Par Gail Tverberg
31 janvier 2018
Depuis la fin des années 1990, c’était dans la mondialisation que semblait résider le grand espoir pour le futur. Désormais, ce grand espoir semble s’assombrir. La mondialisation génère des conflits dans le domaine de l’emploi. Les pays à travers le monde se font concurrence en matière de développement et d’emploi. Et si la quantité d’énergie bon marché disponible pour produire devient insuffisante, d’énormes disparités salariales risquent d’apparaître.
La physique et l’histoire nous apprennent que les économies doivent impérativement croître, faute de quoi elles s’effondrent. Les disparités salariales auxquelles font face les pays à salaires élevés depuis quelques années démontrent que l’économie mondiale a déjà commencé à atteindre des limites énergétiques. Désormais, il n’y a plus assez d’emplois suffisamment bien rémunérés pour que le système puisse continuer sur sa lancée. Toute réduction de l’offre énergétique risque d’aggraver la situation de l’emploi.
La plupart des observateurs passent à côté de ce problème, parce qu’ils s’attendent à ce que des prix élevés du pétrole signalent le fait que l’on atteint des limites énergétiques. Mais cette fois, le signal est celui de bas salaires pour une part importante des travailleurs, et non celui de prix élevés du pétrole. Une telle situation est possible dans une économie en réseau, mais ce n’est pas ce que la plupart des gens cherchent à voir.
On peut s’attendre à ce que des citoyens mécontents réagissent à ce problème de disparités salariales en élisant des dirigeants qui sont favorables au fait de limiter la mondialisation. Cela ne peut qu’atténuer celle-ci.
L’histoire et la physique suggèrent que lorsque des économies ne disposent pas d’un approvisionnement énergétique suffisant, on peut s’attendre à ce qu’elles s’effondrent. Nous avons récemment connu plusieurs exemples d’effondrements partiels, parmi lesquels la Grande Dépression des années 1930 et l’effondrement de l’Union soviétique. De tels effondrements, ou même des effondrements plus importants, pourraient bien se produire à nouveau si l’on ne trouve pas d’alternative énergétique qui puisse être rapidement développée pour remplacer à très court terme le pétrole et le charbon. Ces énergies de remplacement doivent être peu coûteuses à produire, non polluantes et disponibles en très grande quantité.
L’histoire selon laquelle l’économie n’a pas vraiment besoin d’une source croissante d’énergie très peu coûteuse à produire est tout simplement une légende. Voyons ensemble quelques-unes des pièces de ce puzzle.
La raison pour laquelle l’économie mondiale a besoin de croître, c’est que l’économie est un système auto-organisé qui fonctionne en obéissant aux lois de la physique. À bien des égards, elle ressemble à une bicyclette. Celle-ci doit rouler suffisamment vite, faute de quoi elle tombera. Une économie doit croître suffisamment vite, faute de quoi sa dette ne pourra être remboursée avec intérêts.
De plus, les promesses du gouvernement peuvent se révéler être un problème lorsque la croissance est faible. En général, les pensions de retraite sont payées grâce à des prélèvements fiscaux ou parafiscaux de la même année. Un décalage entre dépenses et recettes est si vite arrivé lorsque le nombre de jeunes travailleurs diminue ou que leurs salaires n’augmentent pas assez vite.
J’explique un peu plus en détail mon analogie de la bicyclette dans mon article L’économie mondiale continuera-t-elle à « rouler » en 2018 ?
De tout temps, les économies se sont effondrées. Parfois, ce sont des civilisations entières qui ont disparu. Au cours des 100 dernières années, on trouve parmi les effondrements partiels la Grande Dépression des années 1930, l’effondrement du gouvernement central de l’Union Soviétique en 1991 et la Grande Récession de 2008–2009. Les effondrements économiques sont analogues à des bicyclettes qui tombent.
On peut voir sur la figure 1 que l’énergie fournie par le cycliste est très importante pour que le vélo puisse continuer à avancer. Dans le cas de l’économie mondiale, la situation est à peu près la même, sauf que nous sommes confrontés au problème d’une population mondiale qui ne cesse de croître. En un sens, la situation économique ressemble plus à un bataillon de vélos et de cyclistes qui qui grossit rapidement. Chaque membre de l’économie a besoin de biens et de services comme de la nourriture, un logement, des vêtements et de quoi se déplacer. Les membres de l’économie peuvent s’effondrer à l’échelle individuelle (par exemple, un taux de suicide qui croît) ou à une échelle beaucoup plus large (le gouvernement d’un pays qui s’effondre).
