Pourquoi le politiquement correct ne marche pas ;
Pourquoi ce que nous savons « avec certitude » est faux

Par Gail Tverberg
1er octobre 2017

La plupart d’entre nous sommes familiers de la vision du monde politiquement correcte. William Deresiewicz appelle cette vision du monde la « religion du succès », et il la décrit comme suit :

Il existe une bonne manière de penser, une bonne manière de parler, et aussi une bonne liste de sujets auxquels il faut penser et discuter. La laïcité est considérée comme un acquis. L’écologie est une cause sacrée. Les questions d’identité – principalement la sainte trinité de la race, du genre et de la sexualité – sont au cœur des préoccupations.

D’autres croyances existent qui vont dans le sens de cette religion du succès :

À mes yeux, cette histoire est plus ou moins équivalente à celle que raconte l’article « La terre est plate et infinie, selon des experts que l’on a payés », qu’a écrite par Chris Hume dans Funny Times. Même si cette histoire est populaire, elle est tout simplement ridicule.

Dans le présent article, j’explique pourquoi de nombreuses manières courantes de comprendre les choses sont tout simplement fausses. Je vais parler de plusieurs sujets qui font l’objet de controverses, y compris l’écologie, la littérature scientifique revue par les pairs et les modèles utilisés pour décrire et comprendre le changement climatique. Cet article ne parle pour ainsi dire pas de religion. Je l’ai ajouté à destination des personnes qui ont du mal à croire qu’un article scientifique puisse aussi traiter de religion. Si vous voulez lire l’article dans son intégralité, tel qu’il a été écrit à l’origine, vous pouvez lire cet article-ci.

Légende n°1 : Si un problème de manque de ressources, y compris de pétrole, apparaît un jour, il se manifestera par des prix élevés.

Quand on atteint des limites sur le pétrole ou toute autre ressource finie, le problème que l’on rencontre, c’est un problème d’allocation.

Figure 1. Ce qui se passe quand l’économie cesse de croître Scénario 1 : Selon le système financier sous-jacent Scénario 2 : Schéma de croissance en fait le plus probable 2010 2020 2030 2040 2010 2020 2030 2040

Figure 1. Deux visions de la croissance économique à venir. Figure créée par l’auteur.

Tant que la quantité de ressources que l’on peut extraire du sol augmente plus vite que la population, il n’y a aucun problème de limites. Le petit coin dans lequel chacun pourrait récupérer ces ressources croissantes représente en moyenne une plus grande quantité de cette ressource. Les gens peuvent raisonnablement s’attendre à ce que les retraites futures promises leur soient versées à partir des ressources croissantes. Ils peuvent aussi s’attendre à ce que, à l’avenir, il leur soit possible d’échanger les actions d’entreprises et les obligations qu’ils possèdent contre des biens et des services réels.

Si la quantité de ressources commence à se réduire, le problème que l’on rencontre alors ressemble beaucoup au « jeu des chaises musicales ».

Figure 2. Cercle de chaises disposé pour jouer au jeu des chaises musicales.

Figure 2. Cercle de chaises disposé pour jouer au jeu des chaises musicales. (Source)

Dans le jeu de chaises musicales, on retire une chaise du cercle à chaque tour. Les joueurs doivent se déplacer autour du cercle de chaises. Quand la musique s’arrête, tous les joueurs se jettent sur les chaises non encore occupées. Privé de chaise, le dernier joueur à tenter de s’asseoir est éliminé.

Parmi les acteurs du système économique actuel, on trouve :

Face à la pénurie d’une ressource, la croyance habituelle est que les prix vont augmenter, permettant soit de trouver plus de ressources, soit qu’une substitution se fera. La substitution ne fonctionne que dans certains cas : il est difficile d’imaginer un substitut à l’eau potable. Souvent, il est possible de remplacer un produit énergétique par un autre. Cependant, dans l’ensemble, il n’existe pas de substitut à l’énergie. Si l’on veut chauffer une substance pour produire une réaction chimique, il nous faut de l’énergie. Si l’on veut déplacer un objet d’un endroit à l’autre, nous nous faut de l’énergie. Si l’on veut dessaler de l’eau pour obtenir plus d’eau potable, il faut aussi de l’énergie.

