Par Gail Tverberg
6 juillet 2016
La semaine dernière, j’ai donné une présentation assez étendue au cours de la Conférence 2016 sur l’économie biophysique, intitulée Complexité : le lien fort entre EROI des combustibles fossiles, EROI de l’énergie humaine et dette (pdf). Dans cet article, je vais présenter une partie de cette présentation qui explique plusieurs problèmes-clés :
Mon analyse a comme prémisse la fait que l’économie se comporte comme d’autres systèmes physiques. Pour fonctionner, elle a impérativement besoin d’énergie – et même, en fait, d’une quantité croissante d’énergie. Si le système ne reçoit pas la quantité d’énergie dont il a besoin, il se « rééquilibre » d’une manière qui risque de ne pas être à notre goût. Sur ce point, le lecteur pourra lire mon article La physique de l’énergie et de l’économie.
La diapositive 2 ci-dessous donne un aperçu de mon exposé. Je laisserai de côté les parties de ma présentation sur l’EROI et le modèle de Hubbert.
Selon la plupart des chercheurs avec lesquels j’ai discuté au cours de cette conférence, le pétrole risque d’être le premier problème auquel nous allons être confrontés, et non le charbon. Et ce problème risque d’être celui de prix trop élevés, et non celui de prix trop bas. Le pic de charbon que montre la diapositive 3 pour maintenant semble donc n’avoir aucun sens. Pourtant, mon analyse des données récentes suggère avec force qu’un pic du charbon est exactement ce qui se passe en ce moment.
Je montrerai plus loin dans cette présentation pourquoi le fait que la production de charbon atteigne un maximum maintenant a effectivement un sens – cela a à voir avec le fait que les prix de tous les combustibles fossiles semblent connaître les mêmes variations en même temps. Le rythme de hausse des niveaux d’endettement semble être un facteur majeur dans les niveaux de fixation des prix. Lorsque le niveau d’endettement ne croît pas assez vite, la « demande » n’est pas assez élevée, et les prix de tous les combustibles fossiles ont tendance à chuter tous en même temps. Une question connexe est de déterminer jusqu’à quel point l’économie mondiale peut croître : si la croissance économique mondiale est trop lente, cela aura aussi tendance à contraindre la demande, et donc les prix de l’énergie, à la baisse.
La croissance de la production de charbon en Chine a ralenti en 2012, c’est-à-dire au moment où les prix du charbon ont commencé à baisser. Ceci avant même que la Chine ait pris le leadership du charbon en mars 2013. On sait que la production de charbon chinoise devrait continuer à baisser, parce que l’agence chinoise de l’énergie a indiqué que la Chine prévoyait de fermer plus de 1000 mines de charbon en 2016 en raison d’une « situation de surproduction qui sape les prix ». Pour plus d’informations, le lecteur pourra consulter mon article Le pic de charbon est-il une partie du problème que rencontre la Chine ?
La raison pour laquelle j’affirme que la consommation mondiale d’énergie par personne a peut-être atteint un maximum en 2013, c’est en partie parce que la consommation de charbon semble elle-même avoir atteint un maximum. Et si le charbon a atteint son pic, il sera difficile de compenser celui-ci avec d’autres combustibles, comme par exemple les énergies renouvelables, ou même le gaz naturel. En outre, des chiffres récents (montrés ci-dessus) révèlent déjà, en moyenne mondiale, une légère baisse de la consommation d’énergie par personne. Si la production mondiale de charbon continue de baisser, il faut s’attendre à ce que la consommation mondiale d’énergie par personne continue de baisser.
À vrai dire, la figure ci-dessous ne figure pas dans la présentation que j’ai donnée – je me suis dit que j’allais l’ajouter ici, pour montrer que la consommation d’énergie varie pour l’économie de quelques pays. Le tableau du haut dans cette diapositive supplémentaire montre la tendance de la consommation d’énergie par personne au Royaume-Uni, au Japon, en Espagne et en Grèce. On sait que le Japon, l’Espagne et la Grèce ont connu des problèmes économiques pendant plusieurs années, ce qui ne devrait peut-être pas être si surprenant compte tenu de la baisse de leur consommation d’énergie par personne. Le Royaume-Uni montre un schéma similaire à ces trois pays. Il faut s’attendre à ce qu’un tel schéma conduise à une augmentation des disparités salariales, pour des raisons que nous allons détailler plus loin, lorsque nous parlerons de « complexité ».
