26 – Fluctuations et stockage

Le vent, en tant que puissance directement motrice, est entièrement inapplicable à un système de travail mécanisé, car durant une saison calme, toute l’activité du pays se retrouverait au point mort. Avant l’ère des machines à vapeur, on a essayé d’utiliser les moulins à vent pour assécher les mines ; mais si ces machines étaient puissantes, elles fonctionnaient de manière très irrégulière, de sorte que durant une longue période de temps calme, les mines étaient noyées, et tous les travailleurs se retrouvaient sans travail.

William Stanley Jevons, 1865
Figure 26.1. Demande d’électricité en Grande-Bretagne (en kWh/j par personne) durant trois semaines d’hiver et trois semaines d’été en 2006. Les pics en janvier ont lieu à 18 heures chaque jour. Les cinq jours ouvrés de la semaine sont bien mis en évidence, aussi bien en été qu’en hiver. (Si vous voulez obtenir la demande nationale en GW, rappelez-vous que le haut de l’échelle, 24 kWh/j par personne, correspond à 60 GW par Royaume-Uni.)

Si l’on décide de se débarrasser des combustibles fossiles et de se jeter à corps perdu dans les renouvelables, ou bien dans le nucléaire, ou bien dans quelque combinaison des deux que ce soit, on risque d’avoir un problème. Si allumer et arrêter la production d’électricité, c’est facile à faire avec des combustibles fossiles, ça n’est pas possible avec la plupart des gros renouvelables. Lorsque le vent souffle, et que le soleil brille, la puissance est là pour qui veut la prendre ; mais deux heures plus tard, elle peut ne plus être là du tout. Les centrales nucléaires ne sont généralement pas conçues pour être allumées et éteintes à la demande non plus. Elles sont généralement en route tout le temps, et la puissance qu’elles délivrent ne peut généralement être baissée ou remontée qu’en plusieurs heures. C’est un problème parce que, sur un réseau électrique, la consommation et la production doivent être parfaitement égales en permanence. Le réseau électrique ne peut pas stocker l’énergie. Pour disposer d’un plan énergétique dont le compte soit bon à chaque minute de la journée ou de la nuit, tous les jours de l’année, il nous faut donc quelque chose que l’on puisse facilement allumer et éteindre à la demande. On suppose le plus souvent que ce que l’on peut facilement allumer et éteindre, c’est une source de puissance, que l’on éteint et allume pour compenser les fluctuations de fourniture d’énergie qui sont relatives à la demande (par exemple, une centrale électrique qui brûle des combustibles fossiles !). Mais une autre manière tout aussi efficace de faire correspondre demande et fourniture d’énergie est d’avoir une demande de puissance qui soit facilement allumable et éteignable — en quelque sorte, un aspirateur à puissance que l’on pourrait arrêter et relancer d’un claquement de doigts.

Figure 26.2. Production totale, en MW, de toutes les fermes éoliennes de république d’Irlande, entre avril 2006 et avril 2007 (en haut), et, de manière plus détaillée, entre janvier et avril 2007 (milieu) et en février 2007 (bas). La demande d’électricité maximum en Irlande est d’environ 5 000 MW. Sa « capacité » éolienne en 2007 était de 745 MW, répartie sur environ 60 fermes éoliennes. Les données sont fournies toutes les 15 minutes par www.eirgrid.com.1

L’un ou l’autre, ce quelque chose facile à allumer et à éteindre doit être gros, parce que la demande d’électricité varie beaucoup (figure 26.1). La demande peut parfois changer de manière significative en l’espace d’à peine quelques minutes. L’objet de ce chapitre, c’est de voir comment on peut gérer les fluctuations de fourniture et de demande sans utiliser de combustibles fossiles.

Jusqu’à quel point les renouvelables sont-ils intermittents ?

On a beau être fou d’amour pour les renouvelables, il ne faut pas se mentir : le vent fluctue, c’est une réalité.

