Comment les pénuries d’énergie affectent réellement l’économie

Par Gail Tverberg
27 août 2018

Beaucoup de gens s’attendent à ce que des pénuries d’énergie conduisent à des prix élevés. Cela repose sur leur manière d’imaginer les effets qu’aurait un « épuisement du pétrole » sur l’économie.

Dans cet article, je vais regarder les données historiques dans le cas d’un approvisionnement insuffisant en énergie. Je vais aussi m’attarder sur la part de la physique qui correspond à la situation. À mes yeux, il y a une étrange coïncidence entre le moment où la production de charbon du Royaume-Uni a atteint son pic (c’est-à-dire le moment où elle a atteint un maximum avant de décliner), et le moment où la Première guerre mondiale a éclaté. On peut constater une coïncidence tout aussi étrange entre le moment où la production de charbon de meilleure qualité a atteint son pic en Allemagne, et le moment où la Seconde Guerre mondiale a éclaté. Cela suggère fortement l’existence d’un lien entre un approvisionnement énergétique insuffisant et l’apparition de conflits armés, car les dirigeants reconnaissent combien il est important de disposer d’un approvisionnement énergétique suffisant.

Une partie de mon analyse précédente montrait que si l’on considère l’énergie sous la forme de l’approvisionnement énergétique moyen par personne, le monde entier pourrait à nouveau entrer dans une période d’approvisionnement énergétique insuffisant. Si je ne me trompe pas en affirmant qu’un approvisionnement insuffisant en énergie conduit à une hausse des conflits, il est possible que la discorde récente à laquelle nous avons assistée parmi les dirigeants du monde soit liée à la faible quantité d’énergie disponible actuellement. (Mon analyse énergétique prend en compte l’ensemble des sources disponibles d’approvisionnement énergétique par personne : combustibles fossiles, nucléaire et énergies renouvelables. Ce n’est pas juste une analyse sur le pétrole.)

La physique derrière une situation de faible énergie peut essayer « d’évincer » les parts les moins efficaces de l’économie. Lorsque cela se produit effectivement, il peut en résulter quelque chose qui ressemble à l’effondrement du gouvernement central de l’Union soviétique en 1991, après plusieurs années de prix bas du pétrole. En moyenne, la consommation totale d’énergie des pays impliqués dans cet effondrement a baissé de près de 40%. Le reste du monde a bénéficié de prix du pétrole plus bas (conséquence de la baisse de la demande globale). Il a pu aussi profiter du pétrole qui, du coup, est resté dans le sol et a pu être extrait ces dernières années, au moment où nous en avions vraiment besoin.

L’idée que les prix du pétrole puissent monter très haut semble reposer sur les hausses des prix du pétrole constatées dans les années 1970 et au début des années 2000. Bien que, de manière temporaire, les prix du pétrole puissent augmenter très haut, il est difficile de démontrer qu’ils puissent le rester de manière prolongée. D’une part, des prix élevés du pétrole ont tendance à provoquer des récessions et une baisse du nombre d’emplois. Dans un tel environnement, les produits énergétiques deviennent moins abordables et les prix du pétrole ont tendance à baisser. D’autre part, il est facile pour la Réserve fédérale américaine de faire baisser les prix du pétrole en relevant les taux d’intérêt. En fait, augmenter les taux d’intérêt est ce que la Réserve fédérale est en train de faire en ce moment.

À mon avis, nous devrions plus nous préoccuper des prix bas que des prix élevés du pétrole, car nous vivons dans une économie mondiale caractérisée par d’énormes bulles de dette. Les bulles de dette participent de ce qui rend le nombre élevé d’emplois actuel possible. Les bulles de dette soutiennent financièrement les employeurs qui sont proches du gouffre ; elles soutiennent aussi les acheteurs qui ne pourraient pas se payer des voitures, des logements ou des études supérieures si les prêts se renchérissaient du fait de taux d’intérêt plus élevés. L’emploi dans les industries concernées serait réduit, ce qui conduirait à une récession.