Dans une économie, on peut choisir la quantité d’énergie qu’on utilise. Si l’on utilise plus d’énergie, les travailleurs peuvent disposer de nombreux outils (comme des camions ou des ordinateurs) pour augmenter leur productivité. Si tous les biens sont fabriqués avec peu d’intrants énergétiques autres que le travail humain, la plupart des travailleurs se retrouvent à travailler pour l’agriculture de subsistance. Dans une telle économie, la quantité totale de biens et de services produits a tendance à être très faible.
Si l’on consomme de l’énergie en plus, il est possible d’offrir en grand nombre des emplois bien rémunérés supplémentaires, et de créer beaucoup plus de biens et de services. Les travailleurs vont être assez riches pour pouvoir payer des impôts et ainsi soutenir un gouvernement fondé sur la représentation qui offre de nombreux services publics. Toute l’économie ressemblera bien plus à celle d’un pays riche qu’à celle de la Somalie ou d’Haïti.
À l’échelle individuelle, les pays peuvent faire croître leur économie en utilisant l’approvisionnement énergétique qui leur est disponible pour créer des emplois bien rémunérés. La mondialisation, quant à elle, met en concurrence les emplois disponibles.
Si un pays donné propose de nombreux emplois bien rémunérés, cela se traduira probablement pour lui par une consommation d’énergie par habitant élevée. Il y a deux raisons à cela : (1) un employeur doit consommer de l’énergie pour créer des emplois, et (2) les travailleurs peuvent utiliser leur fortune pour acheter des biens et des services. Cette fortune permet d’acheter en plus grand nombre des biens et services fabriqués à l’aide de produits énergétiques.
De la figure 3, il ressort que la consommation d’énergie tend à évoluer dans le même sens que le prix du pétrole. Quand la « demande » (qui est liée aux salaires) est élevée, le prix du pétrole et la quantité de produits énergétiques vendus auront tous deux tendance à être élevés. Quand la demande est faible, prix du pétrole et quantité de produits énergétiques vendus auront tous deux tendance à être faibles.
Depuis 2014, la consommation d’énergie est restée assez élevée, mais les prix du pétrole ont chuté jusqu’à un niveau très bas. Les prix actuels du pétrole (même à 70 dollars le baril) sont trop bas pour permettre aux producteurs pétroliers d’investir assez dans le développement de nouveaux champs et les investissements qu’ils doivent faire. Si la situation n’évolue pas, la seule direction que la production de pétrole peut prendre est à la baisse, et non à la hausse. Pour un temps, les prix peuvent augmenter, avant que la production ne chute.
En regardant la consommation d’énergie par personne que montre la figure 3 (ci-dessus), on remarque que cette quantité est restée relativement stable depuis 2011. Normalement, dans une économie mondiale en croissance, on s’attendrait à observer une hausse de la consommation d’énergie par personne, de manière identique à ce qu’il s’est passé presque tout le temps depuis 1820 (cf. figure 4).
Le fait que la consommation d’énergie par habitant soit restée pratiquement la même depuis 2011 est en soi inquiétant. C’est un signe du fait que l’économie mondiale ne soit pas en croissance très rapide, malgré tout que les organisations gouvernementales peuvent affirmer à la Banque mondiale. Une croissance qui est subventionnée ne devrait pas vraiment être considérée comme de la croissance économique. Par exemple, certaines villes chinoises ont cherché à masquer la surabondance de logements du pays en les rachetant avec de l’argent emprunté. Une meilleure comptabilité montrerait probablement une croissance du PIB plus faible pour la Chine et le monde.
Si l’on regarde plus attentivement la figure 3, on remarque que la quantité d’énergie par personne a atteint un maximum en 2013, juste avant que les prix mondiaux du pétrole ne se mettent à baisser. Depuis lors, la consommation mondiale d’énergie par personne est orientée à la baisse. Cela explique en partie la surabondance de l’offre. Les producteurs avaient prévu leur production comme si la croissance de la consommation d’énergie allait se poursuivre sur sa lancée. En fait, il y a quelque chose qui cloche vraiment au niveau de la demande, ce qui fait que la consommation mondiale d’énergie n’a pas augmenté aussi rapidement que ce qu’elle a pu faire par le passé.