L’économie mondiale est un système en réseau autoorganisé. Dans ce système en réseau, on trouve les entreprises, les administrations publiques et les travailleurs, plus de nombreux types d’énergie, y compris de l’énergie humaine. Les travailleurs jouent un double rôle parce qu’ils sont aussi des consommateurs. Ce qui détermine la manière dont les biens et les services sont alloués, ce sont les « forces du marché ». En fait, ce qui détermine la manière dont agissent ces forces du marché, ce sont les lois de la physique. Ces forces du marché déterminent lequel des joueurs va être éliminé si les solutions ne suffisent pas à satisfaire tout le monde.

Les travailleurs peu qualifiés jouent un rôle central dans ce système parce qu’ils représentent l’essentiel de la population. Ce sont les principaux clients achetant pour les biens comme des logements, de la nourriture, des vêtements et des services de transport. Ils jouent également un rôle majeur dans le paiement des taxes et impôts, et dans le bénéfice des services publics.

L’histoire nous apprend que s’il n’y a pas assez de ressources pour tout le monde, ce à quoi il faut s’attendre, c’est à une hausse des disparités de revenus et de richesses. Ces disparités accrues sont dues à un recours accru à la technologie et à une spécialisation accrue pour essayer de résoudre les différents types de problèmes auxquels à la société fait face. À mesure que l’économie repose de plus en plus sur la technologie, les propriétaires et gestionnaires de la technologie reçoivent des salaires de plus en plus élevés, ce qui en laisse moins aux travailleurs ne disposant pas de compétences particulières. Les propriétaires et gestionnaires ont aussi tendance à recevoir d’autres types de revenus comme des intérêts, des dividendes, des gains en capital et des loyers.

Quand il n’y a pas assez de ressources pour tout le monde, la tentation consiste à utiliser la technologie pour remplacer les travailleurs, parce que cela réduit les coûts. Bien sûr, un robot n’a pas besoin d’acheter de la nourriture ou bien une voiture. Une telle approche a tendance à tirer les prix des matières premières à la baisse, plutôt qu’à la hausse. Si une telle évolution se produit, c’est parce qu’un moins grand nombre de travailleurs est employé ; au total, la quantité de biens que les travailleurs peuvent se permettre d’acheter est moindre. Les prix des matières premières subissent le même type de pression à la baisse quand les salaires des travailleurs peu qualifiés stagnent ou chutent.

Si les salaires des travailleurs peu qualifiés baissent, les États se retrouvent en difficulté croissante, parce qu’ils ne peuvent pas percevoir assez d’impôts pour financer tous les services que la population exige d’eux. L’histoire montre que dans de telles situations, les États s’effondrent souvent. Des défauts majeurs sur la dette sont une autre issue probable (figure 3). Les gens qui touchent une rente sont une autre catégorie de bénéficiaires qui ont des chances de se retrouver « exclus » quand la musique du jeu de chaises musicales s’arrête.

Figure 3. Rembourser les emprunts est facile dans une économie en croissance, mais beaucoup plus difficile dans une économie en contraction. Figure créée par l’auteur. Rembourser les prêts est facile dans une économie en croissance Prêt initial Prêt Reste Prêt remboursé Prêt + Intérêts Reste C’est beaucoup plus difficile dans une économie qui se contracte – ou sans croissance Prêt initial Prêt Reste Prêt remboursé Prêt + Intérêts Reste

Figure 3. Rembourser les emprunts est facile dans une économie en croissance, mais beaucoup plus difficile dans une économie en contraction. Figure créée par l’auteur.

Les lois de la physique suggèrent clairement que si l’on atteint des limites de ce type, l’économie s’effondrera. Nous savons que c’est arrivé à de nombreuses économies dans le passé. Plus récemment, nous avons assisté à des effondrements partiels, comme la Grande Dépression des années 1930. C’est quand les prix alimentaires ont chuté parce que la mécanisation a éliminé une part importante de la main-d’œuvre humaine que la Grande Dépression s’est produite. Alors que cette évolution de la mécanisation a fait baisser les prix alimentaires, elle a également eu des conséquences négatives sur le pouvoir d’achat de ceux qui ont vu leur emploi disparaître.

