matière de capacité à acheter des produits énergétiques en dollars US.

La figure 6 montre que les États-Unis ont plutôt mieux réussi à faire croître la valeur des biens et services qu’ils produisent chaque année que les pays européens et le Japon. Si l’on revient à la figure 2, on constate toutefois que même aux États-Unis, la croissance des salaires est restée bien plus faible que la croissance des prix du pétrole. Ainsi, les États-Unis se sont eux aussi dirigés vers un problème d’accessibilité financière des biens et services fabriqués à l’aide de pétrole.

Quant aux pays exportateurs d’Asie, ils ont plutôt bien réussi à maintenir leur économie en croissance, malgré la pression à la baisse sur les prix de l’énergie.

Figure 7. Croissance du PIB depuis 1990 pour un certain nombre de pays exportateurs d’Asie en forte croissance en dollars US courants. PIB d’économies asiatiques en croissance rapide, en dollars US courants Chine Inde Pakistan Philippines Vietnam PIB : Indice 1 en 1990

Figure 7. Croissance du PIB depuis 1990 pour un certain nombre de pays exportateurs d’Asie en forte croissance en dollars US courants, d’après des données de la Banque mondiale.

Les deux pays ayant la croissance la plus forte sont la Chine et le Vietnam. Leur croissance semble avoir récemment ralenti, sans toutefois qu’il y ait eu de véritable retournement de conjoncture.

L’Inde, le Pakistan et les Philippines ont une croissance moins vigoureuse. Il ne semble pas qu’ils aient connu le moindre retournement de conjoncture.

À la lecture des indications que donnent les figures 4 à 7, il semble qu’un petit nombre de pays seulement ait connu une hausse de son PIB exprimé en dollars US courants. Même si nous n’avons pas étudié l’ensemble des groupes de pays possibles, les pays qui ont connu la croissance la plus rapide de leur PIB en dollars US courants semblent être les pays exportateurs de produits manufacturés, notamment ceux d’Asie. À l’inverse, les pays dont une part significative du PIB provient de la production de produits énergétiques et de matières premières semblent avoir connu une baisse de leur PIB en dollars US courants.

Pour résoudre les problèmes que je présente ici, il faudrait que les prix du pétrole et des autres produits énergétiques repartent à la hausse. De manière indirecte, cela augmenterait les prix de nombreux autres produits, notamment la nourriture, les véhicules neufs et les nouveaux logements. Avec des salaires qui augmentent peu dans de nombreux pays, cela semble quasiment impossible.

Le large éventail d’indications du PIB qui se présente à nous

Dans cet article, je parle du PIB de divers pays converti en dollars US. Ce n’est pas tout à fait le même PIB que celui dont on parle habituellement. On ne commence à réaliser à quel point les divers calculs de PIB et d’inflation diffèrent que lorsqu’on commence à travailler avec des données mondiales.

Le PIB en dollars US est un indicateur fondamental, parce que les produits énergétiques, y compris le pétrole, se vendent généralement en dollars US. Et cela semble se vérifier, indépendamment du fait que la transaction se fasse réellement en dollars US ou pas. Le lecteur trouvera dans l’annexe A des graphes mettant en évidence le lien étroit entre les deux.

Le type de PIB que l’on trouve généralement publié est le PIB corrigé de l’inflation (que l’on appelle aussi « PIB réel »). On y suppose que personne ne se soucie (vraiment) de l’inflation. En général, les chiffres de PIB corrigés de l’inflation sont beaucoup plus stables que ceux exprimés en dollars US courants. On peut le voir en comparant le PIB mondial que montre la figure 8 avec celui que montre la figure 1.

Figure 8. PIB des États-Unis et du monde en dollars US de 2010. « PIB corrigé de l’inflation », appelé aussi « PIB en dollars de 2010 » ou « PIB réel » Monde États-Unis PIB en billiards de dollars US de 2010

Figure 8. PIB des États-Unis et du monde en dollars US de 2010, d’après des données de la Banque mondiale.

