L’économie mondiale continuera-t-elle à « rouler » en 2018 ?

Par Gail Tverberg
09 janvier 2018

Il fut un temps où l’on s’inquiétait du pétrole et des autres énergies. Réécouter cette vieille chanson de Ben Selvin and the Crooners, datant de 1930, semble aujourd’hui d’actualité.

Actuellement, nous faisons face à un excès de pétrole, que nous essayons de consommer. Un excès de pétrole, c’est une première historique, n’est-ce pas ? Eh bien, en fait, non : cela s’est déjà produit, vers 1930. Beaucoup d’entre se souviennent sans doute de leurs cours d’histoire que ce ne fut pas une période très agréable à vivre. C’était pendant la Grande Dépression.

Figure 1. Stocks américains de pétrole brut, en excluant les réserves stratégiques de pétrole des États-Unis. Les données incluent le pétrole brut présent dans les oléoducs et dans les cuves de stockage de pétrole en attente de raffinage. Normalement, les entreprises ne détiennent pas plus de pétrole brut que ce dont elles vont avoir besoin dans un avenir immédiat, car le fait de détenir des stocks excédentaires génère un coût pour elles. Figure produite par l’Agence d’information sur l’énergie (EIA) du ministère américain de l’énergie. Les données vont jusqu’au début de 2016.

L’excès d’un produit énergétique majeur est le signe d’un grave déséquilibre économique : des approvisionnements énergétiques sont disponibles, mais l’économie ne les utilise pas de manière satisfaisante. C’est le signe que quelque chose ne tourne vraiment pas rond dans l’économie – peut-être l’existence de trop grandes disparités de revenus.

Figure 2. Parts des revenus aux situés au dessus du dernier centile (« Top 1% ») et du dernier millile (« Top 0.1% ») aux États-Unis.
Article Wikipédia de T. Piketty et E. Saez.

Si les revenus sont relativement proches les uns des autres, même les gens qui dans l’économie sont les plus pauvres peuvent se permettre de s’acheter les biens et services qui leur sont nécessaires. Des choses comme de la nourriture, un logement ou un moyen de transport deviennent abordables pour tous. Équilibrer « offre » et « demande » est facile, car l’immense majorité de la population a des revenus suffisants pour s’acheter les biens et services que fabrique l’économie.

C’est quand les revenus sont trop hauts et les disparités salariales, trop grandes, que nous avons du pétrole et de la nourriture en excès. L’apparition d’excès de nourriture se sont déjà produits dans les années 1930 et le phénomène se répète à nouveau aujourd’hui. Lorsqu’elles sont peu coûteuses par rapport aux salaires, nous perdons de vue dans quelle mesure l’économie peut réellement absorber des quantités croissantes de matières premières de toutes sortes. On ferait mieux de remplacer le mot « demande » par l’expression « quantité abordable ». Ceux qui sont les mieux payés peuvent toujours se permettre d’acheter des biens et services pour leurs familles. La question qui se pose, c’est de savoir si les salariés tout en bas de la hiérarchie des salaires le peuvent. Dans le monde actuel, certains de salariés à bas salaires se trouvent en Inde ou en Afrique, ou bien n’ont aucun emploi.

Qu’est-ce qui va bien alors que nous entamons cette année 2018 ?

1. La bourse continue de grimper.

Le marché boursier continue de grimper mois après mois. La volatilité est très faible. En fait, la croissance du marché boursier semble truquée. Un récent article de Seeking Alpha relève qu’en 2017, le S&P 500 a affiché des rendements positifs pour chacun des 12 mois de l’année, ce qui ne s’était jamais produit au cours des 90 dernières années.

Le fait que les cours boursiers suivent la même tendance pendant de très longues périodes n’est pas nécessairement un bon signe. D’après le même article, le S&P 500 a été en hausse 22 des 23 mois entre avril 1935 et février 1937, en réponse aux dépenses du gouvernement visant à relancer l’économie. À la fin de l’année 1937, l’économie était de nouveau en récession. Les marchés ont connu une correction sévère dont ils ne se sont complètement remis qu’après la Seconde Guerre mondiale.