Du côté des critiques de l’énergie éolienne, on entend dire : « La puissance du vent est intermittente et imprévisible. Elle ne peut donc pas apporter une quelconque contribution à la sécurité d’approvisionnement en énergie. Si l’on installe des tas d’éoliennes, il faudra ainsi maintenir des tas de centrales qui brûlent des combustibles fossiles, pour remplacer le vent quand il tombe. » Des gros titres du genre « la disparition du vent impose un plan d’urgence sur le réseau électrique du Texas » 2 ne font que renforcer ce genre de point de vue. Les tenants de l’éolien minimisent ce problème : « Ne vous inquiétez pas — les fermes éoliennes prises individuellement sont peut-être intermittentes, mais elles ne sont pas toutes situées au même endroit, donc prises toutes ensemble, elles sont beaucoup moins intermittentes. »3

Jetons un coup d'œil aux vraies données, et essayons d’en déduire un point de vue équilibré. La figure 26.2 montre la production cumulée du parc éolien en république d’Irlande, entre avril 2006 et avril 2007. Clairement, le vent est vraiment intermittent,4 même si l’on couvre d’éoliennes le pays tout entier. Le Royaume-Uni est un peu plus grand que l’Irlande, mais on y retrouve le même problème. Entre octobre 2006 et février 2007, il y a eu 17 jours où la production cumulée des 1 632 fermes éoliennes de Grande-Bretagne était de moins de 10 % de leur capacité théorique. Sur cette période, il y a eu cinq jours où la production était de moins de 5 % de la capacité, et un jour où elle n’était que de 2 %.

Essayons de quantifier les fluctuations de l’éolien à l’échelle du pays. Les deux problèmes sont les variations rapides et les longues périodes de calme. Cherchons la variation la plus rapide en un mois dans les données de vent irlandaises. Le 11 février 2007, la puissance éolienne d’Irlande s’est effondrée, passant de 415 MW à minuit à 79 MW à 4 heures du matin. Ce qui fait un taux de variation de 84 MW par heure pour le parc d’un pays entier, d’une capacité de 745 MW. Par taux de variation, j’entends le rythme auquel la puissance fournie baisse ou augmente — c’est la pente de la courbe dans le graphique du 11 février.) OK : si l’on dimensionne la puissance de l’éolien en Grande-Bretagne à une capacité de 33 GW (de sorte qu’il puisse fournir 10 GW en moyenne), on peut s’attendre, occasionnellement, à des taux de variations de :

84 MW/h ×  33 000 MW  = 3700 MW/h,
745 MW

en supposant que la Grande-Bretagne soit comme l’Irlande. Il nous faut donc être capable, soit de fournir de quoi remplacer le vent à un rythme de 3,7 GW par heure — c’est l’équivalent de 4 centrales nucléaires qui passent de l’état « complètement éteint » à l’état « à pleine puissance » chaque heure — soit de couper brutalement une partie de notre demande, toujours à un rythme de 3,7 GW par heure.

Voilà des exigences qui ne manquent pas de souffle ! Est-ce que l’on peut les satisfaire ? Pour répondre à cette question, il nous faut parler un peu plus de « gigawatts ». Les gigawatts sont des unités de puissance énormes, qui sont à l’échelle d’un pays. Ils sont à un pays ce que le kilowatt- heure par jour est à une personne : une unité facile et bien pratique. La consommation moyenne d’électricité au Royaume-Uni est d’environ 40 GW. On peut faire un lien entre ce chiffre national et la consommation personnelle : 1 kWh par jour et par personne est équivalent à 2,5 GW au niveau national. Donc si chaque personne consomme 16 kWh par jour d’électricité, alors la consommation nationale est de 40 GW.

Figure 26.3. Demande d’électricité en Grande-Bretagne durant deux semaines d’hiver en 2006. Les échelles de gauche et de droite montrent la demande, exprimée respectivement dans les unités nationales (GW) et dans les nôtres (kWh/j par personne). Ce sont les mêmes données que dans la figure 26.1.

