25 – Vivre sur les renouvelables d’autres pays ?

Puissance par unité de
surface de terres ou d’eau
Éolien 2 W/m2
Éolien offshore 3 W/m2
Bassins marémoteurs 3 W/m2
Courants de marées 6 W/m2
Photovoltaïque 5–20 W/m2
Plantes 0,5 W/m2
Eau de pluie
   (montagnes)
0,24 W/m2
Hydroélectricité 11 W/m2
Cheminées solaires 0,1 W/m2
Solaire à concentration
   (déserts)
15 W/m2
Tableau 25.1. Les installations de renouvelables doivent être à l’échelle d’un pays tellement chacune des sources d’énergie renouvelable est diffuse.

Que la Méditerranée devienne un espace de coopération ou de confrontation durant le 21e siècle sera d’une importance stratégique pour notre sécurité commune.

Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères,
février 2004

Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il était difficile de remplacer les combustibles fossiles que nous consommons par des énergies renouvelables disponibles chez nous. Le nucléaire pose aussi des problèmes spécifiques. Que pouvons-nous faire d’autre ? Eh bien, pourquoi ne pas vivre sur les renouvelables de quelqu’un d’autre ? (Ce n’est pas que nous ayons un quelconque droit sur les renouvelables de ce quelqu’un d’autre, bien sûr, mais peut-être trouverait-il un intérêt à nous les vendre.)

La plupart des ressources permettant de vivre de manière durable sont liées à la superficie de territoire qui y est dédiée : si vous voulez utiliser des panneaux solaires, vous avez besoin d’espace pour les installer ; si vous voulez faire pousser des cultures, vous avez encore besoin d’espace. Jared Diamond, dans son livre intitulé Effondrement, observe que, si de nombreux facteurs contribuent à l’effondrement de civilisations, il y a une caractéristique commune que l’on retrouve dans tous les effondrements, qui est que la densité de population humaine est devenue trop élevée.

Des endroits comme la Grande-Bretagne ou l’Europe sont dans le pétrin parce que la densité de population qu’ils hébergent est trop importante, et que toutes les énergies renouvelables disponibles sont diffuses — elles ont une faible densité de puissance (tableau 25.1). Si l’on veut demander de l’aide, on devrait se tourner vers des pays qui réunissent les trois critères suivants : a) une faible densité de population, b) une grande superficie, et c) une disponibilité d’énergie renouvelable avec une densité de puissance élevée.

Tableau 25.2. Quelques pays ou régions du monde, triés par densité de population croissante. Voir le chapitre K pour trouver d’autres densités de population.
Région Population Superficie
(km2)
Densité
(habitants
par km2)
Surface par
habitant
(m2)
Libye 5 760 000 1 750 000 3 305 000
Kazakhstan 15 100 000 2 710 000 6 178 000
Arabie saoudite 26 400 000 1 960 000 13 74 200
Algérie 32 500 000 2 380 000 14 73 200
Soudan 40 100 000 2 500 000 16 62 300
Monde 6 440 000 000 148 000 000 43 23 100
Écosse 5 050 000 78 700 64 15 500
France (+ DOM-TOM) 65 800 000 675 000 97 10 260
Union européenne 496 000 000 4 330 000 115 8 720
Pays de Galles 2 910 000 20 700 140 7 110
Royaume-Uni 59 500 000 244 000 243 4 110
Angleterre 49 600 000 130 000 380 2 630
Figure 25.3. Moteurs Stirling à parabole. Ces magnifiques concentrateurs fournissent une puissance par unité de surface de 14 W/m2. Photo gracieusement fournie par Stirling Energy Systems. www.stirlingenergy.com

Le tableau 25.2 met en évidence quelques pays qui font l’affaire. La densité de population de la Libye, par exemple, est près de 75 fois plus faible que celle du Royaume-Uni, et sa surface est 7 fois plus grande. Parmi les autres pays richement dotés en superficie, on trouve le Kazakhstan, l’Arabie saoudite, l’Algérie et le Soudan.