L’effondrement de l’Union soviétique est un autre exemple d’effondrement partiel. Celui-ci s’est produit à cause des faibles prix du pétrole des années 1980. L’Union soviétique était une exportatrice de pétrole qui a été durement affectée par les prix bas du pétrole. Pendant quelques années, elle a pu continuer à extraire du pétrole, mais les problèmes financiers ont fini (en 1991) par la rattraper et le gouvernement central s’est effondré.

Figure 4. La consommation de pétrole, la production et le prix ajusté en fonction de l’inflation, tous tirés de BP Statistical Review of World Energy, 2015. Production, consommation et prix du pétrole dans l’ex-Union soviétique Consommation Production Prix Millions de tonnes équivalent pétrole Prix du pétrole hors inflation (dollars US de 2014)

Figure 4. Consommation, production et prix du pétrole ajusté de l’inflation, d’après le BP Statistical Review of World Energy 2015.

Souvent, des prix bas sont le signe de manque d’accessibilité financière. Les prix actuels du pétrole, du charbon et du gaz naturel ont tendance à être trop faibles pour les producteurs d’aujourd’hui. Les prix bas de l’énergie sont trompeurs car au départ, ils semblent avoir des conséquences positives sur l’économie. Le hic, c’est qu’au bout d’un certain temps, le manque de fonds pour réinvestir s’accroît et la production s’effondre. L’effondrement de l’économie qui en résulte peut ressembler, soit à un effondrement financier, soit à un effondrement des structures politiques.

Les prix du pétrole sont bas depuis fin 2014. Nous ne savons pas combien de temps les prix peuvent rester bas avant qu’un effondrement se produise. Cela fait maintenant 3 ans que les prix du pétrole se sont effondrés ; cela devrait beaucoup nous inquiéter.

Légende n°2 (liée à la légende n°1). Si on attend assez longtemps, les énergies renouvelables vont devenir abordables.

Si les disparités de revenus augmentent à mesure que l’on s’approche des limites, cela veut dire qu’il ne faut pas s’attendre à ce que les prix augmentent à mesure que l’on s’approche des limites. Les prix auront plutôt tendance à baisser, car un nombre croissant d’éventuels acheteurs se retrouvent éjectés du marché. Ceci dit, si les prix de l’énergie pouvaient effectivement monter beaucoup plus haut, alors il y aurait d’énormes quantités de pétrole, de charbon et de gaz que l’on pourrait extraire.

Figure 5. Figure 1.4 du World Energy Outlook 2015 de l’AIE, qui montre la quantité de pétrole qui peut être produite à différents niveaux de prix, d’après les modèles de l’AIE. Production requise jusqu’en 2040 Prix du baril de pétrole (dollars de 2014) Lignes continues : 2015 Lignes pointillées : 2040 Brut conventionnel + réserv. compacts + EHOB Ressources extractibles (milliards de barils) Notes : EHOB = Fiouls extra-lourds et bitumes. La ligne verte verticale indique la production nécessaire sur 2015–2040 dans le New Policies Scenario.

Figure 5. Figure 1.4 du World Energy Outlook 2015 de l’AIE, qui montre la quantité de pétrole qui peut être produite à différents niveaux de prix, d’après les modèles de l’AIE.

Il semble qu’il existe un prix abordable maximum pour tous les produits. Ce prix abordable maximum dépend dans une large mesure des salaires des travailleurs peu qualifiés. Si le salaire de ces travailleurs baisse (par exemple, du fait de la mécanisation ou de la mondialisation), le prix abordable maximum peut même chuter.

Légende n°3 (liée aux légendes n°1 et 2). Une surabondance de pétrole indique que les limites au pétrole sont encore loin.

Une surabondance de pétrole signifie qu’un trop grand nombre de personnes à travers le monde, en raison de bas salaires ou du manque de travail, se retrouvent « éjectées » du groupe de personnes en mesure de s’acheter des biens et des services qui dépendent de pétrole pour être fabriquées et/ou utilisées. C’est un problème de physique, qui ressemble à celui de la glace qui se forme quand il fait trop froid. On sait désormais que ce genre de choses se produit régulièrement lors d’effondrements ou d’effondrements partiels. Au cours de la Grande Dépression des années 1930, on détruisait de la nourriture à cause du manque d’acheteurs. Ce n’est pas un signe que les limites sont encore loin : c’est au contraire le signe que les limites sont à proximité. Le système n’arrive plus à s’équilibrer correctement.