Quand on regarde les données de PIB mondial corrigées de l’inflation, aucune crise à venir ne semble poindre son nez. Le dernier problème significatif a été la période 2008–2009. Et même cette crise semble avoir eu des conséquences assez limitées. Par contre, la crise de 2008–2009 apparaît plus nettement quand on regarde les montants de PIB en dollars US courants, comme le fait la figure 1.

Les chiffres de croissance du PIB mondial publiés par la Banque mondiale et par d’autres institutions combinent des données pays par pays en utilisant un mécanisme de pondération. Les économistes ont tendance à utiliser une approche appelée « Parité de Pouvoir d’Achat » (PPA). Cette approche donne considérablement plus de poids aux pays en développement que l’approche pondérée par le dollar US, que cet article utilise. Par exemple, dans le cadre de l’approche en PPA, la Chine semble avoir un PIB pondéré d’environ 1,9 fois son PIB en dollars US ; l’Inde semble avoir un PIB pondéré égal à environ 3,8 fois son PIB en dollars US. Les États-Unis ont un PIB pondéré strictement égal à leur PIB en dollars US ; quant aux autres pays développés, ils ont tendance à avoir un PIB pondéré assez proche leur PIB en dollars US. Il faudrait plutôt appeler le PIB mondial que l’on voit publié régulièrement « PIB mondial corrigé de l’inflation et calculé avec une pondération en parité de pouvoir d’achat ».

La figure 9 montre le lien entre les trois types de PIB. Il est clair que la croissance du PIB en dollars US courants est beaucoup plus variable que celle du PIB corrigé de l’inflation (en dollars US de 2010). La croissance du PIB corrigé de l’inflation et en PPA est systématiquement plus élevée que celle du PIB pondéré par le taux de change du dollar US.

Figure 9. Croissance du PIB mondial en utilisant trois manières différentes de calculer le PIB : en dollars courants, corrigé de l’inflation en dollars US de 2010, et pondéré en parité de pouvoir d’achat (PPA). Croissance du PIB mondial selon 3 méthodes de calcul différentes Taux de croissance (moyenne mobile sur 3 ans) en dollars US courants en dollars US de 2010 en dollars US en PPA

Figure 9. Croissance du PIB mondial en utilisant trois manières différentes de calculer le PIB : en dollars courants, corrigé de l’inflation en dollars US de 2010, et pondéré en parité de pouvoir d’achat (PPA).

La figure 9 révèle aussi une grosse surprise sur les années les plus récentes : le taux de croissance économique atteint un niveau bas record, quand on le calcule en dollars US courants.

Indications mondiales « d’inflation »

La méthode typique pour calculer le taux d’inflation consiste à relever les prix d’un panier de marchandises dans une monnaie donnée, comme par exemple le yen, et à regarder comment évoluent les prix de ces marchandises sur une période de temps donnée. Pour obtenir un taux d’inflation pour un groupe de pays (comme par exemple ceux du G20), on attribue des poids aux taux d’inflation des différents pays. J’imagine que ces poids ont de bonnes chances d’être ceux-là même qui sont utilisés pour calculer le PIB mondial, à savoir en parité de pouvoir d’achat.

Dans la figure 10, j’ai calculé le taux d’inflation mondiale implicite en utilisant une autre approche. Depuis que la Banque mondiale publie le PIB mondial à la fois en dollars US de 2010 et en dollars US courants, on peut calculer un taux d’inflation mondial implicite en comparant les deux montants pour chaque année. (Certains pourraient appeler la valeur ainsi calculée déflateur implicite des prix pour le PIB, plutôt que taux d’inflation.) Pour lisser la variabilité de ces montants d’une année sur l’autre, j’ai utilisé des moyennes glissantes sur trois ans.

Figure 10. Taux d’inflation mondiale calculé en comparant le PIB mondial publié en dollars US courants au PIB mondial publié en dollars US de 2010. Taux d’inflation mondiale en dollars US Taux (moy. mobile sur 3 ans) Taux d’inflation mondiale

Figure 10. Taux d’inflation mondiale calculé en comparant le PIB mondial publié en dollars US courants au PIB mondial publié en dollars US de 2010. Les séries de ces deux montants sont disponibles sur le site Web de la Banque mondiale.

