Par Gail Tverberg
11 février 2015
Cet article est la dernière partie d’une série de 3 articles, intitulée Une nouvelle théorie de l’énergie et de l’économie, dont voici la 1ère partie et la 2ème partie.
De nombreux lecteurs m’ont demandé de leur expliquer ce que c’était que la dette. Certains se demandent aussi : « Pourquoi ne peut-on pas simplement annuler la dette et redémarrer de zéro ? » si l’on atteint des limites au pétrole, et si ces limites menacent de déstabiliser le système dans son ensemble. Pour répondre à ces questions, il me faut d’abord parler de la question des promesses en général, et pas seulement de ce que l’on appelle la dette.
D’une certaine manière, dettes et autres promesses sont ce qui lie ensemble notre économie en réseau. La dette et les autres promesses permettent la division du travail, car chaque personne peut ainsi « payer », par une promesse quelconque plutôt que par un paiement immédiat de marchandises, les autres membres du groupe pour leur travail. L’existence de la dette nous permet de disposer de nombreuses formes bien pratiques de paiement, comme les billets, les cartes bancaires et les chèques. De manière indirecte, ces nombreuses formes pratiques de paiement facilitent le commerce, y compris international.
Figure 1. Dôme construit à l’aide de Leonardo Sticks.
Chaque dette, et plus généralement chaque promesse de quelque sorte que ce soit, implique deux parties. Du point de vue de l’une des parties, l’engagement est de payer un certain montant (ou un certain montant, plus des intérêts). Du point de vue de l’autre partie, il s’agit d’un avantage futur – un montant disponible sur un compte bancaire, un chèque ou un engagement de l’État de faire bénéficier de prestations sociales. Les deux parties sont en quelque sorte liées l’une à l’autre par ces engagements, un peu comme les atomes sont liés les uns autres dans une molécule. On ne peut pas se débarrasser d’une dette sans se débarrasser aussi des avantages que procure cette dette – ce qui constitue un énorme problème.
Beaucoup a été écrit sur les bulles d’endettement passées et sur leur éclatement. La situation à laquelle nous sommes à présent confrontés est différente. Dans le passé, l’économie mondiale croissait, même si dans une région particulière, on atteignait des limites, comme par exemple une population trop nombreuse par rapport à la surface de terres agricoles. Même si localement, une région s’effondrait, le reste du monde pouvait continuer sans elle. À présent, l’économie mondiale fonctionne beaucoup plus en réseau, ce qui fait qu’un effondrement à un endroit affectera aussi d’autres endroits. Le danger d’un effondrement généralisé est alors beaucoup plus grand.
Notre économie repose sur la croissance économique. Si la quantité de biens et de services produits chaque année commence à diminuer, nous allons avoir un énorme problème. Rembourser les prêts contractés va devenir beaucoup plus difficile.
Figure 2. Rembourser les emprunts est facile dans une économie en croissance, mais beaucoup plus difficile dans une économie en contraction.
En fait, lorsque l’économie se contracte, les promesses qui ne sont pas des dettes, comme par exemple les promesses de versement de pensions de retraite ou de remboursement de frais médicaux, deviennent plus difficiles à payer. Le montant qu’il restant disponible pour les dépenses discrétionnaires devient beaucoup moins élevé. Ces pressions ont tendance à accentuer le mouvement de contraction de l’économie, et à rendre les nouvelles promesses encore plus difficiles à financer.
Au sens large, une dette est la promesse de fournir, dans le futur, quelque chose qui a une certaine valeur. Avec une définition générale comme celle-là, il est clair qu’une facture de 10 euros est une forme de dette, car c’est la promesse que, à un moment ou l’autre, vous, ou celui ou celle à qui vous passez la facture de 10 euros, pourrez échanger la facture de 10 euros contre quelque chose qui a de la valeur. D’une certaine manière, même les pièces d’or sont une promesse de quelque chose qui a de la valeur dans le futur. Ce n’est pas nécessairement une promesse sur laquelle on peut compter. Il est parfois arrivé dans le passé que les pièces d’or soient confisquées. Les produits dérivés de la finance ont eux aussi les caractéristiques d’une dette.