À cause de ces problèmes, un éclatement de la bulle de dette risque d’entraîner une sévère récession et, de manière indirecte, une baisse des prix de l’énergie, comme à la fin de 2008 (cf. figure 12). Ces prix plus bas ne sont pas une bonne nouvelle car les fournisseurs des diverses énergies ont besoin de prix de l’énergie suffisamment élevés pour survivre – qui sont probablement de l’ordre de 80 dollars US le baril, sinon plus. Si les prix de l’énergie restent durablement bas, le monde devrait connaître une forte baisse de son approvisionnement en pétrole, y compris parce que, pour financer leurs programmes, les pays exportateurs de pétrole ont absolument besoin des recettes fiscales qu’ils tirent d’un pétrole cher.

Une économie auto-organisée a besoin d’énergie pour remplir les promesses qu’elle a faites

L’un des problèmes qui s’est posé à plusieurs reprises dans le passé est le fait que l’approvisionnement en énergie devienne insuffisant par rapport à la quantité dont l’économie a besoin pour fonctionner. Ce manque d’énergie n’est pratiquement jamais expliqué au grand public. Il n’est visible que du chercheur occasionnel qui réalise que cela pourrait être l’origine du problème.

La quantité d’énergie dont une économie en réseau a besoin pour fonctionner dépend :

Un approvisionnement suffisant en énergie est d’une grande importance en matière d’emplois et de niveau de rémunération. Un approvisionnement énergétique par personne qui croît a tendance à créer des emplois. Les pays d’Asie que montre la figure 1 sont des exemples de pays où la hausse de l’approvisionnement en énergie a permis de créer des emplois non agricoles.

Figure 1 La consommation d’énergie par personne a augmenté dans 3 pays d’Asie à forte croissance Chine Inde Vietnam Tonnes d’équiv. pétrole par personne et par an
Figure 1. Consommation d’énergie par personne, d’après les données de consommation totale d’énergie du BP Statistical Review of World Energy 2018 et les estimations démographiques 2017 de l’ONU pour trois pays particuliers.
Les chiffres de consommation d’énergie couvrent le pétrole, le gaz naturel, le charbon et de nombreuses autres formes d’énergie consommées en moindre quantité, y compris l’éolien et le solaire.

Quand on les compare à ceux des pays développés, les emplois ainsi créés offrent rarement des salaires élevés, mais ils ont contribué à élever le niveau de vie de ceux qui les ont obtenus.

Un approvisionnement énergétique par personne qui décroît a tendance à rendre plus difficile la création d’emplois bien rémunérés. Si la quantité d’énergie par personne diminue, il est possible que le nombre d’emplois reste élevé, mais beaucoup de ces emplois n’offriront qu’un salaire pas très élevé. Les emplois fortement consommateurs d’énergie, comme ceux liés à la construction de nouvelles écoles et le fait de refaire les routes, ont tendance à disparaître, au profit d’emplois n’exigeant qu’une faible consommation d’énergie, comme par exemple les emplois de serveur ou de barman. La figure 2 donne quelques exemples de pays européens qui ont connu une baisse de leur consommation d’énergie par personne ces dernières années.

Figure 2 La consommation d’énergie par personne a baissé dans 3 pays d’Europe en difficulté Roy.-Uni Italie Grèce Tonnes d’équiv. pétrole par personne et par an
Figure 2. Consommation d’énergie par personne, d’après les données de consommation totale d’énergie du BP Statistical Review of World Energy 2018 et les estimations démographiques 2017 de l’ONU pour trois pays particuliers.
Les chiffres de consommation d’énergie couvrent le pétrole, le gaz naturel, le charbon et de nombreuses autres formes d’énergie consommées en moindre quantité, y compris l’éolien et le solaire.

Lorsque les emplois bien payés deviennent plus difficiles à obtenir, une part importante de la population commence à croire qu’il n’y a pas de place pour d’autres immigrés, quoi que soient leurs véritables besoins. Cela semble faire partie de la dynamique que de nombreux pays ont récemment connue.