Les taux d’inflation mondiale implicite que l’on obtient avec une telle approche sont assez différents des taux d’inflation mondiale qui sont publiés. Cela s’explique en partie par le fait que les calculs tiennent compte des variations de taux de change entre devises. D’autres facteurs peuvent également entrer en ligne de compte, comme la prise en compte de pays qui normalement seraient exclus du calcul agrégé. Les taux d’inflation ont tendance à être élevés lorsque la demande de produits énergétiques est élevée, et faible lorsque la demande de produits énergétiques est faible.

La figure 10 montre que, au niveau mondial, les taux d’inflation sont devenus négatifs à trois reprises depuis 1963 : en gros vers 1983–1984 ; entre la fin des années 1990 et le début des années 2000 ; et en gros depuis 2014. Si l’on compare ces dates aux données de prix du pétrole et de consommation d’énergie des figures 2 et 3, on constate que ces périodes ont été à chaque fois marquées par une baisse de la consommation d’énergie par personne et par une faiblesse des prix du pétrole. D’une certaine manière, ce sont les périodes où l’économie s’est mise à caler faute d’une demande suffisante de pétrole.

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, la solution de contournement qui a été utilisée pour « régler » le problème de manque de demande semble avoir été de se focaliser toujours plus sur la mondialisation. En particulier, la croissance de la Chine a été d’une grande importance car cela a généré à la fois un surcroît d’approvisionnement en énergie bon marché tirée du charbon et une forte hausse de la demande de produits énergétiques. L’ajout de charbon a effectivement réduit le prix moyen des produits énergétiques, ce qui les a rendus de nouveau abordables par une grande part de la population mondiale. La disponibilité de la dette pour développer l’économie chinoise et celle d’autres économies asiatiques a eu certainement également son importance.

Pour une large part, les États-Unis ont été relativement bien protégés par le fait que leur devise, le dollar US, est la monnaie de réserve du monde. Si l’on regarde le taux d’inflation des États-Unis en utilisant les données du Bureau d'analyse économique des États-Unis, la dernière fois que les États-Unis ont connu une période notable de contraction des prix fut la Grande Dépression américaine des années 1930. Il est tout à fait possible que le monde entier ait connu une situation similaire à l’époque, mais je n’ai pas de données mondiales à ma disposition pour cette période.

Figure 11. Taux d’inflation (en fait, « déflateur du PIB ») des États-Unis obtenu en comparant le PIB des États-Unis en dollars US de 2009 au PIB en dollars US courants. Taux d’inflation aux États-Unis Taux (moy. mobile sur 3 ans) Taux d’inflation

Figure 11. Taux d’inflation (en fait, « déflateur du PIB ») des États-Unis obtenu en comparant le PIB des États-Unis en dollars US de 2009 au PIB en dollars US courants, d’après les données du Bureau of Economic Analysis des États-Unis.

C’est durant la Grande Dépression des années 1930 que des défauts de remboursement de dette se sont généralisés. Et ce n’est que grâce à d’énormes dépenses financées par le déficit, y compris le financement par la dette de la Seconde Guerre mondiale, que le pays a réussi à éliminer totalement son problème d’insuffisance de la demande de biens et de services.

Comment, cette fois, pouvons-nous résoudre notre crise mondiale de déflation ?

Il semble qu’il y ait trois manières possibles de créer une demande de biens et de services.

[1] Un approvisionnement croissant en produits énergétiques peu coûteux à produire est vraiment le levier de base d’accroître la demande grâce à la croissance économique.

Si des produits énergétiques bon marché à produire sont disponibles, on peut utiliser un approvisionnement croissant de ces produits énergétiques pour démultiplier toujours plus le travail humain, via l’utilisation, par les travailleurs, d’outils toujours plus nombreux et de meilleure qualité. À mesure que les travailleurs deviennent de plus en plus productifs, leur salaire augmente de manière naturelle. C’est cette productivité croissante du travail humain qui, en général, produit la demande croissante indispensable au maintien d’un cycle de croissance économique.