Un taux de variation de 4 GW par heure est-il totalement au-delà de toute expérience humaine ? Non. Chaque matin, comme le montre la figure 26.3, la demande britannique grimpe d’environ 13 GW entre 6 heures et demi et 8 heures et demi. Cela fait un taux de variation de 6,5 GW par heure. Donc nos ingénieurs électriciens font déjà face, tous les jours, à des taux de variation plus grands que 4 GW par heure sur le réseau électrique national. Y ajouter 4 GW par heure supplémentaires, provoqués par des variations de vent soudaines, n’est pas donc une bonne raison pour jeter à la poubelle l’idée de fermes éoliennes à l’échelle du pays entier. C’est un problème du même genre que ceux que les ingénieurs ont déjà résolus. Il nous faut simplement trouver comment faire correspondre une fourniture et une demande qui changent sans arrêt sur un réseau sans combustibles fossiles. Je ne dis pas que le problème des fluctuations du vent est déjà résolu — juste que c’est un problème du même ordre que ceux qui ont déjà été résolus.

Mais avant de commencer à chercher des solutions, il nous faut quantifier les autres problèmes qui touchent au vent : les longues périodes de calme. Au début du mois de février 2007, l’Irlande a connu une de ces périodes calmes, qui a duré cinq jours. Ce n’était pas un événement exceptionnel, comme vous pouvez le voir sur la figure 26.2. Des périodes de deux ou trois jours de calme arrivent plusieurs fois par an.

Il y a deux manières de faire face aux périodes de calme. Soit on stocke de l’énergie quelque part avant le calme, soit il faut que l’on trouve un moyen de réduire la demande pendant toute la période de calme. (Soit un mélange des deux.) Si l’on a 33 GW d’éoliennes qui fournissent une puissance moyenne de 10 GW, alors la quantité d’énergie, soit qu’il nous faut pouvoir stocker par avance, soit dont il faut être capable de se passer, est, durant une période de calme de cinq jours, de :

10 GW × (5 × 24 h) = 1 200 GWh.

(Le gigawatt-heure (GWh) est l’unité d’énergie favorite pour les pays entiers. La consommation d’électricité de la Grande-Bretagne est d’environ 1 000 GWh par jour.)

Pour ramener cette quantité à l’échelle individuelle, une provision d’énergie de 1 200 GWh pour le pays entier est équivalente à une provision d’énergie de 20 kWh par personne. Une telle réserve d’énergie permettrait au pays de se passer de 10 GW d’électricité pendant 5 jours ; ou, de la même manière, à chaque personne du pays de se passer de 4 kWh par jour d’électricité pendant 5 jours.

Faire face aux périodes de calme et aux variations courtes

Il nous faut résoudre deux problèmes — les périodes de calme (les longues périodes avec une production renouvelable petite) et les variations courtes (les changements rapides de fourniture et de demande).Nous avons quantifié ces problèmes, en supposant que la Grande-Bretagne avait en gros 33 GW d’éolien. Pour gérer les périodes de calme, il nous faut être capable de stocker à peu près 1 200 GWh d’énergie (20 kWh par personne) de manière efficace. Et le taux de variation auquel nous devons être capable de faire face est de 6,5 GW par heure (ou 0,1 kWh par heure et par personne).

Il y a deux solutions, qui pourraient toutes les deux résoudre ces deux problèmes à la bonne échelle. La première est une solution centralisée, et la seconde est décentralisée. La première solution stocke de l’énergie, puis fait face aux fluctuations en allumant et en arrêtant une source alimentée par la réserve d’énergie constituée. La seconde solution repose sur la possibilité d’allumer et d’arrêter une partie de la demande.

La première solution, c’est le stockage par pompage. La seconde utilise les batteries des véhicules électriques dont nous avons parlé dans le chapitre 20. Mais avant de décrire ces solutions, parlons d’abord de quelques autres idées pour faire face aux variations courtes.

Autres manières de faire face aux variations, du côté de la fourniture

Il y a certains renouvelables que l’on peut allumer et éteindre à la demande. Si l’on pouvait disposer de beaucoup de renouvelables faciles à allumer et à éteindre, tous les problèmes de ce chapitre seraient résolus. Des pays comme la Norvège ou la Suède ont de grandes et profondes installations hydroélectriques, qu’ils peuvent facilement démarrer et arrêter. Quelles pourraient être les possibilités pour la Grande-Bretagne ?