2006 a été une autre année remarquable en matière de hausse des marchés boursiers, puisque cette année-là, le S&P 500 a été orienté à la hausse 11 mois sur 12. Selon le même article de Seeking Alpha :

Les marchés d’actions se sont redressés dans un contexte de volatilité avant la Grande Récession. Les marchés ont atteint de nouveaux sommets à la fin de 2007 avant de s’effondrer en 2008, présentant les plus mauvais rendements annuels (−37%) depuis la correction de 1937 de triste mémoire, mentionnée ci-dessus.

Ainsi, si une hausse constante des marchés boursiers semble être un bon signe sur le moment, ce n’est pas nécessairement un bon signe de leur performance 6 mois à 2 ans plus tard. Cela pourrait simplement être le reflet de la formation de bulles, qui exploseront plus tard.

2. Récemment, les prix du pétrole et des autres matières premières sont quelque peu remontés.

Ces dernières années, les prix du pétrole étaient trop bas pour la plupart des producteurs. À présent, les choses s’améliorent un peu. Si les prix n’ont pas encore retrouvé un niveau adéquat, ils sont désormais un peu plus élevés. Cela donne aux producteurs (et à ceux qui leur prêtent de l’argent) l’espoir que les prix finiront par augmenter assez pour permettre aux compagnies pétrolières de réaliser des bénéfices suffisants, et aux pays exportateurs de pétrole de percevoir suffisamment de recettes fiscales sur l’extraction pétrolière pour continuer à faire tourner leur économie.

Figure 3 Prix du baril de Brent en moyenne mensuelle Prix du baril (dollars US) Prix du pétrole

Figure 3. Prix du pétrole brut de Brent en moyenne mensuelle jusqu’en décembre 2017, d’après les données de l’AIE.

L’une des principales raisons de la récente tendance à la hausse des prix des matières premières semble avoir été un changement dans les valeurs relatives des monnaies sur les marchés émergents.

Figure 4. Figure du Financial Times montrant les valeurs relatives des monnaies selon l’indice MSCI Emerging Market.

Si les valeurs relatives des monnaies des pays émergents étaient tombées à un niveau assez bas quand les prix des matières premières ont chuté pour la première fois, elles ont désormais repris l’essentiel du terrain qu’elles avaient perdu. Cela rend les matières premières plus abordables pour ces pays, et cela leur permet de fabriquer davantage de produits, ce qui stimule l’économie mondiale.

Bien sûr, si la Chine se retrouve face à des problèmes d’endettement, ou si l’Inde se retrouve face à des problèmes de quelque sorte que ce soit, ou si les prix du pétrole augmentent de nouveau, la hausse des valeurs relatives des monnaies émergentes pourrait bien se transformer en nouvelle baisse.

3. Les baisses d’impôts aux États-Unis créent une bulle de richesse pour les entreprises et les 1% les plus riches.

À cause des bas prix des matières premières, leur production a offert des rendements très insuffisants pour de nombreuses sociétés du secteur. Le fait de « corriger » les lois fiscales à la baisse peut aider ces sociétés à continuer de tourner malgré des prix bas des matières premières, en réduisant pour elles le risque d’effondrement auquel elles sont confrontées quand les prix des matières premières sont bas.

Le problème qui se pose alors, c’est le fait que modifier les lois fiscales ouvre aux entreprises toutes sortes d’opportunités pour améliorer leur situation fiscale, soit en changeant la forme juridique de la société, soit en fusionnant avec une autre société dont la situation fiscale est plus favorable et ainsi réduire les impôts effectivement payés. Pour plus de détails sur ces questions, le lecteur pourra regarder cette récente vidéo de Michael Hudson, ou cette autre vidéo du même Michael Hudson.

Les groupes de travail qui évaluent les effets auxquels on peut s’attendre de la nouvelle loi fiscale proposée par le gouvernement fédéral américain supposent que la structure des entreprises reste inchangée. Mais il faut s’attendre à ce que les consultants en optimisation fiscale proposent très vite aux entreprises les changements qui leur permettront de profiter au maximum de la nouvelle loi fiscale. Cela signifie probablement que la dette fédérale américaine augmentera beaucoup plus que ce qu’envisage la plupart des prévisions.