Si la croissance de l’approvisionnement énergétique devient insuffisante, d’autres problèmes dus à la physique apparaissent :

Le physicien François Roddier a étudié la manière dont les économies allouaient des ressources lorsqu’elles doivent faire face à une pénurie. Il constate que lorsque l’approvisionnement énergétique total est insuffisant, cette pénurie apparaît sous la forme de disparités croissantes de revenus et de richesses. Une part disproportionnée des biens et services rendus possibles par les approvisionnements en énergie est allouée à un petit nombre d’individus situés au sommet de la hiérarchie économique, tandis que ceux en bas de l’échelle en reçoivent une part décroissante.

François Roddier compare la part croissante des salaires et des richesses qui va en haut de la hiérarchie sociale à de la vapeur qui monte. Dans le même temps, il considère la part décroissante de la consommation d’énergie qui revient à ceux situés en bas de la hiérarchie comme le fait d’évincer ceux qui contribuent le moins à l’économie. Avec cette approche, il est possible, en des temps de pénurie énergétique temporaire, de conserver une partie de l’économie en fonctionnement, même si l’on en perd au passage les parties les plus vulnérables.

Comment quelques-uns des problèmes passés d’énergie réduite ont-ils été résolus ?

Première période de consommation d’énergie réduite : après le pic de charbon au Royaume-Uni, en 1913

Figure 3. Production de charbon du Royaume-Uni depuis 1855, dans un graphe de David Strahan publié pour la première fois dans New Scientist le 17 janvier 2008.

Le problème du Royaume-Uni en 1914 était un problème de charbon. Le charbon avec le plus faible coût de livraison avait été produit en premier. Il était situé près de la surface et géographiquement près de là où il serait in fine utilisé. De nombreux types de coûts apparurent lorsque le charbon facile à extraire et à livrer devint épuisé. Par exemple, extraire une tonne de charbon exigea un plus grand nombre d’heures de travail humain.

Puisque les coûts d’extraction et de livraison du charbon allaient croissant, on pourrait s’imaginer que ces coûts accrus se répercuteraient sur les consommateurs, par un prix plus élevé. (C’est précisément l’hypothèse qui sous-tend la théorie des prix du pétrole qui grimpent sans fin). On pourrait donc s’attendre à ce que les prix du charbon se soient mis à augmenter, parce que les sociétés charbonnières avaient besoin de recettes accrues pour faire face à un processus d’extraction et de livraison de plus en plus inefficace.

Dans les faits, ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. Car les clients ne pouvaient pas se permettre de payer pour des coûts plus élevés. Les salaires de la plupart des citoyens n’ont pas augmenté parce que la quantité de biens et de services que l’économie pouvait produire dépendait de la quantité de charbon produite et livrée. Et si l’économie s’était mise à prendre une partie de la main-d’œuvre située hors de l’industrie du charbon pour la faire travailler dans l’industrie du charbon et ainsi compenser les besoins accrus de main-d’œuvre de celle-ci, cela aurait réduit encore davantage la production totale de l’économie, car les nouveaux travailleurs du charbon n’auraient plus été en mesure d’exercer leur emploi précédent.

Les sociétés minières ont (d’une certaine manière) résolu leur problème de salaires en rémunérant les mineurs avec un salaire de plus en plus insuffisant. Les grèves des travailleurs et les fermetures d’usines par les employeurs sont devenus un problème croissant au Royaume-Uni entre 1910 et 1914. Sans doute sans que ce soit une coïncidence, la Première guerre mondiale a commencé en 1914, juste après que la production de charbon britannique a connu son pic en 1913. La guerre a créé des emplois pour les mineurs et les autres travailleurs qui ne trouvaient pas un travail qui leur payait de quoi vivre. Les travailleurs partant pour contribuer à l’effort de guerre ont laissé derrière eux une main-d’œuvre moins nombreuse pour travailler dans les mines.