L’élément à côté duquel il est facile de passer est le fait que, en gros, (1) des disparités salariales croissantes et une surabondance de pétrole et (2) des prix élevés du pétrole sont deux facettes d’un même problème, celui d’un approvisionnement insuffisant en pétrole vraiment peu coûteux à produire. Le pétrole cher à produire n’est pas quelque chose d’acceptable pour l’économie, parce que cela ne génère pas assez d’emplois bien rémunérés pour chaque baril produit. Si les prix du pétrole représentaient vraiment ce que les producteurs de pétrole (comme l’Arabie Saoudite) ont besoin pour maintenir leur production, y compris des recettes fiscales et des financements suffisants pour développer un supplément de production, les prix du pétrole dépasseraient largement les 100 dollars US le baril.
Nous sommes face à une situation où aucun prix du pétrole n’est satisfaisant. Soit les prix sont trop élevés pour un grand nombre de consommateurs, soit ils sont trop bas pour un grand nombre de producteurs. Lorsque les prix du pétrole sont bas par rapport à son coût de production, on a tendance à avoir des disparités salariales et des phénomènes de surabondance de pétrole.
J’ai mentionné un peu plus haut le fait que la demande était étroitement liée aux salaires. En fait, ce sont les disparités salariales qui deviennent un problème. Les biens et services deviennent moins abordables pour ceux qui sont les plus touchés par les disparités salariales : les travailleurs les moins bien payés. Ils réduisent leurs dépenses dans des biens de type logement et voiture. Parce que les travailleurs insuffisamment payés sont si nombreux à travers le monde, la demande de produits énergétiques comme le pétrole et le charbon n’arrive pas à croître aussi vite qu’elle devrait. Cela a tendance à faire baisser les prix de ces matières premières. Cependant, cela n’a pas nécessairement pour effet immédiat de réduire la production, à cause du caractère de long terme des investissements et de la dépendance des pays exportateurs de pétrole vis-à-vis des revenus qu’ils en tirent.
La figure 5 montre qu’en Chine et en Inde, la consommation d’énergie par personne a augmenté, ce qui en a laissé une moindre quantité à tous les autres pays.
Une des principales manières dont une économie (via les lois de la physique) réagit au fait de « ne pas avoir assez de biens et de services pour fonctionner » est d’accroître les disparités salariales. Dans une certaine mesure, c’est dû au fait que les pays récemment mondialisés peuvent produire des produits manufacturés à moindre coût. Il y a de multiples raisons pour expliquer leur avantage, mais parmi celles-ci, il y a le fait que leurs salaires sont plus bas et qu’ils se préoccupent moins des questions de pollution.
De ce fait, certains emplois qui, auparavant, auraient été créés dans les pays développés sont remplacés par des emplois dans les pays récemment mondialisés. Ce n’est probablement pas une coïncidence si le taux d’activité aux États-Unis a commencé à baisser au moment où la Chine a rejoint l’Organisation mondiale du commerce en 2001.
De moindres salaires pour les travailleurs non qualifiés peuvent aussi provenir de l’immigration et de la concurrence accrue qui en résulte en matière d’emplois moins qualifiés. Cette question a été particulièrement mise en valeur ces derniers temps au Royaume-Uni.
La Chine et l’Inde sont essentiellement des producteurs de charbon. Ils ont rapidement augmenté leur production à partir du moment où ils ont rejoint l’Organisation mondiale du commerce (en 1995 pour l’Inde, en 2001 pour la Chine). À présent, la production de charbon de la Chine baisse, ayant chuté de 11% entre 2013 et 2016. La Chine et l’Inde sont toutes deux des d’importants importateurs de combustibles fossiles (c’est la différence entre la ligne noire et leur propre production dans les deux figures ci-dessous).
La forte hausse des productions chinoises et indiennes de charbon a eu des conséquences majeures sur la production mondiale de charbon. Le fait que ces deux pays aient aussi eu besoin d’importations en quantité significative a également contribué à la croissance de la production de charbon dans la catégorie « Autres » de la figure 9.
Cette figure 9 montre également qu’avec la baisse de la production de charbon en Chine depuis 2013, la production mondiale totale de charbon s’est mise à baisser.