Dans tous ces pays, je pense que l’énergie renouvelable la plus prometteuse est l’énergie solaire, en particulier l’énergie solaire à concentration, qui utilise des miroirs ou des lentilles pour concentrer la lumière du Soleil. Il y a plusieurs types de centrales solaires à concentration, selon la manière dont sont disposés et orientés leurs miroirs déplaçables, et les différentes technologies de conversion de la chaleur au foyer — moteurs Stirling, eau pressurisée ou sels fondus, par exemple — mais elles produisent toutes des puissances moyennes par unité de surface assez semblables, de l’ordre de 15 W/m2.1

Une technologie avec laquelle le compte est bon

Figure 25.4. Andasol — une centrale solaire de « 100 MW » en construction en Espagne. L’énergie thermique en excès produite durant le jour est stockée dans des réservoirs de sels fondus pendant une durée maximum de 7 heures, permettant une fourniture stable et continue de puissance au réseau électrique. La centrale est prévue pour produire 350 GWh par an (40 MW). Les miroirs paraboliques occupent 400 hectares, et leur puissance par unité de surface sera de 10 W/m2.
Photo du haut : ABB. Photo du bas : IEA SolarPACES.

« Toute la puissance dont le monde a besoin pourrait être produite dans le Sahara par un carré de 100 kilomètres de côté. » C’est vrai, ça ? Installé dans le désert, le solaire à concentration fournit une puissance moyenne par unité de surface d’environ 15 W/m2. Donc si l’on s’interdit tout espace libre pour quoi que ce soit d’autre dans un tel carré, la puissance fournie serait de 150 GW. C’est très loin de correspondre à la puissance que consomme actuellement le monde. Ce n’est même pas une valeur proche de la seule consommation mondiale d’électricité, qui est de 2 000 GW. Aujourd’hui, la consommation mondiale de puissance, toutes sources d’énergie confondues, est de 15 000 GW. Donc pour être correcte, l’affirmation au sujet de la puissance provenant du Sahara aurait dû être qu’aujourd’hui, la consommation mondiale pourrait être fournie par un carré de désert de 1 000 km par 1 000 km consacré uniquement à l’énergie solaire à concentration. C’est quatre fois la superficie du Royaume-Uni, ou deux fois celle de la France. Et si ce qui nous intéresse, c’est de vivre dans un monde équitable, il faudrait probablement avoir pour objectif de fournir plus de puissance que ce que nous consommons aujourd’hui. Pour alimenter chaque personne dans le monde avec un niveau de consommation de puissance équivalent à la moyenne européenne (125 kWh/j), la superficie nécessaire serait de deux carrés de 1 000 km par 1 000 km dans le désert.

Heureusement, le Sahara n’est pas le seul désert au monde. Aussi peutêtre serait-il plus pertinent de découper le monde en régions plus petites, et se demander quelle surface de désert local serait nécessaire pour chaque région. Si l’on se concentre sur l’Europe, « quelle superficie du Sahara du nord serait nécessaire pour alimenter toute la population d’Europe et d’Afrique du nord avec un niveau de consommation de puissance d’un Européen moyen ? » Si l’on prend un milliard de personnes comme population d’Europe et d’Afrique du Nord réunies, la superficie nécessaire n’est plus que de 340 000 km2, ce qui correspond à un carré de 600 km par 600 km. Cette surface correspond à celle de l’Allemagne, deux tiers de celle de la France, à 1,4 fois le Royaume-Uni, ou à 16 fois le Pays de Galles.

Figure 25.5. Le fameux petit carré jaune. Cette carte montre un carré de 600 km sur 600 km en Afrique et un autre en Arabie saoudite, en Jordanie et en Irak. Des installations solaires à concentration remplissant complètement l’un de ces carrés fourniraient assez de puissance pour qu’un milliard de personnes puissent disposer de la consommation d’un Européen moyen, soit 125 kWh/j. La superficie couverte par un carré est la même que celle de l’Allemagne, ou 16 fois celle du Pays de Galles. A l’intérieur de chaque grand carré est dessiné un plus petit carré de 145 km sur 145 km indiquant la surface de Sahara qu’il faudrait couvrir — un pays de Galles, ou quatre départements français — pour alimenter toute la consommation de puissance britannique.