Finalement, la Première Guerre mondiale a plutôt été positive pour le Royaume-Uni. Le fait qu’il soit du côté des vainqueurs a permis au pays de rester la puissance mondiale dominante jusqu’en 1945, malgré le déclin de sa production de charbon. Parce qu’elle était dominante, la livre sterling est restée la monnaie de réserve mondiale. Cette situation a permis au Royaume-Uni d’emprunter plus facilement, ce qui lui a permis d’importer du charbon sans disposer de la totalité des fonds dont il aurait eu besoin pour pouvoir se le payer.

Seconde période de consommation d’énergie réduite : de 1920 à la Seconde guerre mondiale, aux États-Unis

Ici, la situation semble plus complexe. Le problème de la moindre consommation d’énergie sur lequel avait reposé la Première Guerre mondiale n’avait pas vraiment été résolu – il avait surtout été déplacé ailleurs. De surcroît, l’Allemagne, l’autre grand producteur européen de charbon après le Royaume-Uni, atteignait un pic de la production de son principal type de charbon, la houille (figure 4). Du fait de ces problèmes, la demande européenne de biens importés des États-Unis a baissé de manière considérable. En particulier, les États-Unis ont été un important fournisseur de nourriture en Europe durant la Première Guerre mondiale, mais cette source de demande a disparu après 1918, quand les soldats sont retournés dans leurs champs.

Figure 4. Production (1792–2004) & import. (1970–2004) de houille en Allemagne (frontières actuelles) Source : BGR
Figure 4. Production de houille en Allemagne de 1792 à 2002. Source : Institut fédéral allemand des géosciences et des ressources naturelles (Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe).

En ce qui concerne la demande de charbon aux États-Unis, le principal problème au-delà de la faible demande européenne était la demande intérieure américaine. La mécanisation avait commencé à remplacer les travailleurs non qualifiés, tant à la ferme qu’à l’usine. La mécanisation de l’agriculture a généré un double problème : elle produisait plus de nourriture que ce qui était nécessaire et elle créait à la fois des gagnants et des perdants. Les gagnants étaient ceux qui bénéficiaient des nouveaux outils mécanisés et qui pouvaient produire de la nourriture à moindre coût ; les perdants étaient ceux qui continuaient à appliquer des procédés beaucoup plus gourmands en travail manuel. Les prix des denrées alimentaires disponibles ont chuté très en-deçà des coûts de la production alimentaire non mécanisée. Les citadins firent aussi partie des gagnants grâce à la baisse des prix alimentaires.

Les disparités de revenus sont devenues un problème de plus en plus sérieux dans les années 1920 (figure 5). Nombreux étaient les biens et services que les travailleurs avec de bas salaires ne pouvaient pas se permettre d’acheter. Les lois de la physique exigent de consommer de l’énergie (d’en « dissiper ») à chaque fois que de la chaleur ou qu’un mouvement est produit. La physique exige donc l’utilisation de produits énergétiques pour fabriquer et livrer des biens et des services. Si l’on suit cette logique, les bas salaires des travailleurs évincés par la mécanisation ont contribué à réduire encore plus la demande d’approvisionnement en énergie des États-Unis, s’y ajoutant et accentuant les problèmes de charbon que l’Europe rencontrait.

Figure 5. Parts de revenus aux États-Unis pour la population dont les revenus se situent au-delà du 99e centile (« Top 1% ») et du 999e millile (« Top 0.1% »), d’après l’article du Wikipédia anglophone sur les travaux de Thomas Piketty et d’Emmanuel Saez.

Les niveaux d’endettement ont augmenté dans les années 1920, en partie du fait des avantages apparents que présentait la nouvelle mécanisation. En 1929, la bulle de la dette a commencé à s’effondrer, montrant la faiblesse sous-jacente de l’économie.

Les problèmes de la fin des années 1920 et des années 1930 ressemblaient beaucoup à ceux d’aujourd’hui. Les disparités de revenus étaient devenues un problème majeur en raison de l’évincement de nombreux travailleurs par la mécanisation et de l’immigration. La réponse publique fut une hausse des droits de douane, notamment au travers des lois Fordney–McCumber de 1922 et Smoot–Hawley de 1930. Des quotas furent également fixés sur le nombre d’immigrants, dans l’espoir qu’une moindre concurrence venue de l’immigration contribuerait à augmenter les salaires des travailleurs non qualifiés.

