5 – Avions

Imaginez que vous fassiez tous les ans un voyage intercontinental en avion. Combien ça coûterait d’énergie ?

Un Boeing 747-400 avec 240 000 litres de carburant peut transporter 416 passagers sur environ 14 200 km.1 La valeur énergétique du kérosène est de 10 kWh par litre (nous l’avons vu au chapitre 3.) Donc, si on le divise de manière égale sur tous les passagers, le coût énergétique d’un aller-retour sur cette distance avec cet avion est de :

2 × 240 000 litres × 10 kWh/litre 12 000 kWh par passager
416 passagers

Si vous faites un voyage comme celui-ci tous les ans, alors votre consommation moyenne d’énergie par jour est de :

12 000 kWh 33 kWh/jour
365 jours

14 200 km est un peu plus que la distance qui sépare Londres du Cap, en Afrique du sud (10 000 km) ou de Los Angeles (9 000 km). Je pense donc qu’ici, nous avons légèrement surestimé la distance d’un trajet intercontinental typique. Mais nous avons aussi surestimé le remplissage de l’avion : or si l’avion n’est pas rempli à 100 %, le coût énergétique par personne sera plus élevé. Si l’on ajuste la distance du trajet en la réduisant de 14 200 à 10 000 kilomètres, et si l’on suppose un taux de remplissage de l’avion de 80 %, on arrive à une valeur de 29 kWh par jour. Pour s’en souvenir plus facilement, j’arrondirai cette valeur à 30 kWh par jour.

Figure 5.1. Prendre un avion long-courrier une fois par an consomme environ 30 kWh par jour.

Que les choses soient claires : faire un voyage long-courrier une fois par an coûte légèrement plus d’énergie que de laisser un radiateur électrique de 1 kW allumé en permanence, 24 heures sur 24, 365 jours par an.

De la même manière que le chapitre 3, dans lequel nous avons estimé ce que consommaient les voitures, était accompagné du chapitre A, qui propose un modèle de ce que devient l’énergie dans une voiture, ce chapitre s’accompagne d’un chapitre technique (chapitre C) qui décrit ce que devient l’énergie dans les avions. Ce chapitre C permet de répondre à des questions comme « est-ce qu’un voyage en avion coûterait significativement moins d’énergie si l’avion volait moins vite ? » La réponse est non : contrairement aux véhicules à roues, qui peuvent gagner en efficacité en roulant moins vite, les avions sont déjà quasiment au maximum de leur efficacité énergétique théorique. Les avions ne peuvent pas éviter de consommer de l’énergie pour deux raisons : ils doivent rejeter de l’air sous eux pour rester en l’air, et ils ont besoin d’énergie pour vaincre la résistance de l’air. Il n’y a aucun moyen de modifier la conception d’un avion pour en améliorer radicalement l’efficacité.2 Atteindre une amélioration de 10 %, c’est possible ? Oui, sans doute. Un avion deux fois plus efficace ? J’en mangerais mon chapeau.

Interrogations

Mais les avions à turbopropulseurs, eux, ne sont-ils pas beaucoup plus efficaces en énergie ?

Figure 5.2. Un Bombardier Q400 NextGen www.q400.com

Non. Le Bombardier Q400 NextGen qualifié de « considérablement plus vert », « l’avion à turbopropulseurs le plus avancé du monde du point de vue technologique » selon son fabricant [www.q400.com] consomme 3,81 litres pour 100 passagers-km (à une vitesse de croisière de 667 km/h), ce qui représente un coût en énergie de 38 kWh pour 100 p-km. Le coût en énergie d’un 747 rempli est de 42 kWh pour 100 p-km. Donc les deux avions sont à peu près deux fois plus efficaces sur le plan énergétique qu’une voiture à un seul occupant (en prenant la voiture européenne typique dont nous avons parlé dans le chapitre 3.)

énergie par unité de distance
(kWh pour 100 p-km)
Voiture (4 occupants) 20
Avions Ryanair, année 2007 37
Bombardier Q400, plein 38
747, plein 42
747, rempli à 80 % 53
Avions Ryanair, an 2000 73
Voiture (1 occupant) 80
Tableau 5.3. Rendements énergétiques par passager de différents systèmes de transport, exprimés en quantité d’énergie requise pour 100 kilomètres et par passager.

Est-ce que de prendre l’avion, d’une manière ou d’une autre, ça aggrave le changement climatique ?

Oui, c’est la conclusion des experts, même s’il reste une certaine incertitude à ce sujet [3fbufz]. Faire voler des avions crée d’autres gaz à effet de serre en plus du CO2, comme la vapeur d’eau et l’ozone, et des gaz à effet de serre indirects, comme les oxydes d’azote. Si vous voulez estimer votre empreinte carbone en tonnes équivalent CO2, prenez vos émissions de CO2 dues à vos vols et multipliez-les par deux ou trois. Les diagrammes de ce livre ne prennent pas en compte ce facteur multiplicatif parce qu’ils se concentrent sur notre bilan énergétique..