D’une certaine manière, c’est un « bon » effet, car une dette plus importante contribue à la hausse des prix et de la production de matières premières, ce qui contribue à prévenir un effondrement de l’économie. Mais cela soulève la question de savoir pendant combien de temps, et de combien, la dette publique peut encore augmenter. Est-ce qu’ajouter toute cette nouvelle dette va augmenter les taux d’intérêt au-delà des autres hausses prévues de taux d’intérêt ?

4. Nous connaissons des prix du pétrole artificiellement bas depuis 2013. Cela permet à la croissance économique d’être plus élevée qu’elle ne le serait sinon.

En février 2014, j’ai publié un article qui montrait qu’en 2013, les prix du pétrole étaient trop bas pour les producteurs de pétrole. Si l’on regarde la figure 3, on voit qu’à l’époque, les prix du pétrole dépassaient les 100 dollars le baril. Dans ces conditions, il est très clair que, depuis lors, les prix du pétrole sont restés beaucoup trop bas pour les producteurs.

Malheureusement, il semble que ces prix du pétrole artificiellement bas puissent prendre fin, simplement parce que la « surabondance » de pétrole qui s’est créée se réduit peu à peu. La figure 5 montre le rythme auquel cette surabondance récente de pétrole a évolué. Elle semble être apparue au début de l’année 2014.

Figure 5 Stocks US de pétrole brut et produits raffinés Milliards de tonnes d’équivalents baril de pétrole Stocks de pétrole

Figure 5. Stocks américains de pétrole brut et de produits pétroliers (y compris les réserves stratégiques de pétrole), d’après les données de l’AIE.

En considérant à la fois les prix du pétrole et la quantité de pétrole stockée, il est possible de faire une estimation grossière de la manière dont cette surabondance de pétrole pourrait disparaître. Il y a des chances que l’essentiel ait disparu d’ici la fin de 2018 (figure 6).

Figure 6 Prix et stocks US de pétrole Prix du baril de pétrole de Brent (dollars US) Stocks en milliards de barils Prix Prix Fut. Stocks Stocks Fut.

Figure 6. Figure montrant les stocks de pétrole américains (pétrole brut et produits raffinés) ainsi que les prix pétroliers correspondants. Estimation grossière par l’auteur des prix futurs et de la manière dont le déséquilibre pourrait disparaître.

Bien sûr, l’un des gros problèmes qui se posent est que les consommateurs ne peuvent pas vraiment se permettre de payer pour des produits pétroliers qui sont chers. S’ils ne pouvaient pas se le permettre avec des prix au-dessus de 100 dollars en 2013, comment le pourraient-ils avec un prix qui serait, mettons, de 97 dollars le baril à la fin de l’année 2018 ?

Je ne suis pas certaine que les prix du pétrole puissent vraiment grimper aussi haut et y rester très longtemps. Et il ne faut certainement pas s’attendre à ce que les prix du pétrole atteignent le niveau qu’ils avaient atteint en juillet 2008 sans qu’une récession surgisse et fasse redescendre les prix du pétrole.

Ce dont l’économie a besoin, c’est d’une croissance de la consommation d’énergie par habitant

Dans des articles précédents, j’ai publié des graphiques sur les quantités d’énergie consommée par personne en moyenne mondiale. Les périodes de stagnation de cette consommation ont tendance à correspondre à des périodes où il y avait un problème.

Figure 7 Consommation mondiale d’énergie par personne Nucléaire Hydroélectr. Gaz naturel Pétrole Charbon Agrocarbur. Gigajoules par personne et par an 1920–1940 Période de stagnation 1980–2000 Période de stagnation

Figure 7. Consommation énergétique mondiale par personne, calculée en divisant la consommation mondiale d’énergie (d’après les estimations de Vaclav Smil publiées dans Energy Transitions : History, Requirements and Prospects, combinées aux données des BP Statistical Data pour les années 1965 et suivantes) par des estimations de la taille de la population, d’après les données d’Angus Maddison. Les deux cercles indiquent deux périodes de stagnation de la consommation d’énergie par personne.

La période de stagnation entre 1920 et 1940 est survenue peu de temps après que le Royaume-Uni a atteint son pic charbonnier en 1913.

Figure 8. Production de charbon au Royaume-Uni depuis 1855. Figure de David Strahan, publiée pour la première fois dans New Scientist, 17 janvier 2008.