Le problème de la faible demande d’énergie a fini par être résolu par la Seconde Guerre mondiale. La demande supplémentaire de la Seconde Guerre mondiale a poussé de nombreuses femmes à rejoindre pour la première fois la population active. Grâce à l’effort de guerre, la consommation d’énergie aux États-Unis est repartie à la hausse. Les importantes hausses de salaires à cette époque (figure 6) reflètent surtout le fait que la population active a été augmentée de nombreux travailleurs.

Figure 6 Croissance des salaires moyens et du revenu disponible moyen aux États-Unis Salaires Revenu personnel disponible Taux de croissance annuelle (moyenne glissante sur 3 ans)
Figure 6. Croissance en moyenne glissante sur trois ans des salaires et du revenu personnel moyen, d’après les données du Bureau of Economic Analysis.
Le revenu personnel disponible comprend les paiements de transfert comme les prestations sociales et chômage. Il est également net d’impôts. Le dénominateur dans ce calcul est la population totale des États-Unis, de sorte que les changements reflètent l’effet qu’a l’ajout d’une part accrue de la population sur le marché du travail.

Du point de vue économique, pour les États-Unis, la Seconde Guerre mondiale fut une stratégie gagnante. Les salaires ont connu une hausse rapide au début des années 1940, tout comme le « revenu personnel disponible », qui y est très lié. De surcroît, en 1945, le dollar américain prit la place de la livre sterling comme monnaie de réserve. Cela a donné aux États-Unis le pouvoir d’importer plus de biens et de services (y compris du pétrole) que ce qu’il lui aurait été possible avec des capacités à emprunter plus limitées.

Si l’on analyse la production de charbon des États-Unis, on peut voir interagir les limites géologiques et la demande (en fait, la quantité abordable pour les consommateurs). En matière de limites géologiques, l’anthracite des États-Unis a atteint un pic de sa production, semble-t-il d’origine géologique, en 1918. La demande de denrées alimentaires importées en provenance d’Europe a baissé.

Figure 7. Production de charbon des États-Unis, provenant d’un article du Wikipédia anglophone écrit par le contributeur Plazak.

La production américaine de charbon de qualité inférieure à celle de l’anthracite, la houille, a connu une croissance rapide à partir de 1870 et jusqu’à 1918, lorsqu’elle s’est soudainement mise à suivre un plateau irrégulier, qui a duré jusqu’en 1930. La production de charbon a ensuite chuté brutalement alors que l’économie se contractait violemment, et il a fallu attendre l’époque de la Seconde Guerre mondiale pour qu’elle reparte à la hausse. Ce schéma suit très bien celui de la « demande » auquel on s’attendrait, si l’on suit ce que j’ai décrit plus haut. Les disparités de revenus des années 1920 semblent avoir conduit à une production qui ne croît plus puis qui baisse nettement, avec les problèmes des années 1930 que l’on connaît. Quand on regarde la figure 7, on voit qu’en 1990, il est possible que la production de houille aux États-Unis ait atteint un pic géologique. À ce moment-là, les prix de l’énergie étaient bas (figure 10), soulignant une nouvelle fois que ce sont des prix bas, et non à des prix élevés, qui sont associés à des pics de production d’un type particulier d’approvisionnement énergétique.

La production des deux plus mauvaises qualités de charbon (charbon gras et lignite) n’a commencé qu’en 1970. Cette accélération de l’approvisionnement en charbon a permis d’atténuer le pic de production de pétrole aux États-Unis qui s’est produit la même année, en 1970. On constate un déplacement progressif vers des ressources énergétiques de qualité de plus en plus faible, mais on ne voit pas de phénomène de forte hausse des prix associée à un pic de la demande. À la place, ce sont des bas prix qui semblent être associés aux pics de production.

