Chaque arme qu’on fabrique, chaque navire de guerre qu’on envoie, chaque roquette qu’on lance signifie, au fond, un vol envers tous ceux qui ont faim et n’ont pas assez à manger, tous ceux qui ont froid et n’ont pas de quoi s’habiller.
Ce monde en armes ne dépense pas son argent tout seul. Il dépense la sueur de ses travailleurs, le génie de ses savants, l’espoir de ses enfants.
Président Dwight D. Eisenhower – avril 1953
Essayons d’estimer la quantité d’énergie que nous dépensons pour notre armée.1
En 2007–2008, la fraction des dépenses du gouvernement central britannique qui sont allées à la défense a été de 33 milliards de livres divisés par 587 milliards de livres (40 G€ / 700 G€), soit 6 %. Si l’on prend en compte les dépenses du Royaume-Uni pour la lutte antiterroriste et le contre-espionnage (2,5 milliards de livres sterling, soit 3 milliards d’euros par an, en augmentation), le total des dépenses pour les activités de défense au sens large a atteint 36 milliards de livres sterling (44 milliards d’euros).
Comme estimation grossière, on peut imaginer que 6 % de ces 44 milliards d’euros correspondent à des dépenses énergétiques, à un coût de 3,3 centimes d’euro par kWh. (6 %, c’est la fraction du PIB dépensée pour l’énergie, et 3,3 centimes d’euro est le prix moyen de l’énergie.) Cela nous amène à environ 80 TWh d’énergie par an qui part à la défense : fabrication de balles, de bombes, d’armes nucléaires ; fabrication des dispositifs qui vont envoyer des balles, des bombes, des armes nucléaires ; beuglements à qui mieux mieux tout en se tenant prêt pour la prochaine partie de guerre-du- bien-contre-le-mal. Dans nos unités favorites, cela correspond à 4 kWh par jour et par personne.
Les dépenses financières des États-Unis pour la fabrication et le déploiement d’armes nucléaires entre 1945 et 1996 ont été de 5 500 milliards de dollars (en dollars de 1996).2
Les dépenses pour les armes nucléaires sur cette période ont été plus élevées que les dépenses fédérales cumulées pour l’éducation ; l’agriculture ; la formation, l’emploi et les services sociaux ; les ressources naturelles et l’environnement ; la science, l’espace et la technologie ; le développement régional et communautaire (y compris les opérations de secours) ; la police ; la production et la réglementation énergétique.
Si, encore une fois, on suppose que 6 % de ces dépenses sont allés à l’énergie avec un coût de 0,05 dollar par kWh, on trouve que le coût énergétique pour disposer d’armes nucléaires a été de 26 000 kWh par Américain, soit 1,4 kWh par jour et par Américain(partagés entre 250 millions d’Américains sur 51 ans).
Quelle quantité d’énergie aurait été fournie aux heureux destinataires, si toutes ces armes nucléaires avaient été utilisées ? On mesure les énergies des plus grosses armes thermonucléaires développées par les États-Unis et l’Union soviétique en mégatonnes de TNT. Une tonne de TNT correspond à 1 200 kWh. La bombe qui a détruit Hiroshima avait une énergie de 15 000 tonnes de TNT (18 millions de kWh). Une bombe d’une mégatonne délivre une énergie de 1,2 milliards de kWh. Si on la larguait sur une ville d’un million d’habitants, une bombe d’une mégatonne serait un don d’énergie moyen de 1 200 kWh par personne, équivalant à 120 litres d’essence par personne. L’énergie totale de l’arsenal nucléaire américain est aujourd’hui de 2 400 mégatonnes, contenues dans 10 000 têtes nucléaires. Dans le bon vieux temps, lorsque les gens prenaient encore la défense vraiment au sérieux, l’énergie de l’arsenal était de 20 000 mégatonnes. Ces bombes, si on les avait utilisées, auraient fourni une énergie d’environ 100 000 kWh par Américain. C’est l’équivalent de 7 kWh par jour et par personne pendant une durée de 40 ans — une quantité semblable à toute l’énergie électrique que le nucléaire fournit aux États-Unis.
>Les principaux matériaux nucléaires sont le plutonium, que les États-Unis ont produit à hauteur de 104 tonnes, et de l’uranium de qualité militaire (UQM), dont les États-Unis ont produit 994 tonnes. Fabriquer ces matériaux requiert de l’énergie.
Les installations de production de plutonium les plus efficaces consomment 24 000 kWh de chaleur pour produire 1 gramme de plutonium. Donc le coût énergétique direct de la fabrication des 104 tonnes de plutonium par les États-Unis entre 1945 et 1996 a été d’au moins 2 500 milliards de kWh,3 ce qui fait 0,5 kWh par jour et par personne (si on les partage entre les 250 millions d’Américains).