Pour comprendre l’importance que peut avoir la dette, il faut réfléchir à ce pourrait être une économie sans dette. On peut imaginer qu’une telle économie dispose d’un marché central, où tout le monde apporte des biens qu’il souhaite échanger. Mais même dans une telle économie, il y aura un problème si une correspondance précise des besoins ne peut pas se faire. Si j’apporte des pommes et que vous apportez des patates, il nous est possible d’échanger les pommes contre les patates (« troc »). Mais comment faire si je n’ai pas besoin de patates ? Il faut alors imaginer de faire appel à une troisième personne, pour que chacun puisse recevoir ce que nous voulons. Du fait de cette grande lourdeur, les groupes humains n’ont jamais eu massivement recours au troc pour leurs transactions au quotidien.
Une approche qui semble avoir mieux fonctionné est celle que mentionne David Graeber dans son livre Dette : 5 000 ans d’histoire. Dans ce système, un temple exploite un marché. L’opérateur du marché fournit un « prix » pour chaque objet, en unités communes, comme par exemple le « boisseau de blé ». Chacun apporte des biens au marché (voire peut-être des services – par exemple « je vais travailler pendant une journée dans votre vignoble ») et les fait échanger contre d’autres biens, selon leur valeur. Aucun « argent » n’est véritablement nécessaire, car il suffit à l’opérateur de prendre une tablette en argile et d’y inscrire la valeur exprimée en « boisseaux de blé » de ce que chacun échange, en s’assurant que lors de chaque échange, ce qui est fourni correspond à ce qui est reçu.
Bien sûr, dès que l’on commence à échanger « une journée de travail » de cette manière, on en revient au problème des promesses futures et de celui de s’assurer qu’elles seront bien réalisées. De plus, si on permet à quelqu’un de reporter un solde d’un jour sur l’autre – par exemple, en apportant une grande quantité de biens qui ne peuvent être vendus en une seule journée – on entre dans le monde des promesses futures. Tout comme si on accepte qu’un cultivateur achète des semences à crédit, avec la promesse qu’il les rembourse au bout de quelques mois, lorsqu’il fera la récolte. Donc même dans une situation aussi simple, il nous faut être capable de gérer le problème des promesses futures.
Chaque fois que l’on a une division du travail, il faut s’entendre sur comment on divise le travail – quelles responsabilités ont chacun des participants. Dans le cas le plus simple, nous avons des chasseurs et des cueilleurs. S’il est décidé que les hommes chasseront et que les femmes cueilleront et s’occuperont des enfants, il faudra s’entendre sur la manière dont l’arrangement se fera. L’approche habituelle semble avoir été d’adopter une sorte d’économie de don. Dans une telle économie, chacun partage avec les autres tout ce qu’il a pu obtenir, et son statut est défini par la quantité qu’il peut offrir en partage.
Au lieu de formaliser la dette, tout le monde comprenait que, pour pouvoir faire partie du groupe, il fallait suivre les règles dictées par sa culture particulière, y compris, très souvent, tout partager. Les gens qui ne suivaient pas les règles étaient rejetées. Parce que vivre seul dans un tel environnement était difficile, les individus rejetés risquaient d’en mourir. Les membres du groupe étaient donc, en quelque sorte, liés par les coutumes qui sous-tendaient les économies de don.
À mesure que l’économie s’est construite et complexifiée, le besoin d’un ou de plusieurs dirigeants a fini par se faire sentir, ainsi que le moyen de le ou les soutenir financièrement. Un mécanisme de taxation est alors apparu. Bien que l’on ne considère généralement pas la fiscalité dédiée au soutien le dirigeant comme une dette, elle en a plusieurs des caractéristiques. Il s’agit d’une obligation de paiement récurrent. Le dirigeant et les autres membres du groupe planifient leur vie comme si cette situation devait se poursuivre. D’une certaine manière, les services gouvernementaux et la fiscalité qui en résulte contribuent à lier ensemble les différents constituants de l’économie.
La dette a des avantages vraiment énormes, en particulier :
1. Comme on l’a vu au début de cet article, la dette fonctionne très mal quand l’économie se contracte.
Rembourser les dettes avec intérêts devient impossible sans réduire les revenus discrétionnaires. Et les programmes publics, comme par exemple les soins de santé aux personnes âgées, se renchérissent, rapportés aux revenus courants.
2. Le paiement des intérêts a tendance à transférer la richesse des membres les plus pauvres aux membres les plus riches de la société.
Les économistes ont tendance à ignorer la dette, parce qu’elle correspond à des transactions plus ou moins équilibrées entre deux individus. Il n’en demeure pas moins que les membres les plus pauvres de la société ont particulièrement besoin d’emprunter, et que nombre d’entre eux paient des taux d’intérêt très élevés. Ceux qui prêtent de l’argent ont tendance à s’enrichir. De ce fait, avec le temps, les paiements d’intérêts ont tendance à accroître les disparités de richesse.