Troisième période de consommation d’énergie réduite : chute entre 1980 et 1984, liée à des taux d’intérêt élevés

On pourrait s’attendre à ce que le pic de production de pétrole aux États-Unis en 1970 ait eu des conséquences majeures sur la consommation d’énergie du pays, mais ce qu’il s’est produit, c’est une baisse beaucoup plus importante de la consommation d’énergie entre 1980 et 1983, au moment où les États-Unis ont augmenté leurs taux d’intérêt à un niveau élevé, ce qui a provoqué une récession.

Figure 8. Graphe de la Réserve fédérale de Saint-Louis (FRED) montrant côte-à-côte les taux d’intérêt du Trésor à 10 ans et les variations annuelles des taux de croissance du PIB (inflation comprise).

La baisse de la consommation de pétrole qui en a résulté a fait passer les prix du pétrole d’un prix moyen, corrigé de l’inflation, de 110 dollars le baril en 1980 à 32 dollars le baril en 1986. Avec de tels prix, les pays exportateurs d’énergie ont du mal à obtenir des recettes fiscales suffisantes et obtenir les fonds nécessaires au creusement de nouveaux puits. Seuls les pays exportateurs les plus robustes arrivent à s’en sortir.

Un pays exportateur d’énergie en particulier n’a pas survécu : l’Union soviétique. Il a fallu attendre 1991 pour que les tensions financières liées aux bas prix du pétrole finissent par faire s’effondrer le gouvernement central de l’URSS. Du fait de cet effondrement, une bonne partie de l’industrie soviétique a été détruite de manière définitive, réduisant la consommation d’énergie de près de 40%. Même trente ans plus tard, la consommation d’énergie par personne des anciens républiques soviétiques reste très inférieure au niveau moyen qu’elle avait au milieu des années 1980 (figure 9).

Figure 9 Consommation d’énergie par personne États-Unis, Europe, Japon Reste du monde Russie + Tonnes d’équivalent pétrole
Figure 9. Consommation d’énergie par personne dans le monde, d’après des données du BP Statistical Review of World Energy 2018 et des UN Medium Population Estimates 2017. Le groupe « Russie + » correspond à la Communauté des États Indépendants présentée dans le BP Statistical Review of World Energy 2018, et est légèrement plus petit que l’ex-Union soviétique.

Analyse

Quand on étudie ces différentes situations de la production de charbon au Royaume-Uni et en Allemagne, on trouve assez peu d’éléments probants en faveur d’un lien entre pic géologique de production et prix élevés. Il semble plutôt y avoir un lien entre pics de production et conflits entre pays.

Au-delà des conflits, l’autre problème associé aux pics de la production de charbon semble être la baisse de la demande et donc la chute des prix. La raison qui explique les pics géologiques est probablement une rentabilité insuffisante. Et la rentabilité devient insuffisante quand le producteur n’arrive plus à compenser la hausse des coûts de production et de transport par des prix plus élevés. D’une certaine manière, on pourrait dire que la limite à la production de charbon est le caractère abordable du prix. Et l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il en soit de même pour le pétrole.

Il y a également peu d’éléments probants du fait que les pénuries énergétiques entraînent des prix de l’énergie élevés, si l’on définit une pénurie énergétique comme une faible consommation d’énergie par personne pour l’ensemble des types de produits énergétiques. Les pénuries énergétiques ont plutôt tendance à générer des disparités de revenus. Les pénuries énergétiques sont également un sujet de préoccupation pour les gouvernements, car le fait de vouloir que le pays soit compétitif sur les marchés mondiaux a tendance à mettre en évidence le besoin d’un approvisionnement suffisant en énergie peu coûteuse. Les produits fabriqués avec un mix énergétique coûteux ont tendance à être chers, et donc à ne pas être compétitifs sur les marchés mondiaux.