La consommation d’énergie de la Chine montre une situation contrastée. La Chine a connu une croissance rapide de sa consommation d’énergie après avoir rejoint l’Organisation mondiale du commerce en 2001. Plus récemment, la croissance de la consommation d’énergie en Chine a ralenti, ce qui suggère un ralentissement de la croissance de l’économie – potentiellement, encore plus prononcé que ce qu’en disent les rapports officiels de PIB.
Dans la diapositive 5, je donne un aperçu de l’importance du phénomène de pic d’énergie par personne. Des deux manières de voir les choses que montre cette diapositive, la mienne est la seconde, tandis que la plupart des participants à la conférence sont venus avec la première. JNotez que je n’affirme pas que tous les secteurs de l’économie rencontreront forcément des problèmes. C’est plutôt que les secteurs non favorisés seront probablement les premiers à en rencontrer.
Dans L’effondrement des sociétés complexes, Joseph Tainter nous montre que la manière dont les économies qui risquent d’atteindre des limites peuvent parfois résoudre leurs problèmes, c’est en augmentant leur complexité.
Les économistes d’aujourd’hui semblent croire que la technologie va résoudre nos problèmes. Pour ma part, la complexité et la technologie sont deux choses liées l’une à l’autre, la complexité étant un précurseur de la technologie. Les économies qui souhaitent adopter des technologie de niveau supérieur doivent, pour ce faire, prendre des mesures en faveur d’une complexité accrue.
En essayant de lister ce qui constituait la complexité, voici les éléments auxquels j’ai pensé :
Au sujet de l’énergie concentrée, le fait d’en consommer semble être ce qui distingue les êtres humains des autres animaux.
Si ce que nous voulons, c’est mettre en place une économie stationnaire, « tout » ce que nous avons à faire, c’est mettre de côté notre consommation d’énergie concentrée, et vivre comme des chimpanzés. Mais dans ce cas, je ne suis pas sure que nous réussissions à nourrir suffisamment nos gros cerveaux. À ce sujet, le lecteur pourra consulter les deux diapositives suivantes : 9 et 10.
Une autre forme d’énergie concentrée que nous utilisons, ce sont les biens d’équipement. Il s’agit de tous les produits dont nous comptons qu’ils vont durer assez longtemps, comme par exemple les maisons, les véhicules ou les usines. La grande question est de savoir comment se payer des biens d’équipement.
Le problème vient du fait qu’il faut payer les travailleurs maintenant, alors que le bénéfice de ces biens d’équipement s’étale sur de nombreuses années à venir. Il faut, d’une manière ou d’une autre, « ramener » le bénéfice futur de ces biens d’équipement à aujourd’hui. La réponse basique à cette situation est le recours à la dette (ou à des instruments financiers assimilables à de la dette) pour financer les biens d’équipement. Nous reviendrons sur la question de la dette plus loin.
Les prochaines diapositives (12 à 14) montrent d’autres manières de concentrer l’énergie. L’une d’entre elles est de créer des entreprises. Des concentrations d’énergie encore plus grosses peuvent être obtenues en créant de plus grosses entreprises, voire des multinationales. Les États peuvent eux aussi être utilisés pour concentrer la consommation de ressources énergétiques, grâce à leur capacité à construire des routes, des écoles et de nombreuses autres infrastructures. Les organisations internationales peuvent également agir pour concentrer la richesse, en facilitant le commerce entre membres (par exemple, la zone euro, ou l’Organisation mondiale du commerce) ou en prêtant de l’argent aux pays membres (par exemple, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale). Toutes ces organisations peuvent bénéficier de l’utilisation de la dette pour financer la croissance de leur structure.
Nous avons vu que l’énergie concentrée était le premier élément de complexité (voir l’aperçu plus haut). Le second élément de complexité, ce sont les éléments purs et composés purs. À bien des égards, ce second besoin ressemble fort à l’énergie concentrée, dans la mesure dont il permet à la technologie de fonctionner.
Le troisième élément de complexité (voir l’aperçu plus haut) démultiplie l’énergie humaine grâce à une organisation hiérarchique. À bien des égards, il s’agit là de l’idée d’une énergie concentrée que l’on applique aux êtres humains.
Historiquement, le gros problème a été celui de populations qui sont devenues trop nombreuses au regard des ressources qui leur étaient disponibles. D’une certaine manière, notre situation est devenue comparable. De manière peu surprenante, lorsque cela va se produire, ce sont les gens au bas de la hiérarchie qui auront tendance à ne pas recevoir suffisamment.
L’un des avantages fondamentaux de la dette est sa capacité à décaler des effets dans le temps.
