Les modèles énergie-économie trop simples donnent des réponses trompeuses
Par Gail Tverberg 25 juillet 2016
Utiliser des modèles énergie-économie trop simples pose-t-il un problème ? En fait, cela dépend de ce que l’on veut faire avec. Si l’on cherche juste à déterminer en gros le nombre d’années dans lesquelles les approvisionnements énergétiques vont se mettre à décroître, alors un modèle simple est amplement suffisant. Si par contre, ce que l’on chercher à faire, c’est trouver comment on pourrait modifier l’économie actuelle pour la rendre plus résistante aux forces qu’elle subit, alors il nous faut un modèle plus complexe, qui explique les véritables problèmes auxquels l’économie est confrontée lorsqu’elle atteint des limites. Il faut un modèle qui donne une courbe avec la bonne forme, et qui donne aussi un calendrier à peu près correct. En toile de fond de ce billet, je recommande la lecture de cet autre article que j’ai publié récemment au sujet de la complexité et de ses effets.
L’interprétation courante qui est souvent tirée des modèles simples, c’est qu’il va falloir s’attendre à ce que l’épuisement de notre approvisionnement énergétique soit le problème insurmontable à l’avenir. Mais un modèle plus complet suggère une autre histoire : lorsqu’on s’approchera des limites, les problèmes auxquels il faudra faire face seront probablement très différents – une disparité de richesses croissante, une incapacité à maintenir notre infrastructure complexe en état, et des problèmes d’endettement croissant. En fait, les sources d’approvisionnement en énergie qui semblent aujourd’hui faciles d’accès ne pourront pas être exploitées, parce que les prix n’augmenteront pas assez pour que leur exploitation devienne rentable. Il faut s’attendre à ce que ces problèmes imposent à la courbe de consommation énergétique future la forme d’une baisse assez rapide, comme celle de la falaise de Sénèque.
Figure 1. La falaise de Sénèque, selon Ugo Bardi. Cette courbe est basée sur les écrits de Lucius Anneaus Seneca, au 1er siècle de notre ère :
« Ce serait une sorte de consolation pour notre fragilité comme pour celle des choses qui nous touchent, si tout était aussi lent à périr qu’à croître ; mais le progrès veut du temps pour se développer, et la chute vient au pas de course. » (Lettres à Lucilius, Lettre XCI ; trad. J. Baillard, Hachette 1914)
Cela peut sembler contre-intuitif, mais les questions liées à la complexité imposent aux économies de croître, faute de quoi celles-ci s’effondrent. Le lecteur pourra se référer à mon article intitulé La physique de l’énergie et de l’économie. L’idée courante selon laquelle on extrait 50% d’une ressource avant d’atteindre un pic d’extraction, et que l’on peut encore en extraire 50% après avoir franchi ce pic se révèle fausse : l’essentiel de cette seconde moitié restera dans le sol.
Un modèle simple fonctionne si tout ce que nous essayons de faire, c’est d’essayer de trouver une date approchée du début de la récession
Notre démarche est-elle semblable à celle de l’équipe que Dennis Meadows a dirigée au début des années 1970, qui cherchait simplement à faire une estimation approchée du moment où les limites des ressources naturelles deviendraient un problème grave ? (C’est sur cette analyse que repose le livre de 1972, Les limites à la croissance.) Ou ressemble-t-elle plutôt à celle de Marion King Hubbert qui, en 1956, tâchait d’alerter ses concitoyens sur des problèmes énergétiques qui adviendraient dans un futur assez lointain ? Dans le cas de Hubbert comme de Meadows, un modèle très simple suffisait largement, dès lors qu’il était capable de dire grossièrement à quel moment le problème pourrait advenir, sans donner de précision sur la manière dont il surviendrait.
Il y a deux ans, j’ai critiqué le modèle de Hubbert en soulignant ses déficiences sur certains points majeurs : il laisse de côté la complexité, l’entropie, et il suppose un approvisionnement quasi illimité d’un combustible de substitution. Cependant, ces éléments n’étaient peut-être pas très importants si ce que Hubbert essayait de faire, c’était juste d’alerter les gens sur un problème qui allait survenir dans un futur lointain.