De plus, il est également peu probable que pour la plupart des clients courants, des biens fabriqués avec des produits énergétiques coûteux soient inabordables, car les salaires supplémentaires sont utilisés pour alimenter ce qui est fondamentalement une production moins efficace. Les coûts énergétiques peuvent augmenter pour de multiples raisons, y compris :

Quelle qu’en soit la cause, ces coûts supplémentaires ne permettent pas de produire une plus grande quantité des produits énergétiques indispensables au bon fonctionnement de l’économie. Les coûts plus élevés agissent simplement comme un frein à l’économie, qui doit être caché d’une manière ou d’une autre. Parmi les approches possibles pour dissimuler le problème, on trouve la baisse des taux d’intérêt, la délocalisation de la fabrication dans des pays à bas salaires, ou encore le remplacement de certains travailleurs peu qualifiés par des ordinateurs ou des robots.

Les prix semblent être plus liés à ce que les clients peuvent se permettre de payer qu’aux coûts de production. Notez que lorsque dans les années 1920 et 1930, les approvisionnements énergétiques étaient insuffisants, les prix du pétrole ont baissé. Cette tendance s’explique par le fait que les disparités croissantes de revenus ont conduit un plus grand nombre de personnes à ne pas avoir les moyens d’acheter de très nombreux biens et services fabriqués grâce à des produits pétroliers.

Figure 10 Prix du pétrole hors inflation, en série longue Prix du pétrole Prix du baril de Brent (dollars US de 2017)
Figure 10. Prix du pétrole en série longue et corrigés de l’inflation, d’après les chiffres de prix d’équivalent pétrole de Brent, ajustés de l’inflation, publiés dans le BP Statistical Review of World Energy 2018.

Quand on regarde la figure 11 ci-dessous, on voit une situation où les salaires moyens aux États-Unis ne semblent augmenter que lorsque les prix du pétrole sont bas. Quand les prix du pétrole sont élevés, il devient économiquement plus rentable de déplacer la production de biens dans des pays qui utilisent des produits énergétiques moins chers, et qui proposent des salaires moins élevés. Une telle substitution conduit à une baisse du nombre d’emplois aux États-Unis, et à une récession.

Figure 11 Salaires moyens aux États-Unis et prix du pétrole Salaires moyens Prix du pétrole Salaires moyens (dollars US de 2017) Prix du baril de pétrole (dollars US de 2017)
Figure 11. Salaires moyens en dollars US de 2017 et prix du pétrole Brent, également en dollars US de 2017.
Les données de prix du pétrole en dollars US de 2017 proviennent du BP Statistical Review of World Energy 2018. Les données de salaires moyens correspondent aux salaires totaux fournis par les données du BEA, ajustés à l’aide du déflateur de prix du PIB, et divisés par la population totale. Ces chiffres reflètent donc à la fois les variations du pourcentage de la population active dans la population totale et les variations des niveaux de salaire.

La Réserve fédérale américaine est tout-à-fait consciente du fait que des prix élevés du pétrole conduise à des prix alimentaires élevés, et donc à un problème pour l’économie. Elle est peut-être aussi au courant d’autres problèmes liés à des prix élevés du pétrole, comme la perte de compétitivité sur les marchés mondiaux.

La Réserve Fédérale dispose d’un puissant outil pour résoudre le problème des prix élevés du pétrole : son Open Market Committee peut décider d’augmenter les taux d’intérêt à court terme, et ainsi de renchérir le fait d’emprunter. Par exemple, s’il est possible d’augmenter les taux d’intérêt de sorte que le taux d’intérêt des emprunts automobiles passe de 5% à 6%, cela renchérira les mensualités de remboursement de ces prêts, et cela réduira donc la demande de voitures. De manière indirecte, cela va réduire la demande de pétrole, tant pour fabriquer les voitures que pour les faire rouler.

En fait, la Réserve fédérale semble avoir largement contribué à la grande récession de 2007–2009. Elle a d’abord abaissé les taux d’intérêt au début des années 2000, contribuant à créer une bulle d’endettement, en particulier dans le secteur des logements à destination des clients peu solvables. Elle a ensuite augmenté les taux d’intérêt, ce qui, avec des prix élevés du pétrole, ont fait éclater la bulle de dette.