La part de désert nécessaire à l’actuelle consommation du Royaume-Uni correspondrait à la superficie du Pays de Galles, soit un carré de 145 km par 145 km dans le Sahara. Ces carrés sont représentés dans la figure 25.5. Remarquez que si ces carrés jaunes paraissent « petits » comparés à l’Afrique, ils ont quand même la même surface que l’Allemagne.

Tableau 25.6. Potentiel de puissance solaire dans les pays autour et proches de l’Europe, tel qu’estimé par DESERTEC.
Le « potentiel économique » est la puissance qui pourrait être générée dans des endroits où l’irradiance directe normale est supérieure à 2 000 kWh/m2/an.
Le « potentiel côtier » est la puissance qui pourrait être générée jusqu’à 20 mètres d’altitude au dessus du niveau de la mer. Une telle puissance est prometteuse du fait, en particulier, de la possibilité de la combiner au dessalement de l’eau de mer.
À titre de comparaison, la puissance totale nécessaire pour fournir 125 kWh par jour à 1 milliard de personnes est de 46 000 TWh/an (5 200 GW). 6 000 TWh/an (650 GW) représentent 16 kWh par jour et par personne pour 1 milliard de personnes.
Pays Potentiel économique
(TWh/an)
Potentiel côtier
(TWh/an)
Algérie 169 000 60
Libye 140 000 500
Arabie saoudite 125 000 2 000
Égypte 74 000 500
Iraq 29 000 60
Maroc 20 000 300
Oman 19 000 500
Syrie 10 000 0
Tunisie 9 200 350
Jordanie 6 400 0
Yémen 5 100 390
Israël 3 100 1
UEA 2 000 540
Koweït 1 500 130
Espagne 1 300 70
Qatar 800 320
Portugal 140 7
Turquie 130 12
Total 620 000
(70 000 GW)
6 000
(650 GW)
Figure 25.7. Pose d’une ligne à haute tension en courant continu entre la Finlande et l’Estonie. Une paire de ces câbles transmet une puissance de 350 MW. Photo : ABB.

Le projet DESERTEC

Une organisation appelée DESERTEC [www.desertec.org] défend un projet utilisant l’énergie solaire à concentration des pays méditerranéens ensoleillés et des lignes à haute tension en courant continu (HTCC), pour transporter de la puissance vers les régions plus nuageuses et septentrionales (figure 25.7). La technologie des lignes HTCC est utilisée depuis 1954 pour transmettre de la puissance électrique, aussi bien avec des lignes aériennes que sous-marines (comme l’interconnexion entre la France et l’Angleterre, par exemple). Elle est déjà utilisée pour transmettre de la puissance sur des distances supérieures à 1 000 km, en Afrique du Sud, en Chine, en Amérique, au Canada, au Brésil ou au Congo.2 Une ligne typique de 500 kV peut transmettre une puissance de 2 GW. Au Brésil, il existe une paire de lignes HTCC qui transmet 6,3 GW.

Les lignes HTCC sont préférées aux traditionnelles lignes à haute tension en courant alternatif (HTCA) car elles nécessitent moins de matériel, utilisent moins de place au sol, et ont moins de pertes de puissance en ligne. Les pertes de puissance sur une ligne de 3 500 kilomètres, en prenant en compte la conversion du courant alternatif en courant continu et inversement, sont d’environ 15 %.3 Un autre avantage des systèmes HTCC est qu’ils facilitent la stabilisation des réseaux électriques auxquels ils sont connectés.

Dans les plans de DESERTEC, les premières régions à exploiter seraient les zones côtières, car les centrales solaires à concentration proches de la mer peuvent fournir de l’eau de mer dessalée sous forme de sous-produit — qui est précieuse aussi bien pour la consommation humaine que pour l’agriculture.

Figure 25.8.Chaque tache circulaire représente une superficie de 1 500 km2, qui, si elle était couverte pour moitié d’installations solaires, pourrait générer 10 GW en moyenne. 65 de ces taches pourraient fournir 16 kWh/j par personne à un milliard de personnes.