Figure 2. Diapositive 29 de ma présentation sur la complexité à la Biophysical Economics Conference de 2016. Le modèle de Hubbert omet complexité et entropie.
Le modèle qui sous-tend le livre Limits to Growth de 1972 était également assez simple. Ugo Bardi a utilisé cette image de Magne Myrtveit pour représenter la façon dont fonctionnait le modèle de Limits to Growth de 1972. Il n’incluait ni système financier, ni dette.
Figure 3. Image de Magne Myrtveit qui résume les principaux éléments du modèle de monde utilisé par le livre Limits to Growth.
En tant que tel, ce modèle ne reflète pas les principaux éléments de complexité, que j’ai résumés comme suit dans un article récent :
Ainsi, le modèle est incapable de prévoir les problèmes auxquels on peut s’attendre avec une pyramide sociale de plus en plus grande, notamment ceux que les gens situés tout en bas peuvent rencontrer pour obtenir les ressources nécessaires à la satisfaction de leurs besoins vitaux. Il s’agit là de problèmes importants, car les gens situés tout en bas de la pyramide sont très nombreux. Ils ont besoin de se nourrir, de s’habiller, de se loger, et de se déplacer jusqu’à leur lieu de travail. Tout cela consomme des ressources naturelles, y compris énergétiques. Si le bénéfice des ressources naturelles disponibles ne descend pas jusqu’à la base de la pyramide, les taux de mortalité se mettent à grimper. C’est l’une des forces dont on peut s’attendre à ce qu’elle modifie la forme de la courbe.
Figure 5. Diapositive 17 de ma présentation sur la complexité. Les gens en bas de la pyramide sont les plus vulnérables.
Dennis Meadows n’affirme pas que le modèle de son équipe montre quoi que ce soit d’utile sur la « forme » de l’effondrement. En fait, dans un article publié il y a environ un an, j’ai choisi de couper une partie de la prévision bien connue de Limits to Growth pour éliminer celle qui n’est sans doute pas très utile, et ne montrer que ce que leur modèle simple indique.
Figure 6. Prévision des Limites à la croissance, tronquée peu après le moment où la production commence à se réduire, puisque ensuite, les quantités modélisées cessent d’être fiables.
La vision de l’effondrement de l’anthropologue Joseph Tainter
Si on lit ce que dit l’anthropologue Joseph Tainter dans son livre Effondrement des sociétés complexes, on constate qu’il ne considère pas « l’épuisement » comme étant la cause de l’effondrement. C’est plutôt la complexité croissante qui, selon lui, est ce qui pousse une économie à s’effondrer. Voici deux des éléments que Tainter met en avant pour décrire la notion de complexité :
Une complexité accrue porte en elle une hausse des coûts énergétiques par habitant. En d’autres termes, une complexité accrue est elle-même consommatrice d’énergie, et elle a donc tendance à aspirer l’énergie qui pourrait être disponible pour d’autres usages. Ainsi, à mon avis, la complexité va faire s’écrouler le système plus vite que ce que suggère le modèle de Hubbert – la partie complexité du système va consommer une partie de l’énergie que le modèle de Hubbert suppose disponible pour alimenter la lente contraction de l’économie.
Un investissement accru dans la complexité tend à générer des rendements marginaux décroissants. Par exemple, la première voie rapide que l’on ajoute à un réseau routier offre une plus grande valeur ajoutée que la millième. Enfin, pour essayer de générer de la croissance économique là où il y en a peu, les gouvernements peuvent utiliser la dette pour financer la construction d’autoroutes dont on s’attend à ce qu’elles soient utilisées par presque personne, tout simplement pour créer de l’emploi.
