Si vous le permettez, je vais essayer de rendre un peu plus palpable l’échelle des plans du chapitre précédent, en vous montrant une carte de la Grande-Bretagne dans laquelle serait mis en œuvre un sixième plan. Ce sixième plan se situe à peu près à mi-chemin des cinq premiers : je l’appellerai donc le plan M, le plan « médian » (figure 28.1).
Le tableau 28.3 montre les superficies et les coûts approximatifs de ces installations. Pour que ce soit plus simple, les coûts financiers sont estimés en utilisant les prix actuels pour des installations comparables, dont la plupart en sont au stade de prototypes. On peut s’attendre à ce que beaucoup de ces prix chutent de façon importante. Les coûts approximatifs qui sont donnés ici sont les coûts de construction, et ne prennent pas en compte les coûts d’exploitation ou de démantèlement. On trouve les coûts « par personne » en divisant le coût total par 60 millions. Surtout, souvenez-vous que ce livre n’est pas un livre d’économie — il lui faudrait 400 pages de plus ! Je ne fournis ces estimations de coût que pour donner une indication grossière de la facture à laquelle il faut s’attendre pour mettre en place un plan dont le compte est bon.
J’aimerais mettre l’accent sur le fait que je ne recommande pas ce plan en particulier — il inclut plusieurs éléments qu’en tant que dictateur de la Grande-Bretagne, je ne choisirais pas. J’ai délibérément inclus toutes les technologies disponibles, de sorte que vous puissiez essayer de construire vos propres plans en faisant des combinaisons différentes.
Par exemple, si vous dites « le photovoltaïque va être trop cher ; à la place, je voudrais un plan tirant plus d’énergie à partir des vagues », vous voyez ce qu’il faut faire : il vous faut multiplier les fermes à vagues par un facteur huit. Si vous n’aimez pas l’endroit choisi pour les fermes éoliennes, vous êtes libre de les déplacer (mais où ?). Gardez à l’esprit que mettre plus d’éoliennes en pleine mer augmentera le coût de l’éolien. Si vous préférez moins de fermes éoliennes, pas de souci — il vous suffit d’indiquer lesquelles parmi les autres technologies vous préférez voir développées à la place. Vous pouvez remplacer cinq des fermes éoliennes de 100 km2 en ajoutant une centrale nucléaire de 1 GW supplémentaire, par exemple.
Peut-être trouverez-vous que ce plan (tout comme les cinq autres plans du chapitre précédent) dédie une surface déraisonnable aux biocarburants. Très bien : vous pourrez donc conclure que la demande en carburants liquides pour le transport doit être réduite sous les 2 kWh par jour et par personne dont ce plan fait l’hypothèse ; ou que les carburants liquides doivent être produits d’une autre manière.
Capacité | Coût approxim. total |
par personne |
Puissance moyenne fournie |
|
---|---|---|---|---|
52 fermes éoliennes : 5 200 km2 | 35 GW | 33 G€ | 550 € | 4,2 kWh/j/pers. |
29 fermes éoliennes en mer : 2 900 km2 |
29 GW | 45 G€ | 750 € | 3,5 kWh/j/pers. |
Stockage par pompage : 15 installations de type Dinorwig |
30 GW | 18 G€ | 300 € | |
Parcs photovoltaïques : 1 000 km2 | 48 GW | 240 G€ | 4 000 € | 2 kWh/j/pers. |
Panneaux solaires thermiques : 1 m2 de panneaux de toit par personne. (60 km2 au total) |
2,5 GW(th) en moyenne |
90 G€ | 1 500 € | 1 kWh/j/pers. |
Incinérateurs de déchets : 100 incinérateurs de 30 MW |
3 GW | 11 G€ | 185 € | 1,1 kWh/j/pers. |
Pompes à chaleur | 210 GW(th) | 75 G€ | 1 200 € | 12 kWh/j/pers. |
Fermes à vagues — 2 500 Pelamis, 130 km de mer |
1,9 GW (0,76 GW en moyenne) |
8 G€ ? | 130 € | 0,3 kWh/j/pers. |
Barrage de la Severn : 550 km2 | 8 GW (2 GW en moyenne) |
18 G€ | 300 € | 0,8 kWh/j/pers. |
Lagons marémoteurs : 800 km2 | 1,75 GW en moyenne |
3,3 G€ ? | 60 € | 0,7 kWh/j/pers. |
Flux de marée : 15 000 turbines – 2 000 km2 |
18 GW (5,5 GW en moyenne) |
25 G€ ? | 440 € | 2,2 kWh/j/pers. |
Nucléaire : 40 centrales | 45 GW | 75 G€ | 1 200 € | 16 kWh/j/pers. |
Charbon propre | 8 GW | 20 G€ | 330 € | 3 kWh/j/pers. |
Solaire à concentration dans les déserts : 2 700 km2 |
40 GW en moyenne |
430 G€ | 7 000 € | 16 kWh/j/pers. |
Terres en Europe pour 1 600 km de lignes HTCC : 1 200 km2 |
50 GW | 1,2 G€ | 20 € | |
2 000 km de lignes HTCC | 50 GW | 1,2 G€ | 20 € | |
Biocarburants : 30 000 km2 | (coût non estimé) | 2 kWh/j/pers. | ||
Bois/Miscanthus : 31 000 km2 | (coût non estimé) | 5 kWh/j/pers. |
Tableau 28.3. Surfaces de terres et de mer requises par le plan M, et coûts approximatifs. Les coûts avec un point d’interrogation concernent les technologies pour lesquelles aucun prototype n’a encore fourni de coût précis. « 1 GW(th) » dénote un gigawatt de puissance thermique.