À mesure que la croissance de la consommation d’énergie ralentit puis se met à baisser (figure 3), cette croissance de la productivité a elle-même tendance à disparaître. Il semble que ce phénomène fasse partie du problème que nous rencontrons aujourd’hui.

[2] Augmenter l’encours de dette peut contribuer à rendre le système d’extraction d’énergie plus efficace, en augmentant le prix que les consommateurs peuvent payer pour des produits coûteux.

Cette capacité croissante à payer pour acheter des produits coûteux semble avoir 2 sources possibles :

  1. On peut utiliser la dette elle-même pour payer des biens, ce qui rend ces biens plus abordables d’un mois sur l’autre ou d’une année sur l’autre.
  2. Une dette accrue peut conduire à une hausse des salaires des travailleurs, car une partie du surcroît de dette finit par créer de nouveaux emplois et permettre de payer les travailleurs. La figure 12 montre le lien positif qui semble exister aux États-Unis entre hausse de la dette et salaires corrigés de l’inflation.
Figure 12. Croissance des salaires aux États-Unis par rapport à la croissance de la dette non financière. Croissance des salaires et de la dette non financière aux États-Unis (par personne et corrigée de l’inflation) Croissance des salaires Croissance de la dette Taux de croissance (moy.mob. sur 3 ans)

Figure 12. Croissance des salaires aux États-Unis par rapport à la croissance de la dette non financière. Les données de salaires proviennent du US Bureau of Economics, catégorie « Wages and Salaries ». La dette non financière est une série longue interrompue de la Federal Reserve Bank de St. Louis. (Note : le graphe ne montre pas de valeur pour 2016.) Les deux séries de données ont été corrigées de la croissance démographique des États-Unis et de la croissance de l’indice CPI-Urban.

En fait, la dette est une promesse de biens et services futurs fabriqués avec des produits énergétiques. Ces promesses sont souvent utiles, permettant à une économie de se développer. Par exemple, les entreprises peuvent émettre des obligations qui vont fournir des fonds avec lesquels elles pourront développer leurs activités. La vente d’actions fonctionne de la même manière que la création de dette, les opérations futures permettant leur remboursement. Dans les deux cas, ce remboursement est rendu possible si la consommation d’énergie augmente effectivement, permettant à l’entreprise de développer sa production comme prévu.

À partir du moment où les leaders mondiaux vont décider que les niveaux d’endettement sont trop élevés, ou qu’il faut mieux les contrôler, nous allons probablement rencontrer des problèmes parce que la dette peut être très utile pour « faire progresser l’économie ». C’est particulièrement le cas si la croissance de la productivité est faible parce que la consommation d’énergie par personne baisse.

[3] Rééquilibrer la valeur relative des devises par rapport au dollar US.

Il semble que le rééquilibrage de la valeur relative des devises par rapport au dollar US joue un grand rôle dans la détermination du « taux d’inflation » calculé à la figure 10, ainsi que dans la forme du graphe de PIB en dollars courants de la figure 1. De manière générale, plus le dollar US est faible par rapport aux autres monnaies, plus la demande de biens et de services de toutes sortes est élevée, et donc plus la demande de produits énergétiques est élevée.

L’un des problèmes de ces dernières années est que, d’une certaine manière, les autres monnaies ont en moyenne perdu une partie de leur valeur par rapport au dollar US. Ce renforcement de la valeur du dollar US s’est produit à la fin de l’année 2014 quand les États-Unis ont cessé d’avoir recours à l’assouplissement quantitatif.

Figure 13. Prix mensuels du pétrole de Brent avec les dates de début et de fin de la politique d’assouplissement quantitatif des États-Unis. Prix du baril de Brent en moyenne mensuelle Prix Prix du baril (dollars US) Début AQ1 US Fin AQ3 US

Figure 13. Prix mensuels du pétrole brut de Brent, avec les dates de début et de fin des programmes d’assouplissement quantitatif aux États-Unis.