3. Trop souvent, le flux de paiement sur lequel repose la dette s’avère insoutenable.
Dans notre exemple précédent, tout le monde imagine que l’extraction de pétrole au Dakota du Nord va se poursuivre encore un certain temps, et s’endette comme si c’était le cas. Mais si ça ne l’est pas, la situation sera celle d’une très grosse mauvaise surprise.
Dans le cas des prêts étudiants américains, de nombreux étudiants se retrouvent dans l’incapacité d’obtenir un emploi dont le salaire leur permettrait de rembourser les prêts qui leur ont été accordés.
4. Les États ont tendance à mettre en place des programmes plus coûteux que ce qu’ils peuvent vraiment se permettre de payer sur le long terme.
À mesure qu’une économie s’enrichit (grâce à une consommation accrue de combustibles fossiles), les États ont tendance à toujours s’ajouter des programmes publics. On fait appel à des représentants du peuple élus plutôt qu’à un monarque. Des soins médicaux aux personnes âgées et des programmes de retraite sont ajoutés, ainsi que des prestations de chômage et des systèmes de formation plus poussée.
Malheureusement, estimer correctement quels seront les coûts à long terme de ces programmes est très difficile. De plus, même en supposant que ces programmes soient abordables avec une consommation élevée de combustibles fossiles, il est presque certain qu’ils cesseront de l’être si la disponibilité de l’énergie se met à décliner. Et revenir sur ces programmes est pratiquement impossible, même lorsqu’ils ne sont pas garantis, une fois que les gens ont planifié leur vie en supposant que ces nouveaux programmes existent.
La figure 3 montre un graphe des dépenses fédérales des États-Unis (tous niveaux) rapportées aux salaires (plus les revenus fonciers et agricoles). J’utilise cette base plutôt que le PIB, parce que les salaires n’ont pas crû au même rythme que le PIB ces dernières années. Les montants indiqués incluent des programmes publics comme la sécurité sociale et l’assurance-maladie pour les personnes âgées, en plus des dépenses publiques pour l’école, les routes et l’assurance chômage.
Figure 3. Comparaison des dépenses (en bleu) et des recettes (en rouge) du gouvernement fédéral des États-Unis (tous niveaux combinés), d’après le Bureau des données de recherche économique des États-Unis.
Il est manifeste que les dépenses publiques augmentent beaucoup plus rapidement que les salaires. Je m’attends à ce que ce constat se vérifie dans de nombreux autres pays.
5. Il n’y a pas de lien véritable entre montant de dette émise et ce qui sera réellement produit à l’avenir.
On nous dit que la monnaie est une réserve de valeur et qu’elle transfère un pouvoir d’achat du temps présent vers le temps futur. En d’autres termes, on peut compter sur l’argent qui se trouve sur nos comptes bancaires et, plus généralement, sur tous les titres papier en circulation.
Tout ceci n’est vrai que si l’économie peut à jamais continuer de créer une quantité croissante de biens et de services. Si, dans les faits, la production de biens et de services baisse de manière spectaculaire (vraisemblablement parce que les prix ne peuvent pas augmenter suffisamment pour pouvoir encourager l’extraction des matières premières), alors on a un gros problème.
Chaque année, tout ce dont on dispose, c’est le montant réel des ressources qui peuvent être extraites du sol et de la nourriture qui peut être cultivée. Ce montant détermine le nombre de biens et de services disponibles. La monnaie sert à distribuer les biens qui sont disponibles. On peut supposer qu’il faille payer en premier les personnes qui travaillent à extraire et produire ces biens et services, faute de quoi c’est tout le processus qui s’arrête. Fondamentalement, cela ne laisse que « ce qui reste » en partage pour tous ceux dont le revenu découle des recettes fiscales et tous les détenteurs de titres papier sous une forme ou une autre. Si l’on ne peut plus consommer de combustibles fossiles, on ne voit pas trop qui d’autre que les travailleurs qui produisent des biens et services pourra obtenir beaucoup. Les travailleurs deviendront moins efficaces, et la production chutera énormément.