Bien sûr, la valeur de ces biens d’équipement est spéculative lorsque de la dette est utilisée pour déterminer leur prix à l’avance. Tant que l’économie tire un avantage suffisant des biens d’équipement et des autres usages de la dette, et cela lui permet de rembourser la dette avec intérêts, le système aura tendance à tourner comme prévu.
L’un des aspects-clés de la dette est sa capacité à déterminer la demande, et donc les prix, de produits comme le pétrole ou le gaz naturel. Si la dette a ce pouvoir presque magique, c’est parce que si un acheteur potentiel bénéficie d’un prêt pour tout type de bien d’équipement – mettons une maison, une voiture ou une usine – il pourra alors acheter ce bien beaucoup plus tôt que s’il devait économiser l’argent de cet achat. Chacun de ces biens d’équipement exige des matières premières de toutes sortes, comme de l’acier, du cuivre, du pétrole, du charbon ou du gaz naturel. Il faut donc s’attendre à ce que la croissance des niveaux d’endettement augmentent en même temps les prix d’une large gamme de matières premières.
Nous pouvons voir la situation comme suit : une économie qui croît sans cesse (en termes énergétiques) est un système en déséquilibre permanent. Les niveaux d’endettement croissants aident à maintenir cette situation de déséquilibre en renchérissant sans cesse les matières premières. Ces prix des matières premières plus élevés encouragent une plus grande extraction de produits énergétiques, même lorsque le coût d’extraction augmente du fait des rendements décroissants. Même si leurs coûts d’extraction ne cessent de croître, le renchérissement sans fin des matières premières ne peut durer éternellement. À un moment donné, les prix deviennent si élevés qu’il en deviennent inabordables pour les travailleurs. La demande a alors tendance à chuter lorsque les travailleurs situés en bas de la hiérarchie des revenus se trouvent « mis hors circuit » de l’achat de biens comme les logements ou les voitures, qui jusqu’alors permettait de soutenir la demande de matières premières.
Qu’est-ce qui provoque la fin de la hausse des niveaux d’endettement ? L’une des causes est le fait que la dette atteigne des niveaux absurdes, rendant difficile le remboursement de la dette avec intérêts. La diapositive 21 ci-dessus donne plusieurs exemples de niveaux absurdes d’endettement. Parmi les autres exemples, on peut citer l’utilisation excessive de prêts étudiants. Si, une fois leurs études terminées, les revenus des anciens étudiants ne sont pas assez élevés, leur prêt peut se révéler être un très lourd fardeau, au point de les empêcher de se loger ou d’acheter une voiture, et de fonder une famille. Le problème est que les revenus qu’ils touchent après leur formation sont insuffisants pour leur permettre à la fois de rembourser la dette avec intérêts et de disposer de fonds suffisants pour répondre à leurs autres besoins.
Des disparités salariales croissantes peuvent aussi conduire de manière directe à une baisse des prix de l’énergie :
Des disparités salariales croissantes et une croissance insuffisante de la dette sont toutes deux des signes d’une économie qui ne croît pas assez vite – on pourrait dire, d’une certaine manière, qu’elle ne « chauffe » pas assez. Certains travailleurs potentiels ont tendance à sortir du système, parce que les salaires qu’on leur propose ne couvrent leurs frais de déplacement et de garde d’enfants. D’une certaine manière, ils « se figent », par analogie avec l’eau qui se transforme en glace quand il n’y a pas assez de chaleur dans le système pour conserver l’eau liquide.
La situation des prix des combustibles fossiles est similaire : les prix bas sont le signe que l’économie ne croît pas assez vite. Le système se retrouve obligé de réduire sa production de nombreux types de matières premières, y compris de combustibles fossiles, en réduisant leurs prix en dessous du coût de production qu’ont un certain nombre de producteurs de matières premières. Une manière de voir cette situation, c’est de considérer qu’une partie de la production « se fige », car les produits énergétiques consommés ne permettent pas à l’économie mondiale de croître assez vite pour maintenir un niveau de demande suffisamment « chaud ».
Ce qui crée la confusion, c’est que durant de nombreuses années, les coûts de l’énergie et des matières premières étaient très semblables à leurs prix de l’énergie et des matières premières. Ce n’est que très récemment – lorsque les prix ont atteint des niveaux trop élevés pour que les consommateurs puissent se permettre de les acheter – qu’une différence entre les deux est apparue.
Si l’on regarde les données historiques de la diapositive 26, on peut voir deux fortes baisses récentes des prix du pétrole. Ces deux baisses se sont produites à un moment où les niveaux d’endettement avaient cessé d’augmenter.