Légende n°4 : Les énergies éoliennes et solaires vont pouvoir nous sauver.

La quantité d’énergie dont les humains ont besoin (hormis celle que l’on mange directement) est largement plus grande que à quoi la plupart des gens s’imaginent. Les autres animaux, les autres plantes peuvent vivre sur la nourriture qu’ils absorbent ou l’énergie qu’ils produisent grâce à la lumière du soleil et à l’eau. Il y a bien longtemps que les humains se sont écartés de ce schéma simple – plus d’un million d’années.

Malheureusement, nos corps sont désormais adaptés à l’utilisation d’une énergie supplémentaire en plus de celle de la nourriture. Utiliser le feu a permis aux humains de se développer différemment d’autres primates. L’utiliser pour cuire une partie de notre nourriture s’est révélée une aide à plusieurs titres. Cela nous a libéré du temps que l’on aurait, sinon, passé à mastiquer, temps que nous avons pu consacrer à diverses activités comme par exemple fabriquer des outils. Cela a permis à nos dents, à nos mâchoires et à nos systèmes digestifs de devenir plus petits. Réduire la quantité d’énergie nécessaire pour faire fonctionner le système digestif a permis à notre cerveau de grossir. Cela a permis aux humains de vivre dans des régions du monde où ils n’étaient pas physiquement adaptés.

En fait, à l’époque des chasseurs-cueilleurs, les humains semblaient déjà avoir besoin de 3 fois plus d’énergie totale que n’importe quel autre primate d’une taille similaire, dès lors que l’on compte la biomasse brûlée en plus de l’énergie consommée sous forme de nourriture.

Figure 6. La population humaine a crû comme l’énergie consommée par personne Watts par personne Habitants par km² Humains vivant comme des animaux, sans supplément d’énergie Chasseurs-cueilleurs Société agricole Société industrielle 100 300 2000 8000 Très faible 0,02 à 0,10 40 400 D’après Yadvinder Malhi, « Le métabolisme d’une planète dominée par les humains », dans La planète est-elle pleine ? (Ed. Ian Goldin), Oxford University Press, 2014.

Figure 6 – Créée par l’auteur.

Le nombre de « watts par personne » est une mesure du rythme de consommation d’énergie. Même à l’époque des chasseurs-cueilleurs, les humains se comportaient différemment des autres primates de taille comparable. En excluant toute énergie supplémentaire, un humain animal ressemble à une ampoule de 100 watts allumée en permanence. À l’époque où ils étaient chasseurs-cueilleurs, la consommation d’énergie supplémentaire des humains, sous forme de la biomasse brûlée ou provenant d’autres sources, faisait que l’énergie qu’ils utilisaient était équivalente à celle d’une ampoule, allumée en permanence, de 300 watts.

Quelle est la quantité d’énergie produite par les éoliennes et panneaux solaires actuels, par rapport à la quantité d’énergie qu’utilisaient les chasseurs-cueilleurs ? Comparons la production éolienne et solaire actuelle aux 200 watts d’énergie supplémentaire qui étaient nécessaires pour maintenir notre existence humaine à l’époque des chasseurs-cueilleurs (c’est la différence entre 300 et 100 watts par habitant). Cela suppose que si nous devions revenir à une alimentation de type chasseurs-cueilleurs, on pourrait rassembler assez de nourriture pour tous pour pouvoir couvrir les premiers 100 watts par personne. Tout ce qu’il nous faudrait faire, c’est de fournir assez d’énergie supplémentaire pour assurer la cuisine, le chauffage et les autres besoins les plus fondamentaux, sans avoir à déboiser les terres alentour.