« Dans les sociétés anciennes que j’ai étudiées, par exemple l’Empire romain, le problème majeur auquel ces économies faisaient face était qu’elles finissaient par générer des coûts très élevés juste pour maintenir un statu quo. Elles devaient investir des montants très élevés pour résoudre des problèmes dont la solution n’offrait pas un rendement net positif ; ces investissements permettaient seulement aux économies de conserver le niveau auquel elles se trouvaient. Ce coût croissant pour maintenir le statu quo réduisait le bénéfice net d’être une société complexe. »
Vision de l’effondrement basée sur une approche modélisatrice
Dans leur livre Secular Cycles, Peter Turchin et Sergey Nefedov abordent le problème de l’origine de l’effondrement des civilisations par la modélisation. Selon leur analyse, ce qui a provoqué l’effondrement de civilisations correspond très largement aux symptômes d’une complexité croissante :
Les problèmes ont eu tendance à augmenter lorsque la population vivant dans une zone donnée a crû au-delà des ressources disponibles – soit que la population soit devenue trop nombreuse, soit que les ressources se soient dégradées, soit les deux. Les dirigeants ont alors adopté des mesures, que l’on pourrait qualifier « d’ajout de complexité », pour résoudre ces problèmes – par exemple, une hausse des impôts, pour pouvoir payer une plus grosse armée et l’utiliser pour envahir un autre territoire, ou encore la construction d’un système d’irrigation, pour rendre les terres plus productives. Une approche moderne pourrait consister en une augmentation du tourisme, pour tirer profit de la richesse des touristes et pouvoir l’échanger contre les ressources qui font défaut, comme de la nourriture.
Selon Turchin et Nefedov, l’un des problèmes qui apparaît quand on adopte de nouvelles mesures est le fait que la disparité des richesses s’accroît. De nouvelles solutions complexes exigent un plus grand nombre de dirigeants. Dans le même temps, il devient plus difficile pour les gens situés en bas de la pyramide (comme de nouveaux travailleurs) d’obtenir des salaires adaptés. Une partie du problème provient de celui, sous-jacent, d’un trop grand nombre d’individus pour la quantité de ressources disponibles. Ainsi, par exemple, il n’y a guère besoin d’augmenter le nombre d’agriculteurs, car ils sont suffisamment nombreux pour ce que les terres permettent de faire travailler. Pour une autre part, le problème provient du fait qu’une part croissante de la production économique est absorbée par des personnes appartenant aux couches supérieures de la pyramide, ce qui en laisse de moins en moins aux travailleurs les moins qualifiés.
Les prix de la nourriture et des autres matières premières peuvent grimper pour un temps, mais il y a une limite à ce que les travailleurs peuvent payer. Ceux-ci ne peuvent payer encore plus cher qu’à condition d’accepter une dette accrue.
Les niveaux d’endettement ont tendance à augmenter, à la fois en raison de la moindre capacité des travailleurs à payer pour leurs besoins de base, et du besoin des gouvernements de financer leurs principaux projets.
Les systèmes ont tendance à s’effondrer parce que les gouvernements ne peuvent pas percevoir assez d’impôts des travailleurs pour pouvoir répondre à leurs besoins accrus. En outre, lorsqu’ils ne peuvent plus se nourrir correctement du fait de leurs bas salaires et des impôts élevés, les travailleurs situés en bas de la pyramide sociale deviennent plus sensibles aux épidémies.
Comment peut-on corriger un modèle trop simple ?
En un sens, la figure 3 ne montre qu’une seule « couche » de notre problème. Le système possède aussi une couche financière, qui inclut à la fois le niveau d’endettement et le niveau des prix. Le système doit aussi être raffiné pour décrire qui bénéficie des produits énergétiques : s’agit-il de ceux situés en haut de la pyramide, ou de ceux situés en bas ? Si l’économie ne croît pas très vite, l’un des problèmes majeurs est que les travailleurs situés en bas de la pyramide ont tendance à être évincés.
Figure 7. Représentation par l’auteur de la manière dont varie dans le temps la part de la production économique reçue par les travailleurs en bas de l’échelle sociale, à mesure que les coûts des autres parts de l’économie augmentent. Les tailles relatives des différents éléments ne sont pas représentatives : le but de ce tableau est de donner une idée générale de la tendance à l’œuvre, non de la chiffrer.
En bref, nous avons plusieurs dynamiques à l’œuvre qui poussent l’économie vers un effondrement, plutôt que de pousser vers un simple « épuisement » des ressources :
La dette a tendance à augmenter beaucoup plus vite que le PIB, en particulier lorsque des quantités croissantes de biens d’équipement sont ajoutées. Le supplément de dette a tendance à avoir un rendement décroissant. Par conséquent, rembourser la dette avec ses intérêts devient de plus en plus difficile, ce qui pose un problème majeur au système financier.