Chaque ferme éolienne coûte quelques millions d’euros pour être construite, et elle fournit quelques mégawatts. Comme chiffre très approximatif pour 2008, installer un watt de capacité coûte 1,50 € ; un kilowatt coûte 1 500 € ; un mégawatt de vent coûte un million et demi d’euros ; un gigawatt de nucléaire coûte autour de deux milliards d’euros. D’autres renouvelables coûtent plus cher. Le Royaume-Uni consomme actuellement une puissance totale d’environ 300 GW, essentiellement des combustibles fossiles. On peut donc s’attendre au fait qu’un transfert majeur des combustibles fossiles aux renouvelables et/ou au nucléaire va imposer en gros 300 GW de renouvelables et/ou de nucléaire, et que ça coûtera, en première approximation, dans les 400 à 500 milliards d’euros. Les coûts approximatifs du tableau 28.3 atteignent 1 200 milliards d’euros, le coût des installations solaires dominant le total — le photovoltaïque coûtant près de 250 milliards d’euros, et les centrales solaires à concentration près de 500 milliards d’euros. Ces deux coûts pourraient bien baisser de manière importante avec la pratique. Un rapport interne du gouvernement dévoilé par The Guardian en août 2007 estime qu’atteindre « 20 % pour 2020 » (c’est-à-dire 20 % de toute notre énergie provenant des renouvelables, ce qui obligerait à augmenter notre production de puissance renouvelable de 80 GW) coûterait « jusqu’à 28 milliards d’euros » (ce qui ferait, en moyenne, 2,2 milliards d’euros par an). Même si cette estimation est plus faible que les 100 milliards d’euros calculés de manière empirique et que j’ai précédemment mentionnés, les auteurs du rapport qui a fuité semblent considérer que 28 milliards d’euros sont un coût « déraisonnable », préférant un objectif de seulement 9 % de renouvelables. (Ils donnent une autre raison pour laquelle l’objectif des « 20 % d’ici 2020 » leur déplaît : les économies de gaz à effet de serre qui en résulteraient « risqueraient de rendre inutile le plan de quotas d’émissions de l’Union européenne ». Que voilà une pensée terrifiante !) 2
Des milliards, ce sont de gros chiffres, qu’on a du mal à se représenter. Pour essayer de remettre en perspective le coût de l’éviction des combustibles fossiles, faisons maintenant une liste de quelques autres choses qui coûtent aussi des milliards d’euros, ou des milliards par an. J’exprimerai nombre de ces dépenses « par personne », en divisant le total par une population d’une taille appropriée.
Sans doute le montant le plus pertinent que l’on puisse utiliser pour faire des comparaisons, c’est l’argent que l’on dépense déjà annuellement pour notre fourniture d’énergie. Au Royaume-Uni, l’argent que dépensent les consommateurs finaux pour l’énergie est de 100 milliards d’euros par an, et la valeur marchande totale de toute l’énergie consommée est de 170 milliards d’euros par an. L’idée de dépenser 2,2 milliards d’euros par an pour investir dans la future infrastructure énergétique ne semble donc pas du tout déraisonnable — cela fait moins de 3 % de nos dépenses actuelles pour l’énergie !
