« On devait avoir une éolienne, mais elles ne sont pas très efficaces. »

Figure 19.1. Reproduit avec l’aimable autorisation de PRIVATE EYE / Robert Thompson www.private-eye.co.uk.

19 – Chaque GRAND geste compte

Nous avons établi que le mode de vie actuel au Royaume-Uni ne pouvait pas être maintenu en nous contentant de nos propres ressources renouvelables (sauf à industrialiser des surfaces de terre et de mer de la taille du pays entier). Alors, quelles sont les possibilités qui s’offrent à nous si nous voulons nous sortir de notre dépendance aux combustibles fossiles et vivre de manière durable ? Nous pouvons équilibrer notre budget énergétique, soit en réduisant la demande, soit en augmentant l’offre, soit, bien sûr, en faisant les deux.

Ne vous faites pas d’illusions. Pour atteindre notre objectif de ne plus utiliser de combustibles fossiles, ces réductions de la demande et ces augmentations de l’offre doivent être grandes. Ne vous laissez pas distraire par la légende selon laquelle « chaque petit geste compte ». Si tout le monde en fait un petit peu, nous n’arriverons à faire qu’un petit peu. C’est beaucoup qu’il nous faut faire. Ce sont de grands changements dans l’offre et la demande qui vont être nécessaires.

« Mais, si 60 millions de personnes en font toutes un peu, ça va sûrement faire beaucoup, au total ? » Non. La calculette du « si-tout-le-monde-faisait » est juste un moyen pour faire paraître grand quelque chose qui reste petit. La calculette du « si-tout-le-monde-faisait » permet de clamer des phrases qui impressionnent, du genre « si tout le monde faisait X, alors cela fournirait suffisamment d’énergie/d’eau/de gaz pour faire Y », où Y semble impressionnant. Est-ce surprenant que Y paraisse grand ? Bien sûr que non. On a obtenu Y en multipliant X par le nombre de personnes concernées — dans les 60 millions ! Voici un exemple tiré du « projet pour une économie verte » (Blueprint for a Green Economy) du Parti conservateur britannique, qui, par ailleurs, expose les choses très directement :

« Un chargeur de téléphone mobile consomme en moyenne environ … 1W, mais si les 25 millions de chargeurs de téléphones mobiles du pays étaient tous laissés branchés, ils consommeraient assez d’électricité (21 GWh) pour alimenter 66 000 foyers pendant un an. »

66 000 ? Mais dites donc, ça fait beaucoup de foyers, ça ! Débranchez les chargeurs ! 66 000, ça paraît énorme, mais la seule chose sensée à faire ici est de comparer ce chiffre au nombre total de foyers que nous supposons devoir participer à cet effort, à savoir 25 millions. Et 66 000, ça ne fait que le quart d’un pour cent de 25 millions. Ainsi, bien que l’assertion citée ci-dessus soit vraie, je pense qu’une façon plus pondérée de présenter la chose est la suivante :

Si vous laissez branché votre chargeur de téléphone portable, il utilise le quart d’un pour cent de votre électricité à la maison.

Et si tout le monde le fait ?

Si tout le monde laisse branché son chargeur de téléphone portable, ces chargeurs vont utiliser un quart d’un pour cent de leur électricité domestique.

Même si l’empreinte environnementale de chaque individu ne peut pas être réduite à zéro, l’absence d’individu y parvient.

Chris Rapley, ancien directeur de l’Institut Antarctique Britannique (British Antarctic Survey)

Il nous faut moins de monde, pas des gens « plus verts ».

Daily Telegraph, 24 juillet 2007

La démocratie ne peut survivre à la surpopulation. La dignité humaine ne peut survivre à la surpopulation.