De manière plutôt pratique, BP donne la production d’énergie éolienne et solaire en « térawattheures ». Si l’on prend la population mondiale de 7,5 milliards de personnes, et que l’on multiplie ce chiffre par 24 heures par jour, 365,25 jours par an et 200 watts par jour, on arrive à une quantité d’énergie nécessaire égale à 13 149 térawattheures par an. En 2016, la production éolienne était de 959,5 térawattheures ; la production d’énergie solaire était de 333,1 térawattheures. Ce qui fait un total de 1 293 térawattheures. Si, à présent, on compare la quantité d’énergie réellement fournie par l’éolien et le solaire (1 293 TWh) à celle nécessaire, soit 13 149 TWh, on constate que la production d’énergie éolienne et solaire actuelle ne fournirait que 9,8% de l’énergie supplémentaire nécessaire pour maintenir un niveau d’existence de chasseurs-cueilleurs à la population mondiale actuelle.

Bien sûr, ce calcul d’ordre de grandeur ne prend pas en compte la manière dont on pourrait continuer à produire de l’électricité éolienne et solaire alors que nous sommes redevenus des chasseurs-cueilleurs, et comment il serait possible de distribuer cette électricité. Inutile de dire que nous serions loin de reproduire un niveau d’existence agricole pour un quelconque grand nombre de personnes, uniquement en utilisant l’énergie éolienne et l’énergie solaire. Même en y ajoutant l’énergie hydraulique, on se retrouverait à ne récupérer que 40,4% de l’énergie ajoutée indispensable à la survie de la population mondiale actuelle en tant que chasseurs-cueilleurs.

Beaucoup de gens croient que l’énergie éolienne et l’énergie solaire augmentent rapidement. Quand on part de zéro, les pourcentages annuels de hausse semblent être très élevés. Mais par rapport au point d’arrivée qu’il faudrait atteindre pour maintenir un niveau de population raisonnable, nous sommes très loin d’une forte hausse. Récemment, le professeur en énergie Vaclav Smil a animé une conférence intitulée « La Révolution Énergétique ? On rampe lentement, plutôt ».

Légende n°5. Les méthodes d’évaluation comme le « Taux de retour énergétique », l’ « Énergie récupérée sur énergie investie » (EROEI) ou l’ « Analyse en Cycle de Vie » (ACV) indiquent que l’énergie éolienne et l’énergie solaire devraient être des solutions acceptables.

Ces approches s’intéressent à la manière dont la quantité d’énergie qui est utilisée pour créer un dispositif donné, en la comparant à celle qui sort de ce dispositif. Le problème que pose ces analyses, c’est que, bien que l’on arrive assez bien à mesurer la quantité d’ « énergie en sortie », nous avons beaucoup de mal à déterminer la quantité d’« énergie en entrée ». Une grande partie de l’énergie consommée provient de sources indirectes, comme les routes qu’un grand nombre utilisateurs divers et variés partagent.

Les ressources intermittentes, comme l’énergie éolienne ou l’énergie solaire, posent quant à elles un problème spécifique. Les analyses par EROI disponibles pour l’éolien et le solaire considèrent ces dispositifs comme des éléments autonomes (par exemple, alimentant une usine de dessalement de manière intermittente). Avec une telle hypothèse, ces dispositifs semblent être des choix relativement bons dans le cadre d’une transition vers l’abandon des combustibles fossiles.

Cependant, les analyses par EROI ne prennent pas bien compte la situation lorsqu’il faut ajouter des infrastructures coûteuses pour compenser l’intermittence de l’éolienne et du solaire. Cela se produit lorsque leur électricité est injectée sur le réseau électrique dans de toutes petites quantités. Un contournement possible à ce problème d’intermittence est d’utiliser des batteries ; un autre est de surdimensionner les dispositifs de production intermittente, et de n’utiliser que la partie de l’électricité intermittente qui est produite précisément au jour et à l’heure où l’on en a besoin. Une autre approche consiste à payer des fournisseurs de combustibles fossiles pour qu’ils conservent une capacité de production supplémentaire (nécessaire à la fois pour booster rapidement la production et pour les périodes de l’année où les ressources intermittentes sont insuffisantes à répondre aux besoins de consommation).

Toutes ces solutions sont coûteuses et leur coût s’accroît encore à mesure que le pourcentage d’électricité intermittente augmente. Euan Mearns a récemment estimé que pour un parc éolien offshore particulier, le coût serait six fois plus élevé, si l’on y ajoutait des batteries en quantité suffisante pour pouvoir lisser totalement les fluctuations du vent sur un mois. Et si l’objectif est de compenser les fluctuations à plus long terme, le coût serait sans aucun doute encore plus élevé. Il est difficile de modéliser les solutions de contournement qui seraient nécessaires pour qu’un système devienne véritablement 100% renouvelable. Leur coût serait sans doute astronomique.