Figure 25.9. Un collecteur photovoltaïque à concentration de 25 kW (crête) produit par la société californienne Amonix. Son ouverture de 225 m2 contient 5 760 lentilles de Fresnel avec une concentration optique d’un rapport 260, chacune illuminant une cellule de silicium au rendement de 25 %. Un tel collecteur, placé sur un site désertique approprié, génère 138 kWh par jour — assez pour couvrir la consommation d’énergie de la moitié d’un Américain. Remarquez l’homme en bas qui donne l’échelle. Photo de David Faiman.

Le tableau 25.6 montre les estimations de DESERTEC sur le potentiel de puissance pouvant être produite en Europe et en Afrique du nord. Le « potentiel économique » dépasse largement le besoin nécessaire pour fournir 125 kWh par jour et par personne à 1 milliard de personnes. Le total du « potentiel côtier » est suffisant pour fournir 16 kWh par jour et par personne à 1 milliard de personnes.

Essayons de mettre sur une carte ce à quoi pourrait ressembler un plan réaliste. Imaginons des installations solaires ayant chacune une superficie de 1 500 km2, soit approximativement la taille de Londres. (Le Grand Londres a une superficie de 1 580 km2 ; l’autoroute circulaire M25, appelée « London Orbital » et qui fait le tour de Londres, ceint une région d’une superficie de 2 300 km2.) Appelons chacune de ces installations une tache. Imaginons que dans chacune de ces taches, la moitié de la superficie soit consacrée à des centrales solaires à concentration avec une densité de puissance moyenne de 15 W/m2, en laissant le reste de l’espace pour l’agriculture, les bâtiments, les voies de chemins de fer, les routes, les canalisations et les câbles. En s’autorisant 10 % de pertes entre la tache et le consommateur, chacune de ces taches génère une puissance moyenne de 10 GW. La figure 25.8 montre quelques taches pour donner l’échelle. Pour donner une idée de la taille de ces taches, j’en ai aussi placé quelques-unes sur la Grande-Bretagne. Quatre de ces taches pourraient produire grosso modo la puissance nécessaire à la consommation totale d’électricité de la Grande-Bretagne (16 kWh/j par personne pour 60 millions de personnes). Soixante-cinq taches pourraient alimenter un milliard de personnes en Europe et en Afrique du nord avec 16 kWh/j par personne. La figure 25.8 montre 68 taches dans le désert.

Systèmes photovoltaïques à concentration

Une alternative aux centrales thermiques solaires à concentration dans les déserts, ce sont les systèmes photovoltaïques à concentration de grande dimensions. Pour en construire un, on place une cellule photovoltaïque de haute qualité au foyer de miroirs ou de lentilles bon marché. Faiman et al. (2007) affirme que « l’énergie solaire, dans sa variante photovoltaïque à concentration, peut être tout à fait compétitive face aux combustibles fossiles [dans les États possédant des déserts, comme la Californie, l’Arizona, le Nouveau-Mexique et le Texas], sans avoir besoin de subvention d’aucune sorte. »

Selon le fabricant Amonix, cette forme de solaire à concentration produirait une puissance moyenne par unité de surface au sol de 18 W/m2.4

Une autre manière d’avoir une idée de la taille de l’installation nécessaire qu’il faudrait, c’est de ramener les choses à l’échelle d’une personne. Un seul de ces collecteurs de « 25 kW » (crête) que montre la figure 25.9 génère en moyenne environ 138 kWh par jour ; le niveau de vie américain actuel nécessite 250 kWh par jour et par personne. Donc pour débarrasser les États-Unis des combustibles fossiles en utilisant l’énergie solaire, il nous faut en gros deux de ces collecteurs de 15 m × 15 m par personne.

Interrogations

Je ne comprends pas ! Dans le chapitre 6, vous disiez que les panneaux photovoltaïques fournissaient en moyenne une puissance de 20 W/m2 dans un endroit ensoleillé comme la Grande-Bretagne. On pourrait s’attendre à ce que, dans le désert, les mêmes panneaux fournissent 40 W/m2. Alors comment se fait-il que des centrales solaires à concentration ne puissent fournir que 15 à 20 W/m2 ? Sûrement le fait de concentrer la puissance lumineuse devrait être encore meilleur que d’utiliser de simples panneaux plats, non ?