Isaac Asimov

La calculette du « si-tout-le-monde-faisait » est un piège, car elle détourne l’attention du public vers 25 millions de sardines, là où il y a 25 millions de baleines. Le slogan « de petits gestes peuvent faire une grande différence », c’est de la foutaise lorsqu’on l’applique au changement climatique et à l’énergie. Il peut être vrai que « un grand nombre de gens, faisant chacun un peu, obtiennent beaucoup », si tous ces « un peu » sont d’une façon ou d’une autre concentrés en un seul « beaucoup » — par exemple, si un million de personnes donnent 10 euros à l’unique victime d’un accident, la victime reçoit 10 millions d’euros. C’est beaucoup. Mais l’énergie est quelque chose de très différent : nous consommons tous de l’énergie. Donc, pour obtenir une « grande différence » dans la consommation totale d’énergie, on a besoin que presque tout le monde fasse une « grande » différence dans sa propre consommation d’énergie.

Donc, ce qui est nécessaire, ce sont de grands changements dans la demande et dans l’offre. La demande en énergie pourrait être réduite de trois façons :

  1. en réduisant notre population (figure 19.2) ;
  2. en changeant notre mode de vie ;
  3. en conservant notre mode de vie, mais en réduisant son intensité énergétique grâce à l’« efficacité » et la « technologie ».
« Il va nous falloir réduire vos émissions. »

Figure 19.2. Croissance démographique et émissions… Dessin reproduit avec l’aimable permission de Colin Wheeler.

L’offre pourrait être augmentée de trois façons :

  1. Nous pourrions nous sortir des combustibles fossiles en investissant dans la technologie du « charbon propre ». Oups ! Le charbon est un combustible fossile. Ça ne fait rien — jetons quand même un œil à cette idée. Si nous utilisions du charbon « durablement » (une notion que nous allons définir dans un instant), combien d’énergie cela pourrait-il offrir ? Si nous ne nous soucions pas de durabilité et que voulons simplement « sécuriser notre approvisionnement », le charbon peut-il nous l’offrir ?
  2. Nous pourrions investir dans la fission nucléaire. La technologie nucléaire actuelle est-elle « durable » ? Est-elle au moins un bouche-trou pour les 100 prochaines années ?
  3. Nous pourrions acheter, mendier, ou voler de l’énergie renouvelable à d’autres pays — en gardant à l’esprit que la plupart des pays seront dans le même bateau que la Grande-Bretagne et n’auront pas de ressources renouvelables en trop ; et en gardant aussi à l’esprit que le fait de s’approvisionner en énergie renouvelable à partir d’un autre pays ne fait pas rétrécir par magie les installations nécessaires. Si nous importons de l’énergie renouvelable d’autres pays pour éviter la construction d’installations de production d’énergie renouvelable de la taille du Pays de Galles dans notre pays, il faudra bien construire des installations d’à peu près la taille du Pays de Galles dans ces autres pays.

Les sept chapitres suivants traitent d’abord de la manière dont on peut réduire sensiblement la demande, puis de celle dont on peut augmenter l’offre pour répondre à cette demande, réduite mais toujours « énorme ». Dans ces chapitres, je ne citerai pas toutes les bonnes idées. Je discuterai seulement des grandes idées.

Une Grande-Bretagne schématique

Figure 19.3. Consommation dans la « Grande-Bretagne schématique de 2008 ».

Afin de simplifier et de rationaliser notre discussion sur la réduction de la demande, je me propose de travailler avec une vision simplifiée de la consommation d’énergie britannique, qui laisse de côté de nombreux détails afin de se concentrer sur les points principaux. Ma Grande-Bretagne schématique consomme de l’énergie sous seulement trois formes : chauffage, transport, et électricité. La consommation de chauffage de la Grande- Bretagne schématique est de 40 kWh par jour et par personne (provenant actuellement entièrement de combustibles fossiles) ; la consommation des transports est également de 40 kWh (eux aussi fournis par des combustibles fossiles) ; et la consommation d’électricité est de 18 kWh(e) par jour et par personne ; L’électricité est actuellement produite en quasi-totalité à partir de combustibles fossiles ; la conversion de l’énergie des combustibles fossiles en électricité a un rendement de 40 %, donc la fourniture de ces 18 kWh(e) d’électricité à la Grande-Bretagne schématique actuelle implique une consommation de combustibles fossiles de 45 kWh par jour et par personne. Cette simplification ignore certains détails de belle taille, comme l’agriculture et l’industrie, ainsi que l’énergie incorporée dans tout ce qu’on importe ! Mais je voudrais être en mesure d’avoir une brève discussion sur les principales actions à entreprendre pour nous passer des combustibles fossiles. Chauffage, transports et électricité représentent plus de la moitié de notre consommation d’énergie, donc si nous pouvons arriver à un modèle selon lequel le chauffage, le transport et l’électricité sont devenus durables, alors nous aurons fait une sérieuse avancée vers un programme plus détaillé dont le compte serait bon.