En fait, le Royaume-Uni a envahi la Mésopotamie (Irak) en 1914 pour protéger ses intérêts pétroliers. Les dirigeants britanniques n’étaient pas stupides : ils savaient que si le pays se mettait à manquer de charbon, il lui faudrait du pétrole à la place.

De nombreux autres événements inquiétants se sont produits pendant cette période, notamment la Première Guerre mondiale, la pandémie de grippe espagnole de 1918, la Grande Dépression ou encore la Seconde Guerre mondiale. Quand les ressources énergétiques disponibles sont insuffisantes, beaucoup de choses ont tendance à mal tourner : les pays ont tendance à se battre pour s’approprier les ressources disponibles, les emplois bien rémunérés deviennent moins disponibles, la déflation devient plus probable, la population devient plus faible, et les épidémies deviennent plus probables. J’ai récemment écrit un article au sujet de la période 1920–1940, intitulé La Grande Dépression des années 1930 était une crise énergétique.

La période de stagnation entre 1980 et 2000 est celle de l’effondrement de l’Union Soviétique, en 1991. L’Union Soviétique était un pays producteur de pétrole, et elle s’est effondrée après une longue période de prix bas du pétrole.

Figure 9 Prix, production et consommation de l’ex-Union soviétique Millions de tonnes d’équivalents baril de pétrole Prix du pétrole hors inflation (dollars de 2014) Consommation Production Prix

Figure 9. Consommation de pétrole, production de pétrole et inflation dans l’ancienne Union Soviétique, toutes tirées de BP Statistical Review of World Energy 2015.

Même plusieurs années après l’effondrement de l’Union soviétique, la croissance de la population dans les anciens pays de l’Union soviétique et dans ses pays satellites restait encore bien plus faible que dans le reste du monde.

Figure 10. Taux de croissance de la population mondiale entre 2005 et 2010.
Source : Page Wikipédia Liste des pays et territoires par taux de croissance démographique

Une réduction de la population (via une baisse des taux de natalité, une hausse des taux de mortalité ou une émigration accrue) est un des principaux moyens qu’utilisent les économies pour s’auto-ajuster face à une baisse de la quantité d’énergie disponible par personne. Les économies ont tendance à résoudre le problème de cette faible consommation d’énergie par personne en ajustant la population à la baisse.

Récemment, nous avons de nouveau connu des périodes de réduction de la consommation d’énergie par personne.

Figure 11 Consommation totale de pétrole et d’énergie par personne Énergie totale par personne (tep) Pétrole par pers. (tep) Grande Récession Isolationnisme Total Pétrole

Figure 11. Consommation mondiale de pétrole et d’énergie par personne, d’après les données de BP Statistical Review of World Energy 2017 et les données de population de l’ONU 2017.

Le ralentissement de la consommation mondiale d’énergie par personne en 2008–2009 était clairement révélateur d’un problème majeur. La consommation de pétrole, celle de charbon et celle de gaz naturel ont baissé en même temps. La consommation de pétrole par personne a connu une chute plus importante que le mix global, ce qui a particulièrement affecté les pays fortement dépendants du pétrole (par exemple, la Grèce avec son tourisme, mais aussi les États-Unis, le Japon et l’Europe).

Le récent changement de stratégie politique vers plus d’isolationnisme semble aussi être le résultat d’une consommation d’énergie par personne qui stagne. On peut douter du fait que Donald Trump aurait pu être élu aux États-Unis si la consommation mondiale d’énergie par personne avait connu une croissance robuste et si les disparités salariales étaient restées un problème mineur.

La cause première de la tendance à la stagnation de la consommation mondiale d’énergie par personne entre 2013 et 2016 (figure 11) est la baisse de la consommation mondiale de charbon (figure 12). Beaucoup de gens imaginent que le charbon n’a qu’une importance mineure, mais en fait, c’est la deuxième plus grosse source d’énergie au monde, derrière le pétrole. Nous n’avons pas vraiment de bonne manière de faire croître assez vite la production de gaz naturel pour compenser la perte de production de charbon.

