Par Gail Tverberg
22 juin 2018
BP a récemment publié des données sur l’énergie jusqu’au 31 décembre 2017 dans son Statistical Review of World Energy 2018. Voici quelques éléments que l’on peut observer quand on regarde ces données :
Dans le graphe ci-dessous, les deux bandes au-dessus de celle des combustibles fossiles qui sont relativement faciles à voir sont celle de l’énergie nucléaire et celle de l’hydroélectricité. Le solaire, l’éolien, et la « géothermie, biomasse et autres », tout en haut du graphe, sont de petites quantités bien difficiles à distinguer.
En 2017, l’éolien a fourni 1,9% de l’approvisionnement total en énergie ; l’énergie solaire, 0,7% de l’approvisionnement total en énergie ; les combustibles fossiles, 85% de l’approvisionnement totale en énergie. Nous nous éloignons des combustibles fossiles, mais plutôt lentement.
Sur les 252 millions de tonnes d’équivalent pétrole (Mtep) supplémentaires ajoutées à la consommation d’énergie en 2017, l’éolien a contribué pour 37 Mtep et le solaire, pour 26 Mtep. Éolien et solaire ont donc représenté environ 25% de la consommation totale d’énergie supplémentaire en 2017. Les combustibles fossiles, quant à eux, ont contribué pour 67% du supplément de consommation totale d’énergie en 2017, et les autres catégories y ont contribué pour les 8% restants.
Dans de précédents articles, nous avions remarqué que la consommation d’énergie par personne semblait rester sur un plateau. Quand on y ajoute les données jusqu’en 2017, cela semble toujours être le cas. La raison pour laquelle une consommation d’énergie par personne qui ne croît plus est un sujet de préoccupation est que si on se base sur les données depuis 1820, la consommation d’énergie par personne, normalement, devrait croître1. J’explique pourquoi dans la première note en fin de cet article. Le lecteur pourra également se référer à mon article La Grande Dépression des années 1930 était une crise énergétique.
Alors que la consommation totale d’énergie augmente de 2,2%, la population mondiale augmente d’environ 1,1%, ce qui se traduit par une hausse de la consommation d’énergie par personne d’environ 1,1% par an. Ceci est dans la plage de variation normale.
Une des choses ayant contribué à une légère hausse de la consommation d’énergie par personne en 2017 est liée au fait que les prix du pétrole ont été nettement inférieurs aux 100 dollars US le baril que l’on a constaté au cours de la période 2011–2014. De plus, la valeur du dollar US a été relativement basse par rapport aux autres devises, rendant les prix plus attractifs pour les acheteurs non américains. 2017 a donc représenté une période de relative accessibilité du pétrole pour les acheteurs, en particulier en dehors des États-Unis.
Le charbon diffère du pétrole et du gaz, en cela qu’il est davantage un combustible que l’on extrait au moment où on en a besoin. Dans de nombreuses régions du monde, les mines de charbon ont un ratio élevé de main-d’œuvre par rapport au capital investi. Si les prix sont assez élevés, le charbon sera extrait et consommé. Si les prix ne sont pas assez élevés, le charbon restera dans le sol et les travailleurs seront licenciés. D’après le BP Statistical Review of World Energy 2018, les prix du charbon en 2017 étaient plus élevés qu’en 2015 et 2016 sur l’ensemble des sept marchés pour lesquels BP fournit des données. En générale, les prix de 2017 étaient plus de 25% au-dessus de ceux de 2015 et 2016.
La production de pétrole et de gaz naturel semble moins réagir aux fluctuations de prix que le charbon2. Cela tient en partie à l’investissement initial très important que ces productions exigent. Cela est également lié à la dépendance des États producteurs vis-à-vis des recettes fiscales élevées qu’ils peuvent en obtenir si les prix du pétrole et du gaz sont élevés. Les pays exportateurs de pétrole sont particulièrement sujets à ce problème. Tous les acteurs veulent conserver leur « part » du marché mondial. Ils rechignent à réduire la production, quelle que soit la manière dont les prix évoluent à court terme.
La Chine a été en mesure de combler son manque de combustibles en augmentant ses importations de combustibles. En fait, selon BP, la Chine a été en 2017 le plus gros importateur de pétrole et de charbon au monde, et le second, derrière le Japon, pour le gaz naturel.
Si la Chine compte maintenir son haut taux de croissance du PIB en tant que pays manufacturier, elle devra conserver sa croissance de consommation d’énergie. Pour ce faire, il lui faudra préempter une part croissante des exportations mondiales de combustibles fossiles de toutes sortes. Il n’est pas sûr que cela soit seulement possible, sauf à ce que d’autres régions arrivent à augmenter leur production, et également augmenter les infrastructures de transport nécessaires.