Lorsqu’on fait une analyse de type EROI, on a tendance à exclure tous les coûts qui varient selon la demande, car de tels coûts sont difficiles à estimer. Je viens du monde des actuaires. Dans ce milieu, on met toujours l’accent sur l’exhaustivité car, après un événement, le fait que l’analyste ait laissé de côté des coûts importants liés à l’assurance devient vite très clair. Dans les analyses d’EROI ou assimilées, le lien avec le monde réel est beaucoup plus ténu ; il est donc possible qu’une omission puisse ne jamais être remarquée. En théorie, les EROI sont applicables à beaucoup de choses, y compris quand l’intermittence n’est pas un problème. On n’attend du modélisateur par EROI qu’il considère tous les cas.

Une autre façon de voir le problème est de le voir comme un problème de « qualité ». La théorie de l’EROI traite généralement tous les types d’énergie comme étant équivalents (y compris le charbon, le pétrole, le gaz naturel, l’électricité intermittente et l’électricité de qualité réseau). Dans ces conditions, il y a nul besoin de corriger les différences entre les divers types d’énergie produite. Il est donc tout à fait logique de publier des analyses par EROI et des ACV qui semblent indiquer que les énergies éoliennes et solaires sont d’excellentes solutions, sans fournir la moindre explication quant à leurs coûts probablement élevés dans un monde réel du fait de leur utilisation sur le réseau électrique.

Légende n°6. Les articles relus par les pairs arrivent à des conclusions correctes.

Dans la réalité, les articles relus par les pairs doivent être soigneusement revus par ceux qui les utilisent. Il y a une très grande chance que des erreurs aient pu s’y glisser. Cela a pu se produire à cause d’une mauvaise interprétation d’articles précédemment relus par les pairs, ou parce que les articles précédemment relus par les pairs reposaient sur « la pensée du moment », qui n’était pas tout à fait correcte au vu de ce que l’on a appris ensuite. Ou, comme le montre l’exemple de la légende n°5, les conclusions des articles relus par des pairs peuvent être une source de confusion pour ceux qui les lisent, notamment parce qu’ils n’ont pas été écrits pour un public particulier.

La manière dont la recherche universitaire est structurée fait que les chercheurs possèdent généralement un niveau élevé de connaissances spécialisées sur un domaine bien particulier. Comme je l’ai mentionné à propos de la légende n°1, la situation du monde réel est que l’économie mondiale est un système autoorganisé en réseau. Chaque élément de l’économie affecte tous les autres. Du fait de son ultra-spécialisation, le chercheur ne comprend généralement pas ces interconnexions. Par exemple, les chercheurs en énergie ne comprennent généralement pas les boucles de rétroaction économiques, ce qui fait qu’ils ont tendance à les laisser de côté. Les relecteurs, qui recherchent des erreurs dans le document lui-même, ont eux aussi des chances de passer à côté de boucles de rétroaction importantes.

Pour aggraver les choses, le processus de publication tend à favoriser les résultats qui suggèrent qu’il n’y a pas de problème énergétique à venir. Ce biais peut survenir au cours du processus de relecture par les pairs. Un auteur m’a expliqué un jour qu’il avait laissé tomber un certain point d’un document parce qu’il s’attendait à ce que certains de ses pairs relecteurs viennent du monde écologiste ; il ne voulait rien dire qui puisse offenser un tel relecteur.

Il est également possible que ce biais provienne directement de l’éditeur des livres et articles scientifiques. L’activité de cet éditeur consiste à vendre des livres et des articles scientifiques ; il ne veut pas perturber les acheteurs potentiels de ses produits. Un éditeur m’a clairement indiqué un jour que son organisation ne voulait voir apparaître nulle mention de problèmes qui puissent paraître sans solution. L’impression que le lecteur devrait garder, c’est que, même si des problèmes peuvent exister dans le futur, il y aura toujours des solutions qui pourront être trouvées.