Tout d’abord, la Grande-Bretagne pourrait installer de nombreux incinérateurs de déchets et de biomasse — des centrales qui jouent le même rôle que celui aujourd’hui joué par les centrales à combustibles fossiles. Si ces centrales étaient conçues pour être faciles à démarrer et à arrêter, cela aurait des conséquences sur leur coût, tout comme le fait d’avoir des centrales à combustibles fossiles qui ne fonctionnent qu’une partie du temps a un coût : leurs générateurs se retrouveraient parfois inactifs et parfois à devoir fonctionner deux fois plus ; et la plupart des générateurs ne sont pas aussi efficaces si vous passez votre temps à augmenter et baisser leur puissance plutôt qu’à les laisser fonctionner à un régime constant. OK, si on laisse les coûts de côté, la question cruciale est celle-ci : quelle taille pourrait atteindre une ressource facile à allumer et à éteindre ? Si tous les déchets municipaux étaient incinérés, et qu’une quantité égale de déchets agricoles l’étaient aussi, alors la puissance moyenne obtenue à partir de ces sources serait d’environ 3 GW. Si l’on construisait une capacité double de cette puissance, permettant aux incinérateurs de fournir jusqu’à 6 GW, et donc en supposant que l’on prévoie qu’ils ne fonctionnent que la moitié du temps, ils seraient capables de fournir 6 GW durant les périodes de forte demande, puis zéro pendant les heures creuses. Ces centrales seraient conçues pour être démarrées ou éteintes en moins d’une heure, ce qui permettrait de gérer des taux de variations de 6 GW par heure — mais seulement pour une variation, à la hausse ou à la baisse, de 6 GW au maximum ! Voilà qui constitue une contribution intéressante, mais la variation maximum qu’elle offre n’est pas suffisante si l’on veut pouvoir faire face à des fluctuations de vent de 33 GW.

Et l’hydroélectricité ? Les centrales hydroélectriques de Grande-Bretagne ont un facteur de charge moyen de 20 %; elles ont sûrement la capacité d’être démarrées et arrêtées à la demande. En fait, non seulement l’hydroélectrique le permet, mais en pratique, il le permet sur des intervalles de temps très courts. Par exemple, Glendoe, une nouvelle centrale hydroélectrique avec une capacité de 100 MW, pourra être lancée à pleine puissance à partir de zéro en seulement 30 secondes. Cela fait un taux de variation de 12 GW par heure pour une seule centrale ! Un parc hydroélectrique suffisamment grand pourrait donc faire face aux variations introduites par d’énormes fermes éoliennes. Cependant, la capacité du parc hydroélectrique britannique n’est pas assez grand aujourd’hui pour apporter une contribution significative à notre problème de variations courtes (en supposant que nous voulions pouvoir faire face à la perte rapide de, disons, 10 ou 33 GW de puissance éolienne). La capacité totale des centrales hydroélectriques traditionnelles en Grande-Bretagne est seulement d’environ 1,5 GW.

Stocker par pompage

Les systèmes de stockage par pompage utilisent de l’électricité pas chère pour pousser de l’eau d’un lac en aval jusqu’à un lac en amont ; puis pour régénérer de l’électricité lorsque celle-ci est précieuse, en utilisant les mêmes turbines que dans les centrales hydroélectriques classiques.

La Grande-Bretagne possède quatre installations de stockage par pompage, qui peuvent stocker jusqu’à 30 GWh à elles quatre (tableau 26.4, figure 26.6). On les utilise typiquement pour stocker l’électricité en excès durant la nuit, pour la restituer ensuite durant la journée, en particulier au moment des pics de demande — une activité économiquement très profitable, comme le montre la figure 26.5. La centrale de Dinorwig — une cathédrale stupéfiante, logée à l’intérieur d’une montagne dans la Snowdonia — joue aussi le rôle d’une assurance : elle a assez de punch pour pouvoir relancer le réseau électrique entier en cas de coupure majeure. Dinorwig peut être démarrée et passer de 0 à 1,3 GW de puissance en 12 secondes.

Tableau 26.4. Installations de stockage par pompage en Grande-Bretagne. La quantité maximum d’énergie que l’on peut stocker dans les systèmes actuels de stockage par pompage est d’environ 30 GWh.
centrale puissance
(GW)
hauteur de
chute (m)
volume
(millions de m3)
énergie stockée
(GWh)
Ffestiniog 0,36 320–295 1,7 1,3
Cruachan 0,40 365–334 11,3 10
Foyers 0,30 178–172 13,6 6,3
Dinorwig 1,80 542–494 6,7 9,1
Figure 26.5. Comment le stockage par pompage est rentabilisé. Prix de l’électricité, en livres sterling par MWh, durant trois jours de 2006 et 2007.