Le coût de l’extraction de ressources a tendance à augmenter du fait des rendements décroissants. Les salaires, en particulier des travailleurs peu qualifiés, sont loin de croître aussi vite. Ces travailleurs ne peuvent plus s’acheter autant de maisons, de voitures, de motos et d’autres biens de consommation. Sans cette demande en biens de consommation fabriqués à partir de ressources naturelles, les prix de nombreuses matières premières risquent de passer sous leur coût de production. Ou bien les prix risquent d’osciller fortement, provoquant de graves problèmes de défaut de dette pour les producteurs de matières premières.
En raison de sa complexité croissante, le « surcoût » du système (qui incluent les coûts de formation, les frais médicaux, les salaires des cadres, le coût des programmes publics et celui de l’extraction de ressources) a tendance à croître, ce qui en laisse moins pour les salaires des nombreux travailleurs peu qualifiés à travers le monde. Avec des salaires plus faibles, les travailleurs peu qualifiés peuvent se payer moins de biens et services. Cette dynamique a également tendance à pousser le système vers un effondrement.
Ci-dessous sont listées des variables que l’on pourrait ajouter à un modèle péchant par sa simplicité :
La dette. Puisque l’on tente de contourner la pénurie de ressources par l’ajout de biens d’équipement, les niveaux d’endettement vont avoir tendance à croître rapidement, parce qu’il faut payer les travailleurs avant que ces biens d’équipement supplémentaires ne fassent leur effet. Il y a aussi d’autres raisons qui expliquent la croissance des niveaux d’endettement, comme les dépenses publiques sans les recettes fiscales correspondantes, et le financement des dépenses considérées comme étant de long terme, comme les études supérieures et les investissements dans la recherche et le développement.
Les taux d’intérêt sont le principal levier à disposition des dirigeants politiques pour tenter d’influer sur les niveaux d’endettement. En général, plus les taux d’intérêt sont bas, moins cela coûte cher d’acheter à crédit des voitures, des maisons ou des usines. Ainsi, on peut s’attendre à ce que la quantité de dette augmente à mesure que les dirigeants politiques diminuent les taux d’intérêt.
Les salaires des travailleurs peu qualifiés. Les travailleurs peu qualifiés ont un double rôle : (a) ce sont principalement eux qui créent les biens et services dans le système, et (b) ce sont principalement eux qui achètent les produits fabriqués à partir de matières premières, comme la nourriture, les vêtements, les logements ou les services de transport. La manière dont leur salaire évolue a donc tendance à être un déterminant primaire de la capacité de l’économie à croître. En général, on s’attend à ce que leur salaire augmente, dès lors qu’il est complété par une quantité toujours croissante d’énergie fossile prenant la forme de machines plus grosses et plus performantes, qui permettent aux travailleurs de produire toujours plus de biens et services. Si le salaire des travailleurs peu qualifiés baisse trop, on peut s’attendre à ce que l’économie ralentisse et que le prix des matières premières chute. Néanmoins, jusqu’à un certain point, il est possible d’utiliser un surcroît de dette (en manipulant les taux d’intérêt, ou en creusant le déficit public) pour compléter le salaire des travailleurs peu qualifiés et permettre à l’économie de continuer de croître malgré la stagnation des salaires.
Le prix abordable maximum pour les matières premières dans leur ensemble dépend en premier lieu du niveau des salaires des travailleurs peu qualifiés, et du niveau d’endettement. Une matière première donnée peut voir son prix augmenter, mais dans l’ensemble, le coût global correspondant au niveau de prix des matières premières doit rester abordable, compte tenu des niveaux de salaire et d’endettement des travailleurs. Si le niveau de salaire des travailleurs peu qualifiés monte, le niveau de prix abordable global des matières premières matières premières aura lui aussi tendance à monter. Mais si les travailleurs peu qualifiés voient le niveau de leur salaire baisser, ou si le niveau d’endettement baisse, alors le seuil pour un niveau de prix abordable est lui aussi susceptibles de diminuer.