Bonne question. Et la réponse, en version courte, est non. Concentrer l’énergie solaire n’augmente en rien la puissance par unité de surface par rapport à ce que l’on obtient avec des panneaux plats. Le système de concentration doit suivre le Soleil ; sinon, la lumière du Soleil ne sera pas correctement concentrée. Mais une fois que vous commencez à remplir le terrain de systèmes de suivi du Soleil, vous devez laisser de l’espace entre eux, et une bonne partie de la lumière solaire passe entre les trous, et se perd. La raison pour laquelle on utilise malgré tout des systèmes à concentration, c’est qu’aujourd’hui, les panneaux photovoltaïques plats coûtent très cher, et que les systèmes de concentration le sont moins. Le but des gens qui utilisent la concentration de la lumière solaire n’est pas de réaliser des installations avec une grande puissance par unité de surface. La surface de terrain est bon marché (supposent-ils). Leur objectif est de produire beaucoup de puissance pour chaque dollar investi.

Mais si les panneaux plats ont une densité de puissance plus élevée, pourquoi n’envisagez-vous pas d’en couvrir le désert du Sahara ?

Parce que je suis en train de parler des possibilités pratiques pour une production de puissance durable à grande échelle pour l’Europe et l’Afrique du nord d’ici 2050. Et je pense qu’en 2050, les miroirs seront toujours moins chers que les panneaux photovoltaïques. C’est pour cela que le solaire à concentration est, des deux, la technologie sur laquelle nous devrions nous concentrer.

Et des cheminées solaires ?

Figure 25.10. Le prototype de cheminée solaire de Manzanares. Photos de solarmillennium.de.

Une cheminée solaire, appelée également cheminée provençale ou cheminée thermique, utilise la puissance solaire d’une manière très simple. Une immense cheminée est construite au centre d’une zone couverte d’un toit transparent en verre ou en plastique. Parce que l’air chaud monte, l’air chaud créé par ce collecteur de chaleur qui fonctionne comme une serre, est attiré puis remonte par la cheminée par convection, attirant de l’air plus frais vers le périmètre du collecteur de chaleur. La puissance est extraite du courant d’air par des turbines situées à la base de la cheminée. Les cheminées solaires sont assez simples à construire, mais elles ne fournissent pas une puissance très importante par unité de surface. Une centrale pilote à Manzanares en Espagne a fonctionné pendant sept ans, entre 1982 et 1989. La cheminée avait une hauteur de 195 mètres et un diamètre de 10 mètres ; le collecteur avait un diamètre de 240 mètres, et son toit était composé de 6 000 m2 de verre et 40 000 m2 de plastique transparent. Elle produisait 44 MWh par an, ce qui correspond à une puissance par unité de surface de 0,1 W/m2. En théorie, plus le collecteur est grand et plus la cheminée est haute, plus la densité de puissance produite est importante. Suite à l’expérience du projet Manzanares, les ingénieurs ont estimé que, sur un site avec un rayonnement solaire de 2 300 kWh/m2 par an (262 W/m2), une tour de 1 000 mètres de haut entourée d’un collecteur de 7 kilomètres de diamètre pourrait générer 680 GWh par an, soit une puissance moyenne de 78 MW. Cela fait une puissance par unité de surface d’environ 1,6 W/m2, semblable à la puissance par unité de surface des fermes éoliennes en Grande-Bretagne, et à un dixième de la puissance par unité de surface que, nous l’avons vu précédemment, fourniraient des centrales solaires à concentration. Certains prétendent que les cheminées solaires pourraient produire de l’électricité à un prix semblable à celui des centrales thermiques conventionnelles. Je suggère que les pays qui ont suffisamment d’espace et de soleil à revendre accueillent un grand concours du meilleur cuistot, financé par les pays producteurs et consommateurs de pétrole, et qui verrait s’affronter cheminées solaires et centrales solaires à concentration.5

Et si l’on récupérait l’énergie de l’Islande, où géothermie et hydroélectricité sont si abondantes ?

Figure 25.11. Plus de puissance géothermique en Islande. Photo de Rosie Ward.