Figure 12 La consommation de charbon à la baisse pousse la croissance mondiale de la consommation d’énergie à la baisse hydroélectr. gaz pétrole charbon nucléaire Monde : consommation millions de tonnes d’équiv. pétrole par an Données : BP Statistical Review 2016 Graphe : mazamascience.com

Figure 12

L’énergie éolienne et l’énergie solaire ne marchent tout simplement pas quand il s’agit de résoudre le problème de la consommation d’énergie par personne, que celle-ci stagne ou soit en décroissance. Après des milliards de dollars dépensés dans ces sources d’énergie, elles ne représentent toujours qu’une part infime (1%) de l’approvisionnement énergétique mondial, d’après l’Agence internationale de l’énergie. Dans la figure 13, elles ne représentent qu’une partie de la fine bande grise nommée « Other ».

Figure 13. Figure préparée par l’AIE indiquant l’apport total d’énergie primaire par type à partir de ce document de l’AIE.

Quelque chose doit « céder » quand la consommation d’énergie par personne est insuffisante

La situation délicate à laquelle nous sommes désormais confrontés est le fait que la consommation d’énergie par personne semble atteindre un maximum. Ce phénomène est dû à des problèmes de niveaux de prix inabordables. Avec le temps, le prix des produits énergétiques doit augmenter pour suivre le coût croissant de la création de ces produits énergétiques. Mais si les prix de l’énergie augmentent vraiment beaucoup, les travailleurs à bas salaires ne peuvent plus se permettre, à la fois, d’acheter des biens et services fabriqués avec des produits énergétiques coûteux, et d’honorer tous leurs autres engagements financiers (remboursements d’emprunts immobiliers, automobiles, étudiants). Cela conduit à des défauts de remboursement de dette – c’est ce qui s’est passé lors de la récession de 2008–2009.

À un moment donné, il faut s’attendre à ce que le problème des prix inabordables crée une contrainte à la baisse sur la consommation d’énergie. Cela peut arriver de plusieurs manières. Des pics de prix et des problèmes de prix inabordables peuvent entraîner une répétition, en pire, de la récession de 2008-2009. Ou bien, si les prix du pétrole restent plutôt bas, les pays exportateurs de pétrole (comme le Venezuela, par exemple) peuvent s’effondrer à cause de ces bas prix. Même si les prix du pétrole augmentent, on peut se retrouver à constater que des prix plus élevés ne permettent pas d’aboutir à une offre supplémentaire suffisante parce que les investissements dans de nouveaux champs pétroliers ont été faibles pendant de nombreuses années en raison des bas prix des années passées.

Tant que l’économie mondiale est en expansion (figure 14), les individus peuvent espérer en tirer profit. Des emplois bien rémunérés ont de bonnes chances d’être disponibles, et les gens peuvent se permettre d’acheter des biens avec leur salaire qui croît. Vendeurs d’actions et retraités peuvent tous recevoir une part de cette production économique croissante.

Figure 14. 2010 2020 2030 2040

Figure 14. Image de l’auteur d’une économie en expansion.

Lorsque l’économie commence à se contracter (figure 15), la question de la répartition des biens et les services disponibles commence à être un problème. Combien les retraités devraient-ils recevoir ? Et les gouvernements ? Et les travailleurs du moment ? Et les détenteurs d’actions et d’obligations ? Sachant qu’honorer en même temps tous ces engagements est impossible.

Figure 15. 2010 2020 2030 2040

Figure 15. Image de l’auteur de l’économie en déclin.

Un problème évident dans une économie qui se contracte est que les prêts deviennent plus difficiles à rembourser : une fois soustraits la dette et ses intérêts, il en reste moins pour s’acheter les autres biens et services.

Figure 16. Rembourser les emprunts beaucoup plus difficile dans une économie en contraction – ou sans croissance. Rembourser les prêts est beaucoup plus difficile dans une économie qui se contracte – ou sans croissance Prêt initial Prêt Reste Prêt remboursé Prêt + Intérêts Reste

Figure 16. Figure de l’auteur.

Modifier les taux d’intérêt peut, jusqu’à un certain point, contribuer à repousser les problèmes engendrés par la hausse des prix de l’énergie et la contraction de l’offre. Le danger vient du fait que les taux d’intérêt peuvent évoluer dans le mauvais sens et aggraver nos problèmes. Dans les années qui ont précédé la Grande Récession de 2008–2009, les États-Unis ont relevé leurs taux d’intérêt à court terme, contribuant ainsi à faire exploser la bulle de la dette immobilière dite sub-prime.