6. Les produits dérivés et les autres produits financiers exposent le système financier à des risques importants.
Certaines grandes banques ont constaté qu’elles pouvaient gagner énormément d’argent en vendant des produits dérivés et d’autres produits financiers pour permettre à des individus ou des organisations de, fondamentalement, miser sur certaines issues – comme par exemple la chute du prix du pétrole de dessous d’un certain prix, ou une hausse très rapide des taux d’intérêt, ou encore la faillite de telle ou telle entreprise. Tant que tout se passe bien, cela ne pose pas vraiment de problème. Mais les matières premières et les valeurs des devises évoluant désormais rapidement, des entreprises risquent de faire faillite, déclenchant des versements de fortes primes grâce ces produits dérivés.
En théorie, il devrait être possible de compenser certains de ces paiements – l’argent dû par un client peut compenser l’argent dû à un autre client. Mais même si c’est le cas, ces défauts peuvent parfois prendre des années à se produire. L’une des parties peut même rencontrer des problèmes pour pouvoir payer ce à quoi elle s’est engagée.
L’un des problèmes spécifiques que posent beaucoup de produits financiers découle de l’utilisation du modèle de Black-Scholes. Ce modèle d’estimation de prix s’applique à condition que les événements soient indépendants et suivent une distribution de type loi normale. Or quand on s’approche des limites du pétrole et d’autres limites d’un monde fini, ce n’est pas le cas.
7. Les États ont tendance à être sévèrement touchés par une économie qui se contracte, risquant de n’être que peu utiles au moment même où la société a le plus besoin d’eux.
Comme on l’a vu précédemment, les paiements des programmes publics fonctionnent très largement comme de la dette. À mesure que l’économie se contracte, ces programmes qui auparavant semblaient abordables le deviennent de moins en moins, et doivent être drastiquement réduits. Les États ont alors tendance à rencontrer des problèmes financiers exactement en même temps que les banques et les autres prêteurs.
Les pays « avancés » ont à présent des niveaux d’endettement publics historiquement élevés. Si une autre crise financière majeure survient, le plan semble être celui d’une mise à contribution des déposants comme à Chypre, plutôt que celui d’un renflouement des banques par un surcroît de dette publique. Dans cette approche, les dépôts bancaires sont échangés contre des capitaux propres de la banque défaillante. Ainsi, à Chypre par exemple, 37,5% des dépôts au-dessus de 100 000 euros ont été convertis en actions de la banque, classées catégorie A.
Une telle approche pose beaucoup de problèmes. Les entreprises ont besoin de leurs liquidités pour pouvoir payer leurs employés et construire de nouvelles usines. Si ces liquidités sont requalifiées en actions, des entreprises peuvent elles-mêmes se retrouver en difficulté par manque de liquidités. Les consommateurs individuels, quant à eux, dépendent aussi de leurs soldes bancaires pour vivre. Comme on l’a vu ci-dessus, il existe, en théorie, une garantie publique des dépôts bancaires, mais le montant réel des fonds dédiés à cet effet est tout petit par rapport au montant potentiellement à risque. On en revient alors à la question de savoir si les gouvernements sont et seront en mesure de renflouer les banques et les autres institutions financières en faillite.
8. Dans une économie mondiale en difficulté, cacher le manque de croissance économique exige une dette accrue. Obtenir cette dette devient de plus en plus difficile du fait des rendements décroissants qui font stagner les salaires.
Si les salaires augmentent assez vite, ils devraient suffire à stimuler la demande de matières premières et augmenter leurs prix. Mais nos salaires sont proches de la stagnation – aux États-Unis, les salaires médians ont diminué. Si les salaires n’augmentent pas assez, le recours à une dette accrue devient indispensable pour accroître la demande. D’après les chiffres compilés par McKinsey Global Institute, l’endettement des ménages ne croît que lentement : il n’a augmenté que de 2,8% par an entre le quatrième trimestre de 2007 et le quatrième trimestre de 2014, contre 8,5% par an entre le quatrième trimestre de 2000 et le quatrième trimestre de 2007.
Même si l’on inclut la demande des entreprises, la dette ne croît pas assez vite pour maintenir les prix des matières premières à la hausse. Cette croissance insuffisante de la dette (et la croissance insuffisante de la demande au-delà de la croissance de la dette) semble être une des causes majeures de la baisse des prix de nombreuses matières premières depuis 2011.
9. Il semble que des politiques différenciées en matière de taux d’intérêt et d’assouplissement quantitatif puissent mettre en pièces le système financier mondial.
Dans une économie en réseau, ne pas trop s’éloigner du statu quo offre un avantage certain. Si les politiques des États-Unis ont pour effet d’augmenter la valeur du dollar tandis que celles des autres pays ont tendance à baisser leur devise respective, l’effet net sera de rendre la dette libellée en dollars US et détenue dans ces autres pays non remboursable. Cela rendra également les produits vendus par les entreprises américaines financièrement inaccessibles.