En effet, l’Islande exporte déjà de l’énergie, en alimentant des industries qui fabriquent des biens intensifs en énergie. Par exemple, l’Islande produit près d’une tonne d’aluminium par habitant et par an ! Du point de vue de ce pays, il y a donc de grands profits à réaliser. Mais l’Islande peut-elle vraiment sauver l’Europe ? Franchement, je serais surpris si la production de puissance islandaise pouvait atteindre un niveau suffisant pour pouvoir exporter de confortables quantités d’électricité, ne serait-ce qu’à destination de la Grande-Bretagne. Comme point de référence, prenons l’Interconnexion électrique entre la France et l’Angleterre, qui peut fournir jusqu’à 2 GW à travers la Manche. Cette puissance maximum est équivalente à 0,8 kWh par jour et par personne au Royaume-Uni, soit environ 5 % de la consommation d’électricité moyenne britannique. La production moyenne d’électricité d’origine géothermique en Islande n’est que de 0,3 GW, c’est-à-dire moins de 1 % de la consommation moyenne d’électricité de la Grande-Bretagne. La production moyenne d’électricité islandaise est de 1,1 GW.6 Donc, pour créer une liaison et transmettre une puissance égale à celle de l’interconnexion avec la France, il faudrait que l’Islande multiplie par trois sa production d’électricité. Pour pouvoir nous fournir 4 kWh par jour et par personne (à peu près ce que la Grande-Bretagne obtient de ses propres centrales nucléaires), il faudrait que l’Islande multiplie par dix sa production d’électricité. Construire une interconnexion électrique entre la Grande-Bretagne et l’Islande est probablement une bonne idée, mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle nous fournisse autre chose qu’une petite contribution.

Figure 25.12. Deux techniciens en train d’assembler une centrale solaire à concentration eSolar utilisant des héliostats (des miroirs qui tournent et s’orientent pour suivre la course du Soleil). esolar.com fabrique des centrales à taille intermédiaire : une unité de génération de 33 MW (crête) sur un site de 64 hectares. Cela représente 51 W/m2 en crête. J’en déduis donc que dans un site désertique typique, cette unité fournirait environ un quart de cette valeur :13 W/m2.

Notes et bibliographie

1 Dans le désert, le solaire à concentration fournit une puissance moyenne par unité de surface de terres d’environ 15 W/m2.Mes sources pour ce chiffre sont deux entreprises qui fabriquent des centrales solaires à concentration dans les déserts.
www.stirlingenergy.com affirme qu’un de ses panneaux paraboliques, équipé d’un moteur Stirling de 25 kW au foyer, peut générer 60 000 kWh par an sur un site désertique favorable. Les panneaux pourraient être accumulés à raison d’une parabole pour 500 m2. Cela correspond à une puissance moyenne de 14 W/m2. Ils affirment également qu’en termes d’énergie fournie, ces paraboles solaires équipées de moteurs Stirling exploitent au mieux la surface de terres.
www.ausra.com utilise des miroirs plats pour chauffer de l’eau à 285°C et faire tourner une turbine à vapeur. L’eau chaude sous pression peut être stockée en profondeur dans de profondes cavernes métalliques permettant de restituer de la puissance électrique durant la nuit. Dans leur description d’une centrale de « 240 MW(e) » proposée pour l’Australie (Mills et Lièvre, 2004), les concepteurs affirment que 3,5 km2 de miroirs pourraient fournir 1,2 TWh(e), ce qui fait 38 W/m2 de miroirs. Pour trouver la puissance par unité de surface, nous avons besoin de prendre en compte l’espace libre entre les miroirs. Ausra indique qu’il faut un carré de 153 km par 153 km dans le désert pour alimenter tous les besoins électriques des États-Unis (Mills et Morgan, 2008). Puisque la consommation totale d’électricité des États- Unis est de 3 600 TWh par an, ils affirment atteindre une puissance par unité de surface de 18 W/m2. Cette technologie porte le nom de réflecteurs à miroirs de Fresnel linéaires, ou CLFR (« Compact Linear Fresnel Reflectors ») (Mills et Morrison (2000) ; Mills et al. (2004) ; Mills et Morgan (2008)). Soit dit en passant, plutôt que « solaire à concentration », la société Ausra préfère utiliser l’expression « électricité solaire thermique » (« solar thermal electricity » ou STE) ; ils insistent sur les avantages du stockage thermique par rapport au photovoltaïque à concentration, qui ne s’accompagne pas d’une possibilité naturelle de stockage.
Trieb et Knies (2004), fervent partisan du solaire à concentration, estime que les technologies alternatives de solaire à concentration pourraient produire de la puissance par unité de surface dans les fourchettes suivantes : miroirs paraboliques, 14–19 W/m2 ; collecteurs de Fresnel linéaires 19–28 W/m2 ; tours équipées d’héliostats, 9–14 W/m2 ; paraboles de Stirling, 9–14 W/m2. Il existe en Europe trois démonstrateurs solaires à concentration. Andasol — qui utilise des collecteurs paraboliques ; Solúcar PS10, une tour près de Séville ; et Solar Tres, une tour qui utilise des sels fondus pour stocker la chaleur. Le système à miroirs paraboliques d’Andasol montré par la figure 25.4 est annoncé comme fournissant 10 W/m2. La tour solaire Solúcar de « 11 MW » est équipée de 624 miroirs de 121 m2 chacun. Les miroirs concentrent la lumière du Soleil en un rayonnement d’une densité pouvant atteindre 650 kW/m2. Le récepteur reçoit une puissance crête de 55 MW. La centrale peut stocker 20 MWh d’énergie thermique, ce qui lui permet de continuer à produire pendant une période de nébulosité de 50 minutes. Il était prévu qu’elle produise 24,2 GWh d’électricité par an, et elle occupe 55 hectares. Cela correspond à une puissance moyenne par unité de surface de 5 W/m2. (Source : Rapport annuel Abengo 2003.) Solar Tres occupera 142 hectares et il est prévu qu’elle produise 96,4 GWh par an, ce qui fait une densité de puissance de 8 W/m2. Les centrales Andasol et Solar Tres utiliseront, toutes les deux, un peu de gaz naturel dans le cadre de leur fonctionnement normal.