Le niveau de prix nécessaire pour produire les matières premières dans leur ensemble doit continuer de croître au rythme précédent. Ce niveau de prix requis dépendra de nombreux facteurs, y compris : (a) la hausse des coûts d’extraction, compte tenu des conséquences de l’épuisement, (b) le niveau des salaires, (c) les exigences fiscales, et (d) les autres besoins, y compris le paiement des intérêts et dividendes, et le financement nécessaire aux nouveaux développements. Il est clair que, si le niveau de prix abordable tombe durablement en dessous du niveau de prix requis, il faut éventuellement s’attendre à ce que la production marchande totale commence à chuter, et à ce que l’économie se contracte.
Les besoins énergétiques de la « surcharge » du système. Une complexité croissante a tendance à faire croître la surcharge du système beaucoup plus vite que le système pris dans son ensemble. Divers types de produits énergétiques sont nécessaires pour soutenir cette surcharge croissante, ce qui en laisse moins aux autres usages, par exemple celui de démultiplier de plus en plus le travail humain. Parmi les exemples de surcharge croissante du système, on peut citer l’énergie nécessaire pour (a) maintenir en bon état le réseau électrique, Internet, le réseau de routes et de canalisations électriques ; (b) lutter contre les problèmes de pollution croissants ; (c) soutenir les systèmes éducatifs, de santé et financiers qui sont nécessaires au maintien d’une société de plus en plus complexe ; (d) répondre aux promesses des dirigeants politiques en matière d’assurance-retraite et d’assurance-chômage ; et (e) couvrir la hausse des coûts en énergie de l’extraction de produits énergétiques, d’eau et de métaux.
Un approvisionnement énergétique disponible qui dépend des investissements et des niveaux de prix passés. Quelques exemples permettront d’expliquer ce problème. Si cela fait 10 ans qu’un grand projet pétrolier a commencé, il y a de bonnes chances qu’il soit terminé aujourd’hui, peu importe qu’il y ait aujourd’hui un besoin en pétrole. Les pays exportateurs de pétrole continueront à pomper du pétrole aussi longtemps que le prix disponible sur le marché sera supérieur à leur coût de production, parce que leurs gouvernements ont besoin d’un minimum de recettes fiscales pour protéger leurs économies d’un effondrement. Les éoliennes et les panneaux solaires qui ont été construits dans le passé continueront à produire de l’électricité de manière irrégulière, peu importe que le réseau électrique ait réellement besoin de cette électricité. Les crédits d'impôt à la production d’énergies renouvelables continueront d’inciter à brancher de nouvelles éoliennes et de nouveaux panneaux solaires au réseau électrique, peu importe qu’il y ait réellement besoin de cette électricité.
La quantité d’énergie qui peut réellement être ajoutée au système, en sur la base de ce que les travailleurs peuvent se permettre de payer, compte tenu de leurs salaires et des niveaux d’endettement [énergie fondée sur la demande]. Parce que la correspondance entre offre et demande se fait fondamentalement à court terme (minute par minute, pour l’électricité), en théorie, il nous faudrait une matrice de quantités de diverses matières premières que l’on peut acheter à différents niveaux de prix sur le court-terme, étant donnés le niveau des salaires et le niveau d’endettement. Par exemple, si plus d’électricité que nécessaire est injectée sur le réseau électrique, quelles vont être les conséquences d’une baisse des prix sur la quantité d’électricité que les consommateurs seront prêts à acheter ? Les intersections des « courbes » d’offre et de demande vont déterminer à la fois le prix et la quantité d’énergie ajoutée au système.
Le modèle est susceptible de fournir trois estimations différentes à la question de savoir si nous sommes en train d’atteindre l’effondrement :
Une analyse de la question de savoir si l’on atteint des limites au remboursement de la dette et de ses intérêts.
Une analyse de la question de savoir si le niveau abordable des prix des matières premières descend sous le niveau minimum pour que leur consommation puisse croître, ce qui conduira vraisemblablement à la baisse de la production future de matières premières.
Une analyse de la question de savoir si la quantité d’énergie nette par personne diminue. Ceci serait le reflet du calcul de la quantité suivante en fonction du temps :
Si la quantité d’énergie nette par personne diminue, la capacité à démultiplier le travail humain diminue lui aussi. La productivité des travailleurs va donc probablement cesser de croître, voire baisser. La quantité totale de biens et services produits va probablement plafonner ou baisser, ce qui va conduit à une stagnation ou un déclin de la croissance économique.