La consommation de pétrole, en particulier, augmente rapidement, grâce à la hausse des importations. (Comparez la figure 6 ci-dessous avec la figure 4.)
Ce grand écart ne poserait pas de problème si l’Inde avait les moyens d’acheter ces combustibles importés et si elle pouvait les utiliser pour fabriquer des biens et services et les vendre à l’exportation en faisant du bénéfice. Malheureusement, cela semble ne pas être le cas.
Ces derniers temps, le secteur de l’électricité en Inde semble avoir rencontré de gros problèmes. D’après le Financial Times, « Le secteur de l’électricité est au cœur d’une vague de faillites d’entreprises qui menace de paralyser le secteur financier. » Tandis que des prix élevés du charbon étaient bons pour les producteurs de charbon et qu’ils permettaient d’importer du charbon, l’électricité obtenue en brûlant ce charbon est, pour beaucoup de clients, plus chère que ce qu’ils peuvent se permettre de payer.
BP fournit des chiffres de réserve pour le pétrole, le gaz naturel et le charbon. Il calcule également les ratios R/P (ratios réserves sur production), en utilisant les chiffres de « réserves prouvées » et de production déclarés au cours de la dernière année. La publication de ces ratios semble avoir pour objet de rassurer les lecteurs sur le fait qu’il reste encore de nombreuses années de production future disponible. À l’échelle mondiale, les ratios R/P moyens sont actuellement les suivants :
La raison pour laquelle on utilise les ratios R/P est le fait que les géologues, y compris le fameux Marion King Hubbert, ont regardé, dans des zones particulières, le lien entre réserves et production d’énergie future. Les géologues semblent donc se reposer sur les chiffres de réserve pour leurs calculs. Pourquoi le même genre de technique ne devrait-elle pas fonctionner à l’échelle agrégée ?
D’une part, les géologues étudient des champs de combustibles bien spécifiques dont l’extraction semble particulièrement favorable. Ils peuvent sans risque supposer que (a) les prix seront suffisamment élevés, (b) le capital disponible pour investir dans l’infrastructure d’extraction sera suffisant et (c) les autres conditions seront favorables, y compris la stabilité politique et les problèmes de pollution. Si on regarde la situation plus globalement, les raisons pour lesquelles les combustibles fossiles ne sont pas extraits du sol semblent dépendre de (a), (b) et (c), bien plus que du fait de ne pas avoir assez de combustibles fossiles présents dans le sol.
Voyons ensemble quelques exemples. La figure 4 montre que la production de charbon de la Chine a baissé, et cette baisse est due au fait que les faibles prix du charbon ont rendu son extraction de certaines mines non rentable. Rien dans le ratio R/P de 39 qu’a déclaré la Chine n’évoque ce problème.
Bien qu’elle soit moins prononcée, la figure 4 montre également une baisse de la production de pétrole de la Chine ces dernières années, sur une période où les prix du pétrole ont été relativement bas. Le ratio R/P de la Chine pour le pétrole est de 18, donc en théorie, il devrait rester encore beaucoup de pétrole disponible. Les Chinois ont compris que, dans certains cas, ils pouvaient importer du pétrole à un prix moins élevé que celui auquel ils pouvaient le produire par eux-mêmes. Résultat : la production de pétrole de la Chine a chuté.
La figure 7 montre que la production de charbon de l’Inde n’augmente pas assez vite pour que la production puisse être maintenue à la hausse. Son ratio R/P pour le charbon est de 137. Sa production de pétrole est en baisse depuis 2012. Le ratio R/P déclaré pour le pétrole est de 14,4 ans.
Un autre exemple est celui du Venezuela. Nous sommes nombreux à savoir que le Venezuela a récemment connu de graves problèmes économiques. On peut le voir dans la chute de sa production de pétrole, la baisse de ses exportations et la baisse de sa consommation de pétrole.
Pourtant, le Venezuela déclare les « réserves prouvées de pétrole » les plus élevées au monde. Le ratio R/P qu’il déclare est de 394. En fait, ses réserves prouvées ont même augmenté en 2017, malgré ses très médiocres résultats de production. Une partie du problème vient du fait que, souvent, les réserves de pétrole prouvées ne sont pas vérifiées, ce qui fait qu’un pays exportateur peut décider de les rendre aussi élevées qu’il le souhaite. Une autre partie du problème vient du fait que le prix est extrêmement important au moment de déterminer quelles sont les réserves qui peuvent être extraites et quelles sont les réserves qui ne le peuvent pas. Le Venezuela a clairement besoin de prix beaucoup plus élevés que ceux qui avaient cours ces dernières années s’il veut que l’extraction de ses réserves soit possible. Le Venezuela semble aussi avoir eu une faible production dans les années 1980 lorsque les prix du pétrole étaient bas.