Figure 17 Indice Case-Shiller Taux d’intérêt cible de fin de trimestre Indice Case-Shiller Taux d’intérêt cible

Figure 17. Figure comparant l’indice des prix des habitations corrigé des variations saisonnières de Case-Shiller et les taux d’intérêt cibles de fin de trimestre de la Réserve fédérale. Pour plus de détails, le lecteur pourra se référer à Les limites à l’approvisionnement en pétrole et la crise financière qui se perpétue.

Ces temps-ci, on entend de nombreux débats au sujet de la hausse des taux d’intérêt et de la revente de titres achetés par la banque centrale dans le cadre des programmes d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing) (ce qui aurait aussi tendance à faire remonter les taux d’intérêt). Si la croissance de la consommation d’énergie par personne est déjà nulle, ces changements pourraient encore aggraver les problèmes auxquels l’économie doit faire face.

Notre économie fonctionne comme un vélo

Vous êtes-vous déjà demandé comment un vélo à deux roues était capable de tenir debout sans tomber ? La physique montre qu’une bicyclette reste debout sans tomber aussi longtemps que sa vitesse est supérieure à 2,3 mètres par seconde (8,3 km/h). C’est le résultat de la physique de la situation. Un article de recherche connexe déclare : « Cette stabilité peut typiquement se produire à des vitesses v proches de la racine carrée de g×L, où g est l’accélération de la pesanteur et L est une longueur caractéristique (typiquement de l’ordre de 1 mètre pour un vélo moderne). »

Ainsi, un vélo pourra continuer à rouler tout droit, sans tomber, aussi longtemps qu’il va assez vite. S’il ralentit trop, il tombera. Pour notre économie, c’est à peu près pareil.

La pesanteur joue un rôle important dans la vitesse d’un vélo. Si le vélo descend une pente, la pesanteur va considérablement augmenter la vitesse du vélo. Si le vélo monte, la pesanteur va tirer très fort le vélo en arrière.

Je vois la situation d’une économie dont la consommation d’énergie par personne croît comme si elle était sur un vélo descendant une pente à toute allure. Le cycliste n’a pas besoin de fournir beaucoup d’énergie supplémentaire pour faire rouler le vélo.

Si la consommation d’énergie par personne est nulle, le cycliste doit fournir une quantité d’énergie suffisante pour faire rouler son vélo au moins à la vitesse qui lui permettra de ne pas tomber. D’une certaine manière, c’est déjà un problème. Et si en fait, la consommation d’énergie par personne baisse, c’est un véritable désastre. Le cycliste lui-même devra fournir l’énergie nécessaire pour faire avancer son vélo et lui-même vers le haut.

En fait, un vélo qui accélère ressemble beaucoup à l’économie mondiale à bien d’autres titres.

Figure 18 "Cycliste = "Fournit l’énergie primaire = "Combustibles fossiles "Guidon = "Profitabilité, lois "Freinage = "Taux d’intérêt "Roue avant = "Système de dette "Pédalier = "Efficacité énergét. "Roue arrière = Là où "l’énergie agit via le pédalier

Figure 18. Vision de l’auteur des analogies entre un vélo qui accélère et l’économie qui accélère.

L’économie a besoin d’un flux constant d’énergie provenant de l’extérieur. Dans le cas d’un vélo, le cycliste peut apporter ce flux d’énergie. Dans le cas de l’économie, ce flux d’énergie provient d’un mix de différents types de combustibles, dans lequel, généralement, les combustibles fossiles dominent.

La croissance de la dette (roue avant) est elle aussi importante. Cela a tendance à pousser l’économie vers l’avant, car cette dette peut servir à payer les salaires et acheter les matériaux nécessaires à la fabrication de biens et services supplémentaires. L’effet d’accroître la dette est donc indirect : au final, elle ne produit son effet qu’à travers le cycliste, les pignons et la roue arrière.

En fait, le système financier dans son ensemble a une grande importance dans le « pilotage » de l’économie. Il indique aux investisseurs quels investissements sont susceptibles d’être rentables.