La figure 10 montre que le PIB mondial et l’approvisionnement énergétique mondial ont tendance à augmenter et à baisser en même temps. En fait, la croissance de la consommation d’énergie a tendance à précéder la croissance du PIB, ce qui suggère fortement que la croissance de la consommation d’énergie est une cause de la croissance du PIB.
Si la croissance de la consommation d’énergie est effectivement une cause majeure de la croissance économique mondiale, alors la baisse de la production mondiale de charbon que montre la figure 9 est préoccupante. Le charbon représente une part importante de l’approvisionnement énergétique mondial (28,1% d’après la figure 12). Si l’approvisionnement en charbon diminue, il semble probable que cela entraînera une baisse du PIB mondial.
La figure 11 montre la croissance de la consommation d’énergie de manière comparable à la croissance de la consommation énergétique que montre la figure 10, en prenant des regroupements de pays différents : pour le monde entier, pour le monde à l’exclusion de la Chine et de l’Inde, et pour le groupe rassemblant les États-Unis, l’Union Européenne et le Japon. On peut voir sur la figure 11 que l’inclusion de la Chine et de l’Inde dans le commerce mondial a fortement augmenté la croissance de la consommation mondiale d’énergie depuis 2001, au moment où la Chine a rejoint l’Organisation mondiale du commerce.
C’est au cours de la période 2003–2007 que « l’avantage » a été le plus grand. Si l’on regarde la figure 10, on voit que pendant cette période, la croissance économique mondiale était d’environ 4% par an. C’est un niveau record atteint récemment. Mais à présent, cet avantage disparaît rapidement, réduisant la possibilité que la consommation mondiale d’énergie puisse de nouveau augmenter aussi vite que par le passé.
Si l’on veut que la consommation mondiale d’énergie par personne se mette de nouveau à augmenter, il nous faut une nouvelle source importante et rapidement croissante d’énergie bon marché pour prendre la suite des gains que nous a rapportés l’extraction rapidement croissante de charbon de l’Inde et de la Chine. Mais de candidat satisfaisant pour la remplacer, nous n’en connaissons aucun. Les énergies renouvelables intermittentes (l’éolien et le solaire) ne sont pas du tout des candidats satisfaisants. D’après l’AIE, ils ne représentaient que 1% de l’approvisionnement énergétique mondial en 2015, malgré d’énormes investissements. Ils ne sont qu’une partie de la tranche grise « Other » dans la figure 12.
Les études universitaires sur l’éolien et le solaire ont eu tendance à se concentrer sur ce que ces sources « seraient susceptibles » de produire, sans tenir compte du coût de l’intégration au réseau. Elles ont également négligé le fait que n’importe quelle solution énergétique, pour être une véritable solution énergétique, doit être une énorme solution énergétique. Il était bien plus agréable de donner aux gens l’impression qu’il leur était possible, d’une manière ou d’une autre, de faire rouler un très grand nombre de voitures électriques avec une petite quantité d’électricité intermittente subventionnée.
Lorsque la consommation d’énergie par personne croît, la situation est semblable à celle du travailleur typique qui dispose « d’outils » de plus en plus nombreux (comme par exemple des camions) et de combustible en quantité suffisante pour faire fonctionner ces outils. Il est facile d’imaginer comment un tel schéma de croissance de la consommation d’énergie par personne peut conduire à une productivité accrue et donc à de la croissance économique.
Si l’on regarde, depuis deux siècles, les périodes où la consommation d’énergie a plus ou moins stagné, on voit que l’économie mondiale fait face à des problèmes majeurs.
La période de stagnation entre 1920 et 1940 semble avoir été provoquée par le fait d’avoir atteint des limites à la production de charbon, en particulier au Royaume-Uni, mais aussi dans d’autres pays. La Première Guerre mondiale, la Grande Dépression des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale ont toutes eu lieu à peu près à cette époque. Charles Hall et Kent Klitgaard dans Energy and the Wealth of Nations affirment que les pénuries de ressources sont souvent la cause sous-jacente des guerres, y compris de la Première et de la Seconde guerre mondiale.
La Grande Dépression semble avoir été un effondrement économique partiel, indirectement lié aux grandes disparités salariales de cette époque. Les fermiers, en particulier, ont eu beaucoup de mal à tirer de leur travail des salaires suffisants.