Ce qu’il faut retenir concernant tout ce que l’on a ajouté à ce modèle est qu’ils renforcent la nature unidirectionnelle du système. L’économie a besoin de croître, faute de quoi elle s’effondre. Le prix des produits énergétiques ne peut pas du tout connaître de croissance fulgurante, parce que les salaires des travailleurs n’augmentent pas en conséquence. Cela signifie que tout substitut énergétique doit impérativement être très peu cher. Le système a besoin de continuer à augmenter le niveau d’endettement, en particulier lorsque l’on ajoute des biens d’équipement. Le bénéfice de cette dette offre un rendement décroissant. Si l’on combine tous ces rendements décroissants tirés des investissements qui ont été réalisés par de la dette, et les intérêts qu’il faut payer sur de la dette, cela signifie que les produits énergétiques tirés des biens d’équipement vont avoir énormément de mal à « sauver » le système.
La complexité génère en plus des problèmes imprévus
L’une des questions que les gens qui travaillent uniquement dans le secteur de l’énergie peuvent ne pas avoir remarqué est que notre système actuel de fixation des prix de l’électricité par le marché ne fonctionne pas très bien, à cause des systèmes de rachat garantis et des autres programmes de subventions qui ont été introduits. Il y a des preuves que subventionner l’électricité renouvelable a tendance à conduire à des prix de gros de l’électricité qui baissent. D’une certaine manière, si on subventionne le prix de l’électricité pour un type particulier de producteur d’électricité, on se retrouve à devoir subventionner aussi le prix de l’électricité pour les autres types de producteurs d’électricité. (C’est aussi le cas en Californie.)
Des prix inadaptés pour les producteurs d’électricité et le besoin de toujours plus de subventions pour la production d’électricité pourraient, en soi, suffire à provoquer une défaillance du système. D’une certaine manière, ce problème de prix résulte de la complexité – ce que les économistes ont négligé. Leurs modèles à eux sont aussi trop simples !
Conclusion
Il est facile de se baser sur des modèles trop simples. Le plus gros problème à côté duquel on passe est sans doute le fait que les prix de l’énergie ne peuvent pas augmenter indéfiniment. De ce fait, l’humanité laissera dans le sol une bonne part des ressources naturelles, y compris le pétrole et les autres produits énergétiques. De plus, parce que les prix ne monteront pas énormément, il ne faut pas non plus s’attendre à ce que les produits énergétiques coûteux à produire soient des substituts viables, quelle que soit la manière dont on les déguise. Il est également peu probable que les substituts qui ne peuvent pas être intégrés à faible coût au réseau électrique soient viables.
J’ai parlé des travailleurs peu qualifiés comme d’une part vulnérable du système. À la lecture de Joseph Tainter, il est clair que les différents « connecteurs » qui rendent notre économie moderne possible sont eux aussi une part vulnérable de notre système actuel : le réseau électrique, les routes et les ponts, les réseaux de canalisations, les systèmes d’égouts et d’adduction d’eau, l’Internet, le système financier, le système de commerce international. Même les organisations gouvernementales comme la zone euro pourraient être considérés comme des systèmes connectifs vulnérables. On peut s’attendre à ce que le coût énergétique de l’entretien de ces systèmes continue à croître. Le fait que le coût de ces systèmes soit croissant est une des raisons qui font que maintenir notre système économique actuel est difficile.
L’accent mis sur « l’épuisement » a conduit à se focaliser sur la recherche de moyens d’élargir notre approvisionnement énergétique à des alternatives chères et disponibles en petites quantités. Cette approche ne nous a pas vraiment menés très loin. Si nous voulons protéger l’économie de l’effondrement, il nous faut un approvisionnement croissant en énergie et en autres ressources naturelles qui soit peu cher à exploiter. Idéalement, ces nouvelles ressources devraient exiger peu de dette, et ne pas être à l’origine de problèmes de pollution. Satisfaire de telles exigences est excessivement difficile dans un monde fini.