Figure 25.13. Un système électrique haute tension en courant continu (HTCC) en Chine. Photo : ABB.

2 La technologie des lignes HTCC est déjà utilisée pour transmettre l’électricité sur des distances de plus de 1 000 km en Afrique du Sud, en Chine, en Amérique, au Canada, au Brésil ou au Congo. Sources : Asplund (2004), Bahrman et Johnson (2007). Pour en savoir plus sur la HTCC : Carlsson (2002).

3 Les pertes de puissance sur une ligne HTCC de 3 500 km, en prenant en compte la conversion du courant alternatif en courant continu et inversement, sont d’environ 15 %. Sources : Trieb et Knies (2004); van Voorthuysen (2008).

4 Selon Amonix, cette forme de solaire à concentration pourrait avoir une puissance par unité de surface au sol de 18 W/m2. Les hypothèses de www.amonix.com sont les suivantes : la lentille transmet 85 % de la lumière, le rendement des cellules est de 32 %, celui du collecteur est de 25 %, et les autres pertes dues aux zones d’ombre de 10 %. Le ratio ouverture sur surface de sols est de ⅓. Irradiance normale directe : 2 222 kWh/m2/an. Ils s’attendent à que chaque kW de sa capacité en crête fournisse 2 000 kWh par an (soit une moyenne de 0,23 kW). Une centrale de 1 GW de capacité en crête occuperait 12 km2 de terrain et fournirait 2 000 GWh par an, soit une densité de puissance de 18 W/m2.

5 Cheminées solaires. Sources : Schlaich et Schiel (2001); Schlaich et al. (2005); Dennis (2006), www.enviromission.com.au, www.solarairpower.com.

6 La production moyenne d’électricité d’origine géothermique en Islande n’est que de 0,3 GW. La production moyenne d’électricité islandaise est de 1,1 GW. Il s’agit des statistiques pour 2006 : 7,3 TWh d’énergie hydroélectrique et 2,6 TWh d’électricité géothermique, avec des capacités de 1,16 GW et 0,42 GW, respectivement. Source : Orkustofnun National Energy Authority [www.os.is/page/energystatistics].

Pour en savoir plus : European Commission (2007), German Aerospace Center (DLR) Institute of Technical Thermodynamics Section Systems Analysis and Technology Assessment (2006), www.solarmillennium.de.