À mon avis, toute recherche publiée devrait être examinée avec une très grande attention. Il est très difficile pour un auteur d’aller loin au-delà du niveau général de compréhension de son public et des relecteurs probables. Les auteurs reçoivent des incitations financières pour produire des rapports qui sont politiquement corrects, et les éditeurs, pour les publier. Dans de nombreux cas, les articles de blogs peuvent s’avérer de meilleures ressources que les articles scientifiques, car leurs auteurs subissent moins de pression pour écrire des rapports politiquement corrects.

Légende n°7. Les modèles climatiques donnent une bonne estimation de ce à quoi l’on peut s’attendre pour l’avenir.

Il ne fait aucun doute que le climat change. Mais toute cette hystérie sur le changement climatique, correspond-elle vraiment à la véritable histoire ?

Notre économie, et en fait, la Terre et tous ses écosystèmes, sont des systèmes autoorganisés en réseau. Nous atteignons des limites dans de nombreux secteurs en même temps, y compris en matière d’énergie, d’eau potable, de quantité de poissons qui peuvent être extraits chaque année des océans, et d’extraction de minerais métalliques. Les limites physiques vont probablement conduire à des problèmes financiers, comme l’indique la figure 3. Les modélisateurs du changement climatique ont choisi de laisser toutes ces questions en dehors de leurs modèles, en supposant que l’économie pourra continuer à croître jusqu’à 2100 comme elle l’a fait au cours du 20e siècle. On peut clairement s’attendre que ce que le fait de laisser tous ces problèmes de côté surestime les conséquences du changement climatique.

L’Agence Internationale de l’Énergie a une très grande influence sur la manière dont on considère les problèmes d’énergie. Entre 1998 et 2000, l’AIE a littéralement retourné sa veste au sujet de l’importance des limites à l’énergie. Le World Energy Outlook 1998 de l’AIE consacre de nombreuses pages à discuter de la possibilité que l’approvisionnement en pétrole devienne à l’avenir insuffisant. En fait, dans ses premières pages, le rapport dit :

Notre analyse des éléments matériels actuels suggère que la production mondiale de pétrole provenant de sources conventionnelles pourrait atteindre un pic au cours de la période 2010–2020.

Le même rapport mentionne également les considérations relatives au changement climatique, mais il consacre beaucoup moins de pages à ces sujets de préoccupation. La Conférence de Kyoto a eu lieu l’année précédente, en 1997, et le sujet y a été plus largement discuté.

En 1999, l’AIE n’a pas publié de World Energy Outlook. Et le World Energy Outlook 2000 que l’AIE a publié l’année suivante s’est brusquement concentré sur le changement climatique, sans aucunement mentionner le pic pétrolier. L’USGS World Petroleum Assessment 2000 venait d’être publié, et pouvait être utilisé pour justifier au moins une petite hausse de la production pétrolière.

J’aurai été la première à admettre que l’histoire du « Peak Oil » n’est pas vraiment exacte. C’est une histoire à mi-chemin, qui repose sur une compréhension partielle du rôle que joue la physique dans les limites énergétiques. L’approvisionnement en pétrole ne « s’épuise » pas. Les tenants du pic pétrolier n’ont pas non plus compris que la physique régit la manière dont fonctionnent les marchés – peu importe que les prix augmentent, chutent ou oscillent. S’il n’y a pas assez de ressources, certains des acheteurs potentiels vont se retrouver éjectés. Mais affirmer que le changement climatique est notre seul problème, ou même notre principal problème, n’est pas exact non plus. C’est encore une histoire à mi-chemin de la réalité.

Un élément à côté duquel sont passés aussi bien les tenants du pic pétrolier que l’AIE, c’est que l’économie mondiale n’a pas vraiment la capacité de réduire sa consommation de combustibles fossiles de manière significative, tout en évitant que l’économie mondiale s’effondre. Les recommandations de l’AIE en matière d’abandon progressif des combustibles fossiles ne peuvent donc pas marcher. (Cependant, déplacer la consommation d’énergie d’un pays à l’autre est assez facile, rendant les réductions d’émissions de CO2 par des pays individuels plus flatteuses qu’elles ne le sont réellement.) L’AIE ferait mieux de parler des changements à faire sur d’autres choses que les combustibles, et qui permettraient de réduire les émissions de CO2, comme par exemple devenir végétarien, éliminer la pratique d’inondation des rizières ou réduire la taille des familles. Bien sûr, ce ne sont pas vraiment des sujets auxquels s’intéresse l’Agence Internationale de l’Énergie.