Une autre bonne comparaison à faire est celle de nos dépenses d’assurance actuelles : certains des investissements qu’il nous faudra faire offrent un retour sur investissement incertain — exactement comme une assurance. Au Royaume-Uni, les particuliers et les entreprises dépensent 110 milliards d’euros par an en assurances.
70 milliards d’euros sur 25 ans : le coût du démantèlement des centrales nucléaires et des installations de fabrication des armes nucléaires au Royaume-Uni. C’est le chiffre de 2004 ; en 2008, il atteignait 90 milliards d’euros (soit 1 500 euros par personne au Royaume-Uni). [6eoyhg]
5,4 milliards d’euros : le coût du terminal 5 de l’aéroport londonien
d’Heathrow (90 euros par personne au Royaume-Uni).
2,3 milliards d’euros : le coût pour élargir 91 kilomètres de l’autoroute M1,
qui relie Londres à Manchester (entre les échangeurs 21 et 30, figure 28.4).
[yu8em5]. (38 euros par personne au Royaume-Uni.)
Coût des Jeux Olympiques de Londres 2012 : 3 milliards d’euros ; ah, non, désolé, 6,2 milliards d’euros [3x2cr4] ; ou peut-être plus de 11 milliards d’euros, finalement [2dd4mz]. (Cela fait 190 euros par personne au Royaume-Uni.)
3,1 milliards d’euros par an : profits de Tesco (annoncés en 2007). (52 euros
par personne au Royaume-Uni et par an.)
12,7 milliards d’euros par an : dépensés par les Britanniques pour de la
nourriture qu’ils achètent mais ne mangent pas. (210 euros par personne
au Royaume-Uni et par an.)
13 milliards d’euros par an : profits de BP (2006).
16 milliards d’euros par an : profits de la Royal Dutch Shell (2006).
40 milliards de dollars par an : profits d’Exxon (2006).
33 milliards de dollars par an : dépenses mondiales en parfums et
maquillage.3
700 milliards de dollars par an : dépenses des États-Unis pour acheter du
pétrole étranger (2008). (2 300 dollars par personne aux États-Unis et par an.)
1,9 milliards d’euros : le coût de la remise à neuf des bureaux du ministère
de la Défense (Private Eye n° 1176, 19 janvier 2007, page 5.) (31 euros
par personne au Royaume-Uni.)
19 milliards d’euros : le coût de l’introduction d’un système de carte d’identité
au Royaume-Uni [7vlxp].
(310 euros par personne au Royaume-Uni.).
4 milliards d’euros : le coût du gazoduc Langeled, qui relie les zones de production de gaz norvégiennes à la Grande-Bretagne. La capacité du pipeline est de 20 milliards de m3 par an, ce qui correspond à une puissance de 25 GW. [6x4nvu] [39g2wz] [3ac8sj]. (66 euros par personne au Royaume-Uni.)
10 milliards d’euros par an : les revenus annuels des taxes sur le tabac
au Royaume-Uni [y7kg26].
(160 livres par personne au Royaume-Uni et par an.)
L’Union européenne dépense presque 1 milliard d’euros par an en
subventions pour la tabaculture.
www.ash.org.uk
46 milliards de dollars par an : le coût annuel de la « Guerre contre la
drogue » américaine. [r9fcf] (150 dollars par personne aux États-Unis et
par an.)
1,7 milliards de dollars : le coût d’une navette spatiale. (6 dollars par personne aux États-Unis et par an.)
700 milliards de dollars : en octobre 2008, le gouvernement américain
s’est engagé à renflouer Wall Street à hauteur de 700 milliards de dollars,
et puis aussi...
500 milliards de livres sterling : le gouvernement britannique s’est engagé
à renflouer les banques britanniques à hauteur de 500 milliards de livres
sterling (620 milliards d’euros).
6,2 milliards d’euros par an : les exportations d’armes du Royaume-
Uni (104 euros par personne au Royaume-Uni et par an), dont 3,1 milliards
d’euros vont au Moyen-Orient, et plus d’un milliard à la seule Arabie saoudite.
Source : The Observer, 3 décembre 2006.
10,6 milliards d’euros : le coût de la rénovation des bâtiments militaires à
Aldershot et Salisbury Plain (180 euros par personne au Royaume-Uni.)