Ce qui a rendu possible l’économie telle qu’elle existe aujourd’hui, c’est le fait que les pays travaillent ensemble. Les sanctions contre l’Iran et la Russie nous éloignent déjà de cette situation. Les prix bas du pétrole mettent désormais les économies des pays exportateurs de pétrole en danger. Si de plus en plus de pays tentent de mettre en place des approches différenciées sur les taux d’intérêt, cela ajoutera une autre force centrifuge, éloignant les économies les unes des autres.
10. L’économie commence à se comporter de manière très étrange lorsqu’une trop grande part des revenus courants est bloquée dans de la dette et des instruments assimilables à de la dette.
Les modèles économiques suggèrent que si les prix du pétrole chutent, la demande de pétrole augmentera vigoureusement et l’offre diminuera rapidement. Mais si les producteurs de pétrole sont protégés par des contrats à terme qui se verrouillent lorsque le prix est élevé, il est très possible qu’ils ne répondent pas comme attendu au signal. En fait, s’ils sont tenus de rembourser des dettes, ils peuvent continuer à forer même si ce n’est pas la chose la plus raisonnable à faire.
De même, les consommateurs sont également touchés par leurs engagements passés. Si une grande partie du revenu des consommateurs est liée à des charges de copropriété, des paiements automatiques ou le paiement d’impôts, il est très possible que leur capacité à répondre aux prix plus faibles du pétrole soit limitée. Au lieu d’accroître leurs dépenses discrétionnaires, les consommateurs peuvent se retrouver à devoir rembourser une partie de leur dette avec leurs nouveaux revenus.
Si le système économique actuel s’effondre et qu’il devient nécessaire d’en créer un nouveau, ce nouveau système devra faire face à une quantité disponible de biens et de services sans cesse moindre, et ce durant une période de transition assez longue. Ci-dessous se trouve un graphique que j’ai déjà montré, et qui illustre ce à quoi la croissance des produits énergétiques, et donc la croissance de la production des biens et des services, pourrait ressembler.
Figure 4. Estimation de l’auteur de la production future d’énergie. Données historiques d’après celles de BP, et regroupées selon les catégories définies par l’AIE.
De ce fait, le nouveau système devra être très différent du système actuel. La plupart des promesses devront être de courte durée. Il est possible qu’un système financier permette toujours de faciliter les transferts d’argent entre personnes vivant dans la même région, mais conclure des contrats à long terme ou entre parties éloignées l’une de l’autre deviendrait difficile. En conséquence, cette nouvelle économie devra probablement être beaucoup plus simple que notre économie actuelle. On peut légitimement avoir des doutes sur le fait qu’elle puisse encore reposer sur des combustibles fossiles.
Beaucoup de gens demandent pourquoi on ne pourrait pas simplement annuler toute la dette et redémarrer de zéro. Le problème, c’est que cela impliquerait probablement aussi l’annulation de tous les comptes bancaires, et la disparition probable de la plupart de nos emplois actuels. On se retrouverait aussi sans doute sans réseau électrique, ni pétrole pour nos voitures. Redémarrer dans une telle situation serait vraiment très difficile. Il nous faudrait réellement recommencer à partir de zéro.
Je n’ai pas évoqué la distinction entre « fonds empruntés » et « capital accumulé ». Une telle distinction est importante quand on parle de taux de rendement attendu par les investisseurs, mais elle ne l’est pas autant en situation de crash économique. De même, la différence entre actions, obligations, régimes de retraite par capitalisation et contrats d’assurance prend elle aussi moins d’importance. Devant des problèmes réels, tout ce qui n’est pas physique finit dans la catégorie générale du « patrimoine papier ».
À long terme, compter sur le patrimoine papier (ou d’ailleurs sur tout type de patrimoine) est hasardeux. Chaque année, la quantité de biens et de services que l’économie peut produire est limitée par sa propre performance, compte tenu des limites que l’on atteint. Si la quantité de ces biens et services se met à chuter rapidement, les États risquent eux-mêmes de faire faillite, en plus d’assister à nos propres problèmes de défaut de remboursement de dette. Ceux qui détiennent du patrimoine papier ne devront pas espérer tirer leur épingle du jeu. Ce sont les travailleurs chargés de produire les biens et les services qu’il faudra probablement payer d’abord.