À l’échelle mondiale, le principal événement des années 1990 à 2000 aura été l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Le gouvernement central s’est écroulé, laissant les différentes républiques se gérer indépendamment les unes des autres. L’Union soviétique entretenait également de fortes relations commerciales avec un certain nombre de pays « satellites », notamment Cuba, la Corée du Nord et plusieurs pays d’Europe de l’Est. Dans les paragraphes suivants, nous verrons que cet effondrement a eu des conséquences sévères à long terme, tant sur les républiques composant l’ex-Union Soviétique que sur les pays satellites qui étaient un peu plus autonomes sur le plan politique.
La période de stagnation entre 1980 et 2000 que met en évidence la figure 14 semble être liée aux efforts volontaires des États-Unis, des pays européens et des autres pays développés pour économiser le pétrole, après les pics que les prix du pétrole ont connu dans les années 1970. Par exemple, des véhicules plus petits et moins gourmands en carburant ont été fabriqués, et la production d’électricité à base de pétrole a été remplacée en d’autres types de production électrique. Malheureusement, il y a eu malgré tout un « retour de flamme » à cette réduction volontaire de la consommation de pétrole : les prix du pétrole sont tombés à un niveau très bas pour une période prolongée.
L’Union soviétique était exportatrice de pétrole. Le gouvernement soviétique s’est effondré en 1991, indirectement parce qu’avec ces bas prix du pétrole, il était dans l’incapacité de soutenir à un niveau suffisant les nouveaux investissements dans l’extraction de pétrole et de gaz. Des entreprises ont fait faillite, les gens ont perdu leur emploi. En 2016, aucun des pays représentés sur les figures 14 et 15 n’a retrouvé une consommation d’énergie par personne aussi élevée que celle qu’ils avaient lorsque l’Union soviétique s’est effondrée.
Les trois pays satellites représentés sur la figure 14 (Bulgarie, Hongrie et Pologne) semblent avoir été presque aussi affectés que les républiques qui avaient fait partie de l’Union soviétique (figure 15). Cela suggère que la perte de structures commerciales établies a eu une très grande importance dans cet effondrement.
La Russie a vu sa consommation d’énergie par habitant chuter de 29% entre son maximum et le creux qui a suivi. Elle possédait d’importantes ressources en combustibles fossiles et, lorsque les prix de ces combustibles sont de nouveau remontés, la Russie a de nouveau été en mesure d’investir dans la recherche et l’exploitation de nouveaux champs pétroliers.
L’Ukraine était un centre industriel majeur. Elle a été considérablement affectée par la perte de ses importations de gaz et de pétrole. Elle ne s’en est jamais remise.
La république qui semble s’en être la mieux sortie, c’est l’Ouzbékistan. Avant l’effondrement, le pays possédait peu d’industries : il était donc moins dépendant des importations d’énergie que la plupart des autres républiques. De tous les pays représentés sur les figures 14 et 15, l’Ouzbékistan est le seul qui n’a pas perdu une partie de sa population.
Nous sommes nombreux à avoir lu des articles sur les problèmes que le Venezuela a récemment connus. De manière assez ironique, le Venezuela est le pays qui possède les plus grandes réserves de pétrole au monde. Son problème, c’est qu’aux prix actuels, il ne peut pas se permettre de les développer. L’article de Wikipédia dont je fournis ci-dessus le lien a pour titre Manifestations de 2014 à 2017 au Venezuela. Sachant que les prix du pétrole ont chuté à un niveau beaucoup plus bas que ce qu’ils étaient en 2014, cela ne devrait surprendre personne que des manifestations et de l’agitation civile se soient produites en même temps.
D’autres pays producteurs de pétrole se débattent aussi. L’Arabie saoudite a récemment changé de dirigeants, et elle tente actuellement de vendre une partie de sa compagnie pétrolière, la Saudi Aramco, à des investisseurs. Le nouveau chef d’État, Mohammed ben Salmane, a essayé d’obtenir de l’argent de riches personnes du pays en utilisant une approche qui, aux yeux d’outsiders, ressemble à un renversement de table. De tels comportements peuvent paraître très étranges, et suggérer que le pays fait face à de sérieuses difficultés financières. Et cela n’est pas surprenant vu combien le prix du pétrole est bas depuis 2014.