4,8 milliards d’euros : le coût de deux nouveaux avions cargo (80 euros par
personne au Royaume-Uni.)
news.bbc.co.uk/1/low/scotland/6914788.stm
4,5 milliards de dollars par an : le coût de la non-fabrication des armes
nucléaires — le budget du Département américain de l’énergie alloue au
moins 4,5 milliards de dollars par an pour les activités « d’intendance des
stocks » liées à la maintenance de l’arsenal nucléaire sans essai nucléaire
et sans production à large échelle de nouvelles armes. (15 dollars par personne
aux États-Unis et par an.)
12 à 30 milliards d’euros par an : le coût du remplacement du Trident, le
système d’armes nucléaires britannique (210 à 520 euros par personne au
Royaume-Uni et par an) [ysncks].
63 milliards de dollars : la donation américaine pour « l’assistance militaire »
(en clair : des armes) au Moyen-Orient sur 10 ans — en gros, la
moitié à Israël et la moitié aux pays arabes.
[2vq59t] (210 dollars par personne aux États-Unis.)
1 200 milliards de dollars par an : les dépenses mondiales d’armement
[ym46a9]. (200 dollars par personne dans le monde et par an.)
2 000 milliards de dollars ou plus : le coût pour les États-Unis de la guerre
en Irak [99bpt] selon l’économiste et
prix Nobel Joseph Stiglitz (7 000 dollars par personne aux États-Unis et par an.)
Selon le rapport Stern, le coût global pour éviter un changement climatique dangereux (si l’on agit maintenant) est de 440 milliards de dollars par an (440 dollars par an et par personne, en répartissant de manière égale entre le milliard de personnes les plus riches). En 2005, le seul gouvernement américain a dépensé 480 milliards de dollars pour les guerres et la préparation à la guerre.4 Les dépenses militaires totales des 15 pays les plus dépensiers en matière d’armement était de 840 milliards de dollars.
0,015 milliard d’euros par an : la plus petite dépense que montre la figure 28.5. C’est l’investissement annuel du gouvernement britannique en recherche et développement sur les énergies renouvelables.5 (0,25 euro par personne au Royaume-Uni et par an).
↑ 1 Figure 28.2. J’ai supposé que les fermes photovoltaïques avaient une puissance par unité de surface de 5 W/m2, similaires à la ferme bavaroise de la page 48, donc chaque ferme sur la carte fournit 100 MW en moyenne. Leur production moyenne totale serait de 5 GW, ce qui requiert en gros 50 GW de capacité en crête (soit 16 fois la capacité photovoltaïque allemande en 2006). Chacun des hexagones jaunes représentant le solaire a une puissance moyenne de 5 GW ; deux de ces hexagones sont nécessaires pour alimenter une des « taches » du chapitre 25.
↑ 2
Un rapport interne du gouvernement dévoilé par The Guardian...
Le quotidien The Guardian rapportait le 13 août 2007 [2bmuod], que « les fonctionnaires
gouvernementaux ont informé en secret leurs ministres de tutelle que la Grande-Bretagne n’avait aucune chance
d’atteindre, ni même d’approcher les nouveaux objectifs d’énergie renouvelable de l’Union européenne auxquels
Tony Blair s’était engagé au printemps — et ils ont suggéré qu’ils trouveraient le moyen pour la Grande-Bretagne
de se défiler. »
Le document dévoilé est accessible sur [3g8nn8].
↑ 3 ... parfum... Source : Worldwatch Institute www.worldwatch.org/press/news/2004/01/07/
↑ 4 ...les guerres et la préparation à la guerre... www.conscienceonline.org.uk
↑ 5
L’investissement du gouvernement dans la recherche et développement des énergies renouvelables.
En 2002–2003, l’engagement
du gouvernement britannique dans la recherche et développement associée aux énergies renouvelables était de
12,2 millions de livres sterling (environ 15 millions d’euros). Source : Comité Science et Technologies de la Chambre
des Lords, 4e rapport de session 2003–2004. [3jo7q2]
Comparable dans sa petitesse, on trouve aussi l’allocation attribuée par le gouvernement au programme des bâtiments
à faible empreinte carbone (Low Carbon Buildings Programme), qui se montait à 0,018 milliard de livres sterling par an
(environ 0,022 milliard d’euros par an), partagée entre l’éolien, la biomasse, le solaire (thermique et photovoltaïque),
les pompes à chaleur géothermiques, le micro-hydroélectrique et la micro-cogénération.