Dans le système, le système de pignons du vélo joue un rôle modeste. Changer les vitesses permet, dans certaines circonstances, d’améliorer l’efficacité dans l’utilisation de l’énergie disponible. Mais l’efficacité énergétique, en soi, ne suffit pas à faire fonctionner le système.

Si le cycliste ne fournit pas assez d’énergie pour que la bicyclette roule assez vite, le vélo va progresser pendant un court moment, avant de tomber. L’économie mondiale semble fonctionner de manière similaire. Si elle n’obtient pas assez d’énergie par personne, la croissance économique aura tendance à ralentir, et finira par s’effondrer. L’effondrement pourra concerner l’ensemble de l’économie mondiale, ou des parties de celle-ci.

Le problème de certains secteurs de l’économie qui ne reçoivent pas assez d’énergie

On peut voir l’économie comme étant composée de nombreux vélos montés par des cyclistes. Au début de cet article, j’ai évoqué le problème des fortes disparités salariales. C’est un problème qui est survenu au moment de la Grande Dépression des années 1930, et qui est réapparu ces dernières années.

On pourrait qualifier les disparités salariales de « rendement trop faible du travail de certains travailleurs ». Lorsqu’il s’agit de groupes d’animaux dans des écosystèmes, un retour trop faible sur l’effort de ces animaux, c’est ce qui provoque un effondrement de ces écosystèmes. Par exemple, si les poissons doivent nager trop loin pour obtenir un peu plus de nourriture, leur population s’effondrera. Il ne faut donc pas être surpris que les économies aient tendance à s’effondrer lorsque le rendement des efforts d’une partie de leurs travailleurs devient trop faible.

Les disparités salariales sont liées au niveau de performance des cyclistes. Est-ce que les cyclistes reçoivent assez de calories pour pouvoir continuer à pédaler assez vite et ainsi maintenir une vitesse suffisante pour que leur vélo reste debout ?

Si la consommation d’énergie par personne croît, cela facilite grandement le fonctionnement du système économique. Si la quantité disponible d’énergie bon marché croît, on peut utiliser des machines variées, comme par exemple des camions, pour démultiplier de plus en plus le travail des employés. Cette démultiplication accrue permet à chaque travailleur de devenir plus « productif ». Grâce à une consommation d’énergie croissante, cette productivité croissante permet de produire une quantité croissante de biens et de services. Cela permet également aux travailleurs de recevoir un salaire qui reste assez élevés pour qu’ils puissent acheter une part raisonnable de la production de l’économie. Lorsque cela se produit, les « excès » de biens inabordables ne sont pas vraiment un problème.

Si, par contre, la consommation d’énergie par personne stagne (ou pire encore, diminue), une plus grande « complexité » devient indispensable pour conserver une croissance de la production de biens et de services. Ce qu’implique une plus grande complexité, c’est une spécialisation accrue et une formation plus poussée des individus qui composent l’économie. Une plus grande complexité mène à de plus grosses entreprises, à plus de services publics et à des disparités salariales accrues. Malheureusement, la complexité est sujette aux rendements décroissants, selon Joseph Tainter et son livre L’effondrement des sociétés complexes. La complexité accrue finit par ne plus réussir à offrir un nombre suffisant d’emplois bien rémunérés. Les disparités salariales deviennent un problème susceptible d’entraîner un effondrement de l’économie.

Si la production économique est insuffisante, la physique de l’économie se met à « sortir du jeu » les travailleurs situés en bas de la hiérarchie sociale. Les travailleurs à bas salaire ne peuvent plus se payer de quoi se loger et soutenir leur famille. Les dépressions deviennent plus courantes. Les niveaux d’endettement des groupes défavorisés (comme les jeunes, aux États-Unis) risquent d’augmenter.

Figure 19. Source : https://www.weforum.org/agenda/2017/10/millennials-are-being-left-behind-and-it-poses-a-huge-risk-to-the-us-economy

La situation n’est donc peut-être pas celle d’une économie mondiale qui fait faillite dans son ensemble : il se peut que seules certaines parties de l’économie s’effondrent. En fait, nous pouvons déjà voir des éléments de preuve du fait que cela se produit déjà. Par exemple, aux États-Unis, l’espérance de vie des hommes est en baisse depuis deux ans, à cause des problèmes croissants générés par les overdoses.