La meilleure chose que l’on puisse faire au sujet des écologistes, c’est de les flinguer.
Michael O’Leary, PDF de Ryanair [3asmgy]

Notes et bibliographie

Figure 5.4. Un Boeing 737-800 de la compagnie RyanAir. Photographie d’Adrian Pingstone.

1 Boeing 747-400 – Les données proviennent de [9ehws].
Les avions d’aujourd’hui ne sont pas complètement remplis. Les compagnies aériennes sont fières lorsqu’elles atteignent un taux de remplissage moyen de 80 %. Les avions d’Easyjet sont remplis à 85 % en moyenne. (Source : thelondonpaper, mardi 16 janvier 2007.) Un 747 rempli à 80 % consomme environ 53 kWh pour 100 km-passager.

Et les vols court-courrier ? En 2007, Ryanair, la « compagnie aérienne la plus verte d’Europe », transportait ses passagers avec un coût de 37 kWh pour 100 p-km [3exmgv]. Cela signifie que voler à travers l’Europe coûte autant d’énergie que si les passagers allaient à leur destination en voiture à deux par voiture. (Pour avoir une idée des performances des autres compagnies, il suffit de jeter un coup d’œil au coût énergétique de RyanAir en l’an 2000, c’est-à-dire avant qu’elle ne fasse des investissements en faveur de l’environnement : il était supérieur à 73 kWh pour 100 p-km.) Le voyage de Londres à Rome fait 1 430 km, et de Londres à Malaga 1 735 km. Donc un aller-retour Londres–Rome avec la compagnie la plus verte a un coût en énergie de 1 050 kWh, et un aller-retour Londres–Malaga coûte 1 270 kWh. Si vous allez à Rome et à Malaga une fois par an, votre consommation moyenne de puissance sera de 6,3 kWh/j avec la compagnie aérienne la plus verte, et sans doute de 12 kWh/j avec une compagnie moins verte.

Figure 5.5. Deux voyages court-courriers sur la compagnie court-courrier la plus verte : 6,3 kWh/j.
Voler suffisamment souvent pour atteindre le statut de Grand Voyageur Silver : 60 kWh/j.

Qu’en est-il des grands voyageurs ? Pour détenir la carte « Silver Grand Voyageur » d’une compagnie aérienne internationale, il semble qu’il faille faire autour de 25 000 milles par an en classe économique. Cela fait autour de 60 kWh/j, en augmentant en proportion les chiffres énoncés dans ce chapitre, et en supposant que les avions ont un taux de remplissage de 80 %.
Vous trouverez ci-dessous des chiffres supplémentaires provenant du Groupe Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) [yrnmum] : un 747-400 rempli à 100 %, qui parcourt 10 000 km avec une faible densité de sièges (262 places) a une consommation d’énergie de 50 kWh pour 100 p-km. Dans une configuration à haute densité de sièges (568 places) où il parcourt 4 000 km, le même avion a une consommation d’énergie de 22 kWh pour 100 p-km. Un Tupolev-154 court-courrier qui parcourt 2 235 km avec 70 % de ses 164 sièges occupés consomme 80 kWh pour 100 p-km.

2 Il n’y a aucun moyen de modifier la conception d’un avion pour en améliorer radicalement l’efficacité. En fait, l’objectif de l’Advisory Council for Aerospace Research in Europe (ACARE) est une réduction globale de 50 % de la quantité de combustible brûlé par passager-kilomètre d’ici à 2020 (par rapport à la consommation de l’an 2000), avec une amélioration de 15 à 20 % attendue dans le rendement des moteurs. En 2006, Rolls Royce avait atteint la moitié de cet objectif sur ses moteurs [36w5gz].

Dennis Bushnell, scientifique en chef au centre de recherche de la NASA de Langley, semble être d’accord avec moi concernant les espoirs que l’on peut avoir pour améliorer l’efficacité des avions. L’industrie aéronautique est mûre. « Il ne reste plus grand chose à gagner, à part une lente accumulation d’un ou deux pour cent ici et là sur de longues périodes de temps. » (New Scientist, 24 février 2007, page 33).

On s’attend à ce que le « Silent Aircraft » [silentaircraft.org/sax40], résultat d’une reconception radicale, soit 16 % plus efficace que les avions de forme traditionnelle s’il était construit (Nickol, 2008).

Si l’objectif de l’ACARE était atteint, ce serait vraisemblablement grâce à des avions mieux remplis et à une meilleure gestion du trafic aérien.