En fait, les prix du pétrole, du charbon et du gaz naturel ont tendance à augmenter et baisser tous en même temps – exactement comme on pourrait s’y attendre, à partir du moment où l’on accepte qu’ils répondent tous aux mêmes changements dans les niveaux d’endettement, et de manière indirecte, aux mêmes changements de croissance économique mondiale.
Si les prix de l’énergie reposent sur les niveaux d’endettement, ce qui devrait nous inquiéter est le fait que les combustibles fossiles vont tous atteindre leur pic à quelques années d’écart les uns des autres. Ce qui provoquera ces pics sera la baisse de leurs prix des combustibles fossiles, et non la « pénurie » de produits énergétiques.
En fait, les problèmes auxquels l’économie sera confronté pourraient bien être tout à fait différents de celui d’une « pénurie ».
Les diapositives 38 à 40 de ma présentation donnent quelques informations complémentaires sur les disparités des revenus. À ce propos, le lecteur pourra consulter la fin de ma présentation.
L’un des sujets que je n’ai pas développé dans cette présentation est la possibilité d’un ralentissement de la croissance économique mondiale. Si l’on constate une baisse de la consommation mondiale d’énergie par personne, il ne faut pas guère être surpris de voir que la croissance du PIB mondial par personne baisse elle aussi. J’ai parlé dans plusieurs articles précédents du lien entre consommation d’énergie et croissance du PIB, en particulier dans Les limites de l’approvisionnement en pétrole et la crise financière sans fin.
Ce n’est qu’au moment de rédiger cette présentation que j’ai compris à quel point la récente baisse des prix mondiaux du pétrole était proche dans le temps de la baisse de la consommation mondiale d’énergie par personne que montre la diapositive 4. La consommation mondiale d’énergie par personne atteint un pic en 2013, avant de légèrement diminuer en 2014, et de connaître un changement encore plus important en 2015. Le milieu de l’année 2014 est le moment où les prix du pétrole ont commencé leur chute majeure, ce qui signifie que les deux événements se sont produits quasiment en même temps. La baisse de la consommation de charbon a donc pu entraîner une faiblesse de la croissance économique mondiale, qui à sont tour a poussé les prix du pétrole et du gaz naturel à la baisse.
La coïncidence temporelle entre ces deux événements n’est peut-être que le signe du fait que les forces à l’origine de la baisse des prix des matières premières sont les mêmes que celles qui provoquent une faible croissance économique. Les disparités salariales croissantes et la faiblesse de la croissance de la dette semblent être des facteurs causaux de ces deux événements. Si les travailleurs situés en bas de la hiérarchie salariale trouvaient abordables la production de l’économie mondiale, avec ou sans dette supplémentaire, l’économie mondiale aurait de meilleures chances de croissance.
Je ne vois guère d’espoir dans les possibilités de corriger un monde dont l’économie se dirige dans la direction d’un rétrécissement. La situation risque plutôt d’empirer, jusqu’au moment où le système financier s’effondrera, ou lorsque l’un des problèmes listés dans la diapositive 31 commencera à devenir un problème trop gros pour être surmontable.
Je considère la grande poussée en faveur des énergies renouvelables comme étant pour l’essentiel une perte de temps et de ressources, à l’exception notable, peut-être, de l’hydroélectricité, dans certaines régions du monde où se trouvent de bons sites pour de nouvelles installations. Les analyses par EROI sont souvent utilisées pour justifier les énergies renouvelables, mais à mon avis (comme je le montre dans la partie de cette présentation que je n’ai pas développée ici), l’EROI est un outil trop « grossier » pour estimer correctement des ressources qui diffèrent à ce point dans leur qualité de production et leur besoin d’endettement. L’un des critères majeurs devrait être de maintenir un réseau électrique en état de fonctionnement : ceux qui évaluent les énergies renouvelables intermittentes devraient tenir compte des expériences en situation réelle qu’ont faites d’autres pays. Par exemple, les approches actuelles en matière de prix semblent exacerber le problème de la chute des prix de l’électricité de gros, et donc celui de la chute des prix des combustibles fossiles. (Voir cet article-ci ou cet article-là.)
Un obstacle majeur à une débat rationnel sur ces sujets est l’incapacité d’une large part de la population à accepter ce qui semble être un résultat potentiellement désastreux. Les éditeurs de livres et de revues en ont conscience et adaptent leur ligne éditoriale en conséquence. Je l’ai à nouveau constaté lorsqu’on m’a (à nouveau) demandé si je pouvais envisager d’écrire un livre pour un éditeur universitaire particulier. Tout ce que je devais faire pour que ce livre soit acceptable, c’est trouver un moyen d’esquiver toute issue désagréable – ou, mieux encore, de trouver une fin heureuse.