À ce moment-là, les prix du pétrole et des autres produits énergétiques ont brutalement chuté. En fait, en termes corrigés de l’inflation, les prix du pétrole avaient déjà commencé à baisser avant même avant la fin du programme d’assouplissement quantitatif (on peut le voir dans la figure 2 ci-dessus). L’évolution des valeurs relatives des devises a rendu le pétrole et les autres produits énergétiques plus chers pour les habitants de l’Union européenne, du Japon et de la plupart des pays producteurs de matières premières que montrent les figures 4 et 5.

Le problème ultime derrière cette hausse de la valeur du dollars par rapport aux autres devises est qu’il existe désormais un écart entre les prix que les consommateurs du monde entier peuvent se permettre de payer pour les produits énergétiques, et les prix dont les entreprises qui produisent ces produits énergétiques ont réellement besoin. J’ai déjà décrit ce problème dans plusieurs articles précédents, comme par exemple dans Pourquoi les indications données par les modèles énergie-économie pèchent par excès d’optimisme.

À ce stade, aucune de ces trois approches ne semble fonctionner pour résoudre le problème de déflation mondiale :

  1. La hausse de l’offre de pétrole et des autres produits énergétiques ne fonctionne pas bien, parce que les rendements décroissants ont conduit à une situation où, lorsque les prix sont suffisamment élevés pour les producteurs de produits énergétiques, ils sont trop élevés pour que les consommateurs puissent s’acheter les produits finis fabriqués à l’aide de ces produits énergétiques.
  2. Les dirigeants du monde ont décidé que nous avions trop de dette – et en effet, les niveaux d’endettement sont très élevés. Mais en pratique, si les prix de l’énergie persistent à être bas, une part importante de l’encours de dette ne pourra probablement pas être remboursée.
  3. En général, les pays ne veulent pas apprécier leur monnaie par rapport au dollar US, parce que des taux de change plus faibles ont tendance à soutenir les exportations. Si les États-Unis augmentent leurs taux d’intérêt, soit directement, soit en vendant leurs obligations acquises dans le cadre de l’assouplissement quantitatif, on peut s’attendre à ce que la valeur du dollar US augmente par rapport aux autres devises. La valeur des autres devises par rapport au dollar US risque donc de se retrouver encore plus faible qu’aujourd’hui. Cela aura tendance à aggraver un peu plus le problème des prix bas du pétrole (et des autres prix de l’énergie).

Il semble donc n’y avoir aucun moyen de sortir de la situation périlleuse que nous connaissons aujourd’hui.

Conclusion

L’économie mondiale est dans une situation très précaire. De nombreuses économies à travers le monde ont constaté que, exprimée en dollars courants, la valeur des biens et services qu’elles produisent a baissé par rapport à 2013 et 2014. En particulier, tous les pays exportateurs de pétrole rencontrent ce problème, tout comme de nombreux pays producteurs de matières premières.

Les gouvernements du monde entier semblent ne pas comprendre la situation à laquelle nous sommes confrontés. Cela s’explique en grande partie par le fait que les économistes ont construit des modèles qui reposent sur leur propre vision de la manière dont fonctionne le monde. Leurs modèles ont tendance à laisser de côté le rôle fondamental que joue l’énergie. Les estimations de croissance du PIB et d’inflation faites sur la base de calculs de parité de pouvoir d’achat donnent une vision trompeuse de la manière dont fonctionne réellement l’économie.

Nous semblons avancer à l’aveugle dans une version encore pire de la Grande Dépression des années 1930. Et même si les économistes étaient capables de comprendre ce qui se passe, il n’est pas sûr que l’on puisse trouver une bonne issue au problème. Des prix de l’énergie plus élevés aiderait les producteurs d’énergie, mais pousserait les pays importateurs d’énergie vers la récession. Il semble que nous soyons face à une situation difficile pour laquelle aucune solution n’existe.