J’ai co-écrit un article scientifique qui soulignait que les prix du pétrole pourraient ne pas augmenter assez pour rendre économiquement possible l’extraction des ressources qui semblent pourtant disponibles. Le lecteur pourra le lire à cette adresse : Une prévision de la production de pétrole pour la Chine en prenant en compte les limites économiques. Le problème est celui de l’accessibilité financière. Les travailleurs manuels et les autres travailleurs peu qualifiés doivent toucher un salaire suffisamment élevé pour qu’ils puissent acheter les biens et les services que produit l’économie. Si les disparités de revenus sont trop importantes, la demande tend à chuter à un niveau trop bas. De ce fait, les prix n’atteignent pas le niveau dont ont besoin les producteurs de combustibles fossiles. La limite à l’extraction des combustibles fossiles peut très bien être celle d’un plafond de prix pour les combustibles, plutôt que celle sur la quantité de combustibles fossiles présents dans le sol.
Un graphe de la production d’électricité nucléaire par région du monde donne les informations suivantes :
La production d’électricité nucléaire a atteint un pic en 2006, et elle a connu une baisse notable à la suite à l’accident nucléaire de Fukushima au Japon, en 2011. L’Europe semble maintenant avoir décidé de fermer progressivement ses centrales nucléaires. À elles seules, les nouvelles normes de sécurité ont tendance à rendre très coûteuse la construction de nouvelles centrales nucléaires. Le prix élevé rend trop coûteux le remplacement des centrales nucléaires vieillissantes par de nouvelles centrales, du moins dans les régions du monde où les normes de sécurité sont considérées comme quelque chose de très important.
En 2017, l’énergie éolienne et l’énergie solaire, prises ensemble, produisaient environ 59% de l’électricité produite par l’énergie nucléaire au niveau mondial. Remplacer le nucléaire par de l’éolien et du solaire représenterait un effort très important, pour un niveau de production obtenu qui ne serait pas aussi stable que celui actuellement disponible.
Bien sûr, certains pays continueront à faire appel au nucléaire malgré les inquiétudes concernant la sûreté nucléaire. Une bonne part de la croissance récente de l’énergie nucléaire est due à la Chine. Les pays de l’ex-Union soviétique ont augmenté leurs capacités de production nucléaire. Et l’Iran est connu pour son programme d’énergie nucléaire.
Notre époque est un vrai défi !
↑1 Il y a plusieurs manières de voir que la consommation d’énergie par personne a besoin de croître malgré une efficacité qui croît.
Un premier problème fondamental est qu'il faut qu'une part suffisante de la consommation d’énergie revienne à la population, en particulier sa part la moins qualifiée, afin qu’ils puissent continuer à disposer du niveau de base de biens et de services dont ils ont besoin. Cela comprend la nourriture, l’habillement, le logement, le transport, l’éducation et d’autres services comme les services de santé. Malheureusement, l’histoire nous montre que les gains d’efficacité ne suffisent pas à compenser plusieurs autres forces centrifuges ayant tendance à annuler les avantages des gains d’efficacité. Ces forces centrifuges qui empêchent les travailleurs peu qualifiés de recevoir assez de biens et de services sont les suivantes :
Outre la question de la quantité suffisante de biens et de services revenant à ceux qui sont peu qualifiés, un deuxième problème fondamental est celui de disposer d'assez de biens et de services fabriqués à partir d’énergie pour tenir les promesses qui ont été faites. Parmi ces types de promesse, on trouve la dette et les paiements d’intérêts qui y sont associés ; les systèmes de retraite, que ceux-ci soient financés par la puissance publique ou proposés par le secteur privé ; les prix des actifs qui s'échangent sur un marché, comme les prix des actions ou de l’immobilier.
Le problème, c'est qu'en théorie, il est possible d'échanger les promesses de tous ces types contre des biens et services. Le stock de biens et de services ne peut croître très rapidement si la consommation d’énergie n'augmente pas plus vite que la taille de la population. Même en émettant plus d’argent, le problème se retrouve être celui d'un gâteau qui ne grossit que très lentement et qui est divisé en parts de plus en plus petites, afin de tenter de tenir toutes les promesses qui ont été faites.
↑2 En ce qui concerne le pétrole, le principal écart par rapport à la tendance générale de stagnation s’est produit au début des années 1980, lorsque la consommation mondiale de pétrole a baissé de 11% entre 1979 et 1983. Cette baisse est le résultat d’un effort concerté pour transférer le chauffage et la production d’électricité vers d’autres combustibles. Cela a aussi impliqué de remplacer les grosses voitures gourmandes par des voitures plus petites et plus efficaces en énergie. Après la récession de 2007–2009, une autre petite baisse s'est produite, qui peut s'expliquer par un ralentissement de la construction immobilière et commerciale dans certaines régions du monde, y compris les États-Unis.