Maintenant que nous avons adopté ce schéma de la Grande-Bretagne, la discussion de la réduction de la demande ne portera que sur trois éléments. Tout d’abord, comment pouvons-nous réduire la demande énergétique des transports et éliminer toute utilisation de combustibles fossiles pour le transport ? C’est l’objet du chapitre 20. Deuxièmement, comment pouvons-nous réduire la demande énergétique du chauffage et éliminer toute utilisation de combustibles fossiles pour celui-ci ? C’est l’objet du chapitre 21. Troisièmement, qu’en est-il de l’électricité ? Le chapitre 22 traite de l’efficacité dans la consommation d’électricité. Trois moyens de production — le charbon propre, l’énergie nucléaire, et l’énergie renouvelable des autres pays — sont ensuite discutées dans les chapitres 23, 24 et 25. Enfin, le chapitre 26 traite des manières de faire face aux fluctuations de la demande et aux fluctuations de la production d’énergie renouvelable. Après avoir mis en lumière les différentes possibilités de réduction de la demande et d’accroissement de l’offre, les chapitres 27 et 28 discutent des diverses manières de les combiner pour créer des plans dont le compte est bon, afin de procurer à notre Grande-Bretagne schématique son chauffage, ses transports et son électricité. Je pourrais consacrer des pages et des pages sur « les 50 actions qui vous permettraient de faire une différence », mais je crois que cette approche schématique, en allant à la pêche aux trois plus gros poissons, devrait aboutir à des stratégies plus efficaces.Mais que dire des « trucs » ? D’après la première partie de ce livre, l’énergie incorporée dans tout ce qu’on importe pourrait bien être le plus gros poisson de tous ! Pour ne pas dire carrément le mammouth caché sous le tapis ! Oui, c’est bien possible. Mais mettons de côté la question de la dé-fossilisation du mammouth, et concentrons nous sur les animaux sur lesquels nous avons un contrôle direct. Donc, allons-y : parlons transport, chauffage et électricité.

Pour le lecteur impatient

Vous êtes pressé de connaître la fin de l’histoire ? Voici un coup d’œil sur les conclusions de cette seconde partie.

Premièrement, nous électrifions les transports. L’électrification fait d’une pierre deux coups : elle permet de se passer de combustibles fossiles pour le transport, et le rend plus économe en énergie (bien sûr, l’électrification augmente notre demande en électricité verte).

Deuxièmement, pour compléter le chauffage solaire thermique, nous électrifions la plus grande partie du chauffage de l’air et de l’eau dans les bâtiments en utilisant des pompes à chaleur, qui sont quatre fois plus efficaces que les radiateurs électriques ordinaires. Cette électrification du chauffage augmente encore la quantité d’électricité verte nécessaire.

Troisièmement, nous produisons toute l’électricité verte à partir d’une combinaison de quatre sources : nos propres sources d’énergie renouvelable ; peut-être du « charbon propre » ; peut-être du nucléaire ; et enfin, en demandant très poliment, les énergies renouvelables d’autres pays.

Parmi les sources d’énergie renouvelables des autres pays, l’énergie solaire dans les déserts est la plus abondante. Aussi longtemps que nous pouvons établir des collaborations internationales pacifiques, l’énergie solaire des déserts des autres pays possède certainement le potentiel technique de nous fournir, de leur fournir, de fournir à tout le monde 125 kWh par jour et par personne.

Des questions ? Lisez la suite !