Malheureusement, la vérité, c’est que pour n’importe quel sujet difficile et interdisciplinaire, il n’est pas vraiment possible de passer du stade où l’on manque cruellement de connaissance, au stade où l’on en a une connaissance parfaite, sans passer par un certain nombre d’étapes bien distinctes et en partie erronées. Les études du GIEC sur le climat et les analyses par EROI entrent tous deux dans cette catégorie, tout comme les rapports sur le pic pétrolier.

Je n’aurais jamais pu faire tous ces progrès pour comprendre l’histoire des limites d’énergie sans le travail de nombreuses autres personnes, y compris celles qui étudient le pic pétrolier et ceux qui font des études d’EROI. J’ai aussi reçu un grand nombre de « conseils » de lecteurs de OurFiniteWorld.com, me recommandant d’investiguer tel ou tel autre sujet. Même avec toute cette aide, je suis certaine que ma version de l’histoire n’est pas tout à fait exacte. Nous continuons tous à apprendre à mesure que nous avançons.

Il se peut effectivement que ce modèle climatique particulier contienne certains détails incorrects, bien que tout cela soit hors de mon domaine d’expertise. Par exemple, les températures historiques utilisées par les chercheurs semblent nécessiter de nombreux ajustements pour être utilisables. Certaines personnes font valoir que le record historique a été ajusté pour rendre le record historique conforme au modèle particulier utilisé.

Il y a aussi la question du calibrage des indications de la position où nous nous trouvons actuellement. J’ai mentionné plus haut le problème à propos de l’EROI n’ayant aucun lien avec le monde réel ; les indications des modèles climatiques ne sont pas aussi mauvaises, mais elles semblent elles aussi ne pas être bien liées à ce qui se passe réellement.

Légende n°8. Nos dirigeants sont omniscients et omnipotents.

Nous nous battons contre les lois de la physique. Quiconque attend de nos dirigeants qu’ils gagnent cette bataille contre les lois de la physique a vraiment des attentes gigantesques. Certaines des actions de nos dirigeants semblent extraordinairement stupides. Par exemple, si la baisse des taux d’intérêt a retardé le pic pétrolier, alors proposer de les relever alors que nous n’avons pas résolu le problème sous-jacent de la déplétion du pétrole semble très mal avisé.

Ce sont les Lois de la Physique qui régissent l’économie mondiale. Les Lois de la Physique affectent l’économie mondiale de nombreuses manières. L’économie est une structure dissipative. Les intrants en énergie permettent à l’économie de rester dans un « état hors équilibre » (c’est-à-dire dans un état de croissance) pendant une très longue période de temps.

La capacité d’une économie à croître doit finir un jour par prendre fin. Le problème est que cela exige des quantités croissantes d’énergie pour lutter contre l’« entropie » croissante du système (coût énergétique d’extraction accru, besoin de dette croissante, hausse des niveaux de pollution). L’économie doit connaître une fin, tout comme la vie des plantes et des animaux individuels (qui sont aussi des structures dissipatives).

Conclusion

Nous sommes confrontés à une bataille contre les lois de la physique que nous ne pourrons pas gagner. Nos dirigeants voudraient que l’on croie assez facile de gagner cette bataille, mais elle ne pourra pas l’être. Le changement climatique est présenté comme notre seul problème et comme le plus important, mais ce n’est pas vraiment le cas. Notre problème, c’est que le système financier et les systèmes énergétiques sont très étroitement liés. Nous risquons fort d’avoir des problèmes financiers sérieux en atteignant des limites de nombreux types à peu près en même temps.

Nos dirigeants ne sont pas vraiment aussi puissants que nous le voudrions. Même nos conclusions scientifiques ne sont pratiquement jamais exprimées de manière parfaite. Nos connaissances progressent généralement par étapes, qui sont souvent des remises en causes d’idées précédentes. À l’heure actuelle, il semble que nous n’ayons pas découvert de moyen de contourner notre besoin croissant d’énergie et notre problème d’entropie croissante.