Du côté des pays importateurs de pétrole, la Grèce semble avoir fréquemment besoin du soutien financiers de l’Union Européenne. Les prix du pétrole plus bas depuis 2014 semble avoir quelque peu aidé le pays, mais la forme générale de la courbe montrant la consommation d’énergie par personne du pays donne clairement l’impression de lutter pour éviter l’effondrement.
De nombreux autres pays se débattent face à une baisse de leur consommation d’énergie par personne. La figure 18 met en évidence cette baisse pour quatre de ces pays.
En un sens, même si les prix du pétrole ont baissé depuis 2014, ils n’ont pas atteint un niveau suffisamment bas pour résoudre les problèmes économiques que tous ces pays connaissaient.
La Chine est dans une situation différente, mais cela pourrait aussi la conduire à son effondrement. Elle a construit son économie sur la production de charbon et sur une dette rapidement croissante. À présent, sa production de charbon s’est mise à baisser, et il lui est difficile de compenser intégralement cette baisse par des importations et une substitution par d’autres combustibles. Si le ralentissement de la croissance de la consommation de combustibles ralentit la croissance économique, alors rembourser la dette émise deviendra beaucoup plus difficile. En théorie, des défauts de dette majeurs pourraient conduire à un effondrement. Si la Chine devait s’effondrer, cela affecterait gravement le reste du monde du fait de l’étendue des relations commerciales qu’elle a ainsi tissées.
Il y a des chances que parmi ceux qu’ils élisent, les travailleurs mécontents choisissent des dirigeants qui admettent que la mondialisation est au moins en partie à l’origine de leurs problèmes. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis avec l’élection de Donald Trump.
Leur espoir, bien sûr, est que même si le reste du monde s’appauvrit de plus en plus (fondamentalement à cause d’une croissance insuffisante des approvisionnements en énergie bon marché), l’économie de leur pays pris isolément arrivera, en quelque sorte, à « se protéger » de ce problème. C’est en se fondant sur ce raisonnement que Donald Trump essaie de renégocier un certain nombre d’accords commerciaux. D’une certaine manière, le vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni reposait sur la même logique. C’est le genre d’actions auquel on peut s’attendre pour réduire la mondialisation.
Disposer d’assez d’énergie bon marché pour la population mondiale est un problème qui se pose depuis très longtemps. Quand la quantité d’énergie peu coûteuse à produire est suffisante pour faire croître l’économie, le choix évident est celui de la coopération. La tendance vers plus de mondialisation a alors du sens. Quand la quantité d’énergie peu coûteuse à produire est insuffisante pour pouvoir faire croître l’économie, le choix évident est celui d’essayer de réduire les effets de la mondialisation et de l’immigration. C’est là la principale raison pour laquelle la mondialisation ne peut pas durer.
Nous faisons maintenant face à des problèmes vis-à-vis du charbon et du pétrole. Avec le déclin des approvisionnements en charbon de la Chine, le monde en arrive au point où le monde ne dispose plus d’un approvisionnement en énergie bon marché suffisant pour continuer à croître. À première vue, il semble y en avoir bien assez, voire il semble y avoir surabondance. En fait, le problème, c’est qu’aucun prix ne marche. Les producteurs du monde entier ont besoin de prix du pétrole plus élevés pour compenser leurs coûts totaux, y compris celui de l’extraction, du développement de nouveaux champs et des niveaux d’imposition dont les pays exportateurs ont besoin pour se financer. Les consommateurs du monde entier ont déjà des difficultés à payer 70 dollars US par baril de pétrole. Voilà ce qui conduit à la surabondance de pétrole.
Certains affirment qu’en ajoutant de l’énergie éolienne et de l’énergie solaire au réseau électrique, cela résoudrait nos problèmes. Mais cette solution est tout simplement absurde. Si l’on veut que le monde continue comme avant, il nous faut, d’une manière ou d’une autre, une nouvelle source d’énergie qui soit à la fois massive et très bon marché pour éliminer les problèmes que nous rencontrons avec le charbon et le pétrole. Et il faudra que cette nouvelle source d’énergie ne soit pas non plus polluante.
À ce stade, il est difficile de voir la moindre solution aux problèmes énergétiques auxquels nous sommes confrontés. Le mieux que nous puissions faire est de garder encore quelques temps un comportement attentiste. Peut-être la « voie de la mondialisation » sera-t-elle le chemin à suivre.
Nous vivons une époque bien intéressante !