L’assouplissement quantitatif est un programme qui a été mis en place ces dernières années pour ajuster les taux d’intérêt en évitant les conséquences de changements des taux d’intérêt à court terme. La figure 12 montre que ces changements de taux d’intérêt semblent avoir été étroitement liés à des points de bascule des prix du pétrole. Un programme d’assouplissement quantitatif a été mis en place fin 2008 pour réduire les taux d’intérêt, et donc faire remonter les prix du pétrole. La fin du programme d’assouplissement quantitatif semble avoir eu l’effet exactement inverse.

Figure 12. Prix mensuels du pétrole de Brent avec les dates de début et de fin de la politique d’assouplissement quantitatif des États-Unis. Prix du baril de Brent en moyenne mensuelle Prix Prix du baril (dollars US) Début AQ1 US Fin AQ3 US
Figure 12. Prix moyens mensuels du pétrole Brent au comptant basés sur les données de l’Agence américaine d’information sur l’énergie, ainsi que les dates auxquelles les États-Unis ont commencé et mis fin à l’assouplissement quantitatif.

Ce qui est devant nous est une bulle d’endettement rendue possible par une longue période de taux d’intérêt très bas. La Réserve fédérale semble à présent avoir l’intention de faire éclater cette bulle en augmentant les taux d’intérêt à court terme et, en même temps, en vendant les titres qu’elle a acquis dans le cadre des programmes d’assouplissement quantitatif. Si la Réserve fédérale réussit à faire exploser la bulle d’endettement, les prix du pétrole (tout comme les autres prix de l’énergie) pourraient à nouveau baisser à un niveau très bas. Si je ne me trompe pas, nous pouvons nous alors attendre à une autre récession majeure. Elle se caractérisera par une faible demande, des prix bas des matières premières et des licenciements dans de nombreuses industries.

Conclusion

Plus on se penche sur le récit qui affirme que la hausse des prix du pétrole pourrait permettre d’extraire sans fin du pétrole, moins ce récit semble raisonnable. S’il était vrai, nous aurions vu, il y a un siècle, les prix du charbon augmenter sans fin en Europe, à l’époque où celui-ci était la forme dominante d’énergie supplémentaire disponible. Or cette hausse ne s’est jamais produite.

À la place, nous devrions nous inquiéter de la possibilité qu’un conflit apparaisse. La situation énergétique pourrait bien ressembler de plus en plus à un jeu de chaises musicales, si la quantité proposée par les vendeurs à un prix abordable devenait trop faible. Dans ce jeu, les gagnants seront ceux qui réussiront à obtenir un approvisionnement suffisant pour eux-mêmes. Il n’est pas sûr qu’adopter cette stratégie permette à quelqu’un d’être gagnant, mais peut-être n’ai-je pas vu tous les scénarios possibles.

L’un des problèmes que posent des approvisionnements insuffisants en énergie, c’est la difficulté d’en obtenir des recettes fiscales suffisantes. Si le montant des recettes fiscales devient un problème, cela créera probablement une pression pour réduire les contributions aux organisations dont le rôle est de rapprocher les pays entre eux, comme par exemple l’Union européenne ou les Nations Unies. De nombreuses subventions risquent de subir un couperet fatidique. De nombreux services collectifs risquent aussi de subir des coupes drastiques, voire d’être tout simplement abandonnés, allant de la réparation des ponts aux programmes de retraite pour les personnes âgées.

La plupart d’entre nous n’a jamais été informé sur les guerres de ressources. L’immense disponibilité des combustibles fossiles a balayé le besoin même de réfléchir à la possibilité d’une pénurie de ressources énergétiques ou d’autres ressources comme par exemple l’eau potable. Malheureusement, il est possible qu’un conflit de ressources peut resurgir dans une nouvelle version du XXI siècle pas si lointain.

Inutile de dire que je ne recommande pas le conflit et les programmes de coupe des dépenses. J’affirme juste que les problèmes énergétiques et les problèmes financiers sont très étroitement liés les uns aux autres. C’est là la manière dont les choses semblent se passer.