Conclusions

En 2017, l’économie mondiale a semblé avoir doucement dérapé parce qu’elle a pu bénéficier de prix de l’énergie artificiellement bas et de taux d’intérêt artificiellement bas. Ces prix et ces taux d’intérêt artificiellement bas ont temporairement boosté l’économie mondiale. Les pays qui consomment de grandes quantités de produits énergétiques, y compris les États-Unis, en ont particulièrement bénéficié.

Cependant, il ne faut pas s’attendre à ce que cette situation temporaire se prolonge encore longtemps. Les prix bas du pétrole ont déjà commencé à prendre fin, celui du baril de Brent ayant atteint près de 69 dollars US à l’heure où j’écris ces lignes. Les tendances suivies par les prix du pétrole et les stocks de pétrole, que montre la figure 6, sont inquiétantes. Si les prix du pétrole commencent à augmenter pour atteindre le prix requis par les producteurs de pétrole, ils risquent de déclencher une récession et une baisse de la consommation mondiale d’énergie, exactement comme en 2008–2009. Les chances d’apparition d’un effondrement dans les 12 à 24 prochains mois ne seront alors plus négligeables. Il est difficile de savoir jusqu’à quel point un tel effondrement pourrait être généralisé ; il pourrait surtout toucher certains pays et groupes de population en particulier.

Pour aggraver les choses, nos dirigeants semblent ne pas comprendre la situation dans laquelle nous sommes. L’économie mondiale a grandement besoin d’une hausse de la consommation d’énergie par personne. Les projets de hausse des taux d’intérêt et de vente des titres acquis par assouplissement quantitatif, alors que l’économie est déjà « limite », reviennent à jouer avec le feu. Si l’on veut que l’économie mondiale continue à tourner, de grandes quantités d’énergie supplémentaire doivent impérativement être trouvées à un coût très bas. Et il est difficile d’être optimiste à ce sujet. Les sources d’énergie coûteuse ne servent à rien lorsqu’il s’agit de faire tourner l’économie, parce qu’elles sont inabordables.

Beaucoup de ceux qui suivent avec attention la situation pétrolière ont eu une grande confiance dans les analyses par EROI (Énergie récupérée sur énergie investie) qui nous indiquaient quels étaient les types d’approvisionnement en énergie qu’il nous fallait augmenter. Malheureusement, l’EROI ne nous fournit que des informations incomplètes. Il ne nous dit pas si un produit particulier peut être déployé à grande échelle pour un coût raisonnable. L’éolien et le solaire déçoivent énormément dès lors que l’on considère les coûts totaux, y compris ceux d’atténuation de leur intermittence sur le réseau électrique. Ils ne semblent pas être des solutions viables à quelque échelle qui ne soit pas petite.

D’autres chercheurs qui se sont penchés sur la situation énergétique n’ont pas compris à quel point le besoin de croissance économique, de hausse de la consommation d’énergie par personne et de hausse de la dette faisait partie du système. La croissance de la dette n’est pas une erreur dans le fonctionnement du système financier ; un vélo a besoin d’une roue avant, faute de quoi il ne roule pas du tout (figure 18). J’ai précédemment écrit plusieurs articles sur les raisons pour lesquelles la dette est indispensable pour faire avancer le système économique.

Cette croissance économique ne peut pas être non plus de la « fausse croissance », dans laquelle une dette de type pyramide de Ponzi semble rendre possible des achats que les consommateurs réels ne peuvent pas se permettre. Une partie non négligeable de ce qui est rapporté dans le PIB mondial actuel est d’une nature très « douteuse ». Si la Chine construit un grand nombre d’appartements que les habitants n’ont pas les moyens d’acheter sans subvention, faut-il considérer ces appartements comme une véritable croissance du PIB ? Que dire des routes inutiles, construites avec la dette croissante du gouvernement japonais ? Ou du recyclage effectué dans le monde entier, parce que cela permet aux gens « de se sentir mais », mais qui en fait exige des subventions substantielles ?

À ce stade, il nous est difficile de savoir où nous en sommes réellement, car chaque État veut pouvoir publier des chiffres de PIB aussi favorables que possible. Il est clair, cependant, que 2018 et 2019 devraient présenter des défis plus difficiles que 2017. Ce seront des années intéressantes !