Annexe

La croissance du PIB hors inflation provient de la croissance de la consommation d’énergie

On entend souvent dire que le PIB ne dépend plus de la consommation d’énergie. En fait, c’est tout simplement faux. La consommation d’énergie est indispensable à pratiquement tous les processus industriels, car c’est l’énergie qui provoque les transformations physiques que ces processus doivent réaliser (y compris sous forme de chaleur, de lumière ou de déplacement). Même les services qui n’exigent qu’un bureau éclairé et climatisé et l’utilisation d’ordinateurs requièrent de consommer de l’énergie sous une forme ou une autre.

Un pays industrialisé peut délocaliser vers d’autres pays la fabrication d’un grand nombre de ses produits, mais le besoin de consommer des produits énergétiques va de pair avec cette externalisation. Le transfert de l’industrie manufacturière vers des pays moins développés a tendance à stimuler la construction dans ces pays. De ce fait, au niveau mondial, la quantité d’énergie consommée a tendance à rester à peu près inchangée.

En utilisant les données allant de 1965 à 2016, on trouve la relation suivante entre le PIB mondial corrigé de l’inflation et la consommation mondiale d’énergie :

Figure A-1. Croissance mondiale de la consommation d’énergie par rapport à la croissance du PIB mondial. Croissance mondiale du PIB et de l’énergie Taux de croissance (moy. mobile sur 3 ans) Énergie PIB

Figure A-1. Croissance mondiale de la consommation d’énergie par rapport à la croissance du PIB mondial. Les données de consommation d’énergie proviennent du BP Statistical Review of World Energy 2017. Le PIB mondial est exprimé en dollars US de 2010, tel que compilé par la Banque mondiale.

Une autre manière d’afficher ces données est d’utiliser un graphe X-Y. Cela permet de mettre en évidence une très forte corrélation à long terme entre les deux.

Figure A-2. Graphe X-Y de la consommation mondiale d’énergie par rapport au PIB mondial en dollars US de 2010. Consommation d’énergie vs. PIB  (1965–2016) en dollars de 2010 1965–2016 Régression linéaire (1965–2016) Consommation d’énergie primaire (milliards de tep) PIB en milliers de milliards de dollars US de 2010

Figure A-2. Graphe X-Y de la consommation mondiale d’énergie (d’après le BP Statistical Review of World Energy 2017) par rapport au PIB mondial en dollars US de 2010, d’après la Banque mondiale.

On retrouve aussi ce niveau de corrélation très élevé à l’échelle de groupes de pays. Par exemple, pour le groupe Moyen-Orient et Afrique du Nord, il existe un niveau élevé de corrélation entre consommation d’énergie et PIB.

Figure A-3. Graphe X-Y montrant la corrélation entre la consommation d’énergie et le PIB au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Consommation d’énergie vs. PIB (dollars 2010) Moyen-Orient + Afrique du Nord 3 500 3 000 2 500 2 000 1 500 1 000 500 0 1990–2016 Régression linéaire (1990–2016) 0 200 400 600 800 1 000 1 200 Consommation d’énergie primaire (millions de tep) PIB en milliards de dollars US de 2010

Figure A-3. Graphe X-Y montrant la corrélation entre la consommation d’énergie et le PIB au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Quand on calcule le taux de cette régression linéaire, on constate que la consommation d’énergie de ces pays producteurs de pétrole croît en fait plus vite que leur PIB corrigé de l’inflation. Il faut s’attendre à ce type de tendance si les pays producteurs de pétrole deviennent, d’une certaine manière, moins efficaces dans leur production pétrolière. Un certain nombre de raisons pourrait expliquer qu’un tel phénomène se produise. L’une d’entre elles est que dans ces pays-là comme ailleurs, on extrait d’abord le pétrole le plus facile à extraire, et on laisse l’extraction du pétrole plus cher à extraire pour plus tard. Une autre raison possible pour expliquer une telle tendance est la croissance démographique dans les pays producteurs de pétrole. Les habitants de ces pays conduisent des voitures, et vivent dans des bâtiments climatisés, ce qui augmente la consommation d’énergie de ces pays. Quelle qu’en soit la cause, on peut s’attendre à ce que cette perte d’efficacité dans la production pétrolière compense au moins en partie l’efficacité croissante obtenue ailleurs dans le système.