Le principal coût énergétique de la fabrication de l’UQM est le coût d’enrichissement de l’uranium : séparer les atomes de 235U et de 238U contenus dans l’uranium naturel, pour créer un produit final qui est plus riche en 235U, ne se fait pas juste en deux coups de cuiller à pot. La production américaine des 994 tonnes d’UQM (le total des États-Unis entre 1945 et 1996) a eu un coût énergétique d’environ 0,1 kWh par jour et par personne.4
« [Le système d’arme nucléaire] Trident crée des emplois. »
Eh bien, c’est aussi ce qu’on fait quand on remplit nos écoles d’amiante, mais ça ne veut pas dire que c’est ce qu’il faudrait faire !Marcus Brigstocke
Selon le supplément Enseignement supérieur du Times (30 mars 2007), les universités britanniques consomment 5,2 milliards de kWh par an. Partagés entre toute la population britannique, cela fait une puissance de 0,24 kWh par jour et par personne.
Il semble par conséquent que l’enseignement supérieur et la recherche aient un coût énergétique beaucoup plus faible que les petits jeux de guerre défensive.
Il existe sans doute d’autres services publics consommateurs d’énergie dont nous pourrions parler, mais j’aimerais à présent siffler la fin de la course entre nos deux piles rouges et vertes.
↑ 1
Budget énergétique chez les militaires.
Le budget du Royaume-Uni peut être
trouvé sur [yttg7p] ; la Défense reçoit chaque année 33,4 milliards de livres
sterling [fcqfw] et la lutte contre le terrorisme et le contre-espionnage 2,5 milliards
de livres sterling [2e4fcs]. Selon la page 14 du programme de dépenses
du gouvernement britannique sur 2007–2008 (Government’s Expenditure
Plans 2007/08) [33x5kc], le « budget total des ressources » du ministère
de la Défense représente une somme plus importante, 39 milliards de
livres sterling, dont 33,5 milliards partent sous la forme d’une « provision
pour capacités de défense » et 6 milliards pour le paiement des soldes et
pensions des forces armées et les pensions de guerre. Une analyse de ce
budget peut être trouvée ici : [35ab2c].
Voir aussi [yg5fsj], [yfgjna], et
www.conscienceonline.org.uk.
L’armée américaine publie également sa consommation d’énergie : « Le ministère
de la Défense est le plus grand consommateur individuel d’énergie
aux États-Unis. En 2006, il a dépensé 13,6 milliards de dollars pour acheter
110 millions de barils de carburant pétrolier [environ 190 milliards de
kWh] et 3,8 milliards de kWh d’électricité » (Department of Defense, 2008).
Ce chiffre décrit la consommation directe de carburants et d’électricité, et
ne prend pas en compte l’énergie grise des joujoux des militaires. Si on les
partage entre les 300 millions d’Américains, cela revient à
1,7 kWh/j par personne.
↑ 2 Les dépenses des États-Unis pour la fabrication et le déploiement des armes nucléaires entre 1945 et 1996 ont été de 5 500 milliards de dollars (en dollars de 1996).. Source : Schwartz (1998).
↑ 3 Le coût énergétique de la production de plutonium. [slbae].
↑ 4
La production américaine de 994 tonnes d’UQM…
Les matériaux enrichis contenant
entre 4 et 5 % de 235U sont appelés uranium faiblement enrichi (UFE, ou
LEU en anglais, pour low-enriched uranium). L’uranium enrichi à 20 % ou plus
est appelé uranium hautement enrichi (UHE, ou HEU en anglais, pour high-enriched
uranium). Et lorsque son taux d’enrichissement atteint ou dépasse
90 %, il est appelé uranium de qualité militaire (UQM, ou WGU en anglais,
pour weapon-grade uranium). Il faut trois fois plus de travail pour enrichir
l’uranium de son état naturel jusqu’à l’état d’UFE à 5 % de 235U, que pour
enrichir de l’UFE pour obtenir de l’UQM à 90 %. L’industrie nucléaire mesure
ces besoins énergétiques avec une unité appelée unité de travail de séparation
(UTS, ou SWU en anglais pour separative work unit). L’obtention d’un
kilogramme de 235U sous la forme d’UQM requiert environ 232 UTS. L’obtention
d’un kilogramme de 235U sous la forme d’UFE (donc dans 22,7 kg
d’UFE) requiert environ 151 UTS. Dans les deux cas, on part d’uranium naturel
(contenant 0,71 % de 235U) et on se débarrasse de l’uranium appauvri
qui contient 0,25 % de 235U.
Le marché du combustible nucléaire commercial valorise une UTS à environ
100 dollars US. Il faut environ 100 000 UTS d’uranium enrichi pour alimenter
un réacteur nucléaire commercial typique de 1 000 MW pendant un an.
Deux méthodes d’enrichissement de l’uranium sont actuellement utilisées
sur le plan commercial : la diffusion gazeuse et la centrifugation. Le processus
de diffusion gazeuse consomme environ 2 500 kWh par UTS, alors
que les usines de centrifugation modernes n’exigent qu’environ 50 kWh par
UTS. [yh45h8], [t2948],
[2ywzee]. Une centrifugeuse moderne produit environ
3 UTS par an.
La production des États-Unis de 994 tonnes d’uranium de qualité militaire
(total pour les États-Unis entre 1945 et 1996) a nécessité 230 millions d’UTS,
ce qui représente 0,1 kWh/j par personne (en supposant qu’il y ait 250 millions
d’Américains, et en prenant 2 500 kWh par UTS comme coût de l’enrichissement
par diffusion gazeuse).