Figure 26.6. Llyn Stwlan, le réservoir amont de l’installation de stockage par pompage de Ffestiniog, au nord du Pays de Galles. Énergie stockée : 1,3 GWh. Photo de Adrian Pingstone.

Dinorwig est la Reine de ces quatre installations. Regardons rapidement ses caractéristiques vitales. L’énergie totale qu’elle peut stocker est d’environ 9 GWh. Son lac amont est environ 500 mètres au dessus de son lac aval, et son volume de fonctionnement, de 7 millions de m3, peut s’écouler avec un débit maximum de 390 m3/s, ce qui permet de maintenir une puissance fournie de 1,7 GW pendant 5 heures. Le rendement de ce système de stockage est de 75 %.5

Si les quatre centrales de stockage par pompage sont allumées en même temps, elles peuvent produire une puissance de 2,8 GW. On peut les démarrer très vite, ce qui permet de faire face à n’importe quelle variation courte, qu’il s’agisse de fluctuations de la demande ou du vent. Cependant, cette capacité de 2,8 GW ne suffit pas à remplacer 10 GW ou 33 GW d’éolien qui disparaîtraient brutalement. Et la quantité d’énergie stockée (30 GWh) est très loin d’approcher les 1 200 GWh que nous aurions besoin de pouvoir stocker pour pouvoir faire face à une période de calme un peu longue. Est-ce que l’on pourrait faire monter en puissance le stockage par pompage ? Peut-on imaginer de résoudre l’intégralité du problème des périodes de calme avec juste du stockage par pompage ?

Stocker 1 200 GWh, c’est possible ?

Ce que nous voulons, c’est fabriquer des systèmes de stockage d’énergie beaucoup plus gros, capables de stocker 1 200 GWh (à peu près 130 fois ce que Dinorwig peut stocker). Et on aimerait bien que sa capacité soit d’environ 20 GW — environ 10 fois celle de Dinorwig. Voici donc la solution de stockage par pompage : il nous faut imaginer créer en gros 12 nouveaux sites, chacun capable de stocker 100 GWh — à peu près dix fois la quantité d’énergie que peut stocker Dinorwig. Les machines de pompage et de génération de chaque site seraient les mêmes que celles de Dinorwig.

En supposant que les générateurs ont un rendement de 90 %, le tableau 26.7 montre différentes possibilités pour stocker 100 GWh, avec toute une série de hauteurs de chute. (La physique qui se cache derrière les chiffres de ce tableau est détaillée dans les notes de fin de ce chapitre.)

Tableau 26.7. Stockage par pompage. Quelques manières de stocker 100 GWh. A titre de comparaison (colonne 2), le volume de fonctionnement de Dinorwig est de 7 millions de m3, et le volume du Lake Windermere est de 300 millions de m3. A titre de seconde comparaison (colonne 3), le lac artificiel de Rutland Waters a une superficie de 12,6 km2, celui de Grafham Waters une superficie de 7,4 km2, et le réservoir de la vallée de Carron, en Écosse, une superficie de 3,9 km2. Le plus grand lac de Grande-Bretagne est le Loch Lomond, avec une superficie de 71 km2.6
Quelques manières de stocker 100 GWh
hauteur de chute
entre les 2 lacs
volume d’eau requis
(millions de m3)
exemple de taille de lac
superficie × profondeur
500 m 40   2 km2 × 40 m
500 m 40 4 km2 × 20 m
200 m 100 5 km2 × 40 m
200 m 100 10 km2 × 20 m
100 m 200 10 km2 × 40 m
100 m 200 20 km2 × 20 m

Est-il possible de trouver douze sites comme ceux-là ? Certes, on pourrait construire plusieurs sites comparables à Dinorwig juste dans Snowdonia. Le tableau 26.8 montre deux sites alternatifs près de Ffestiniog où l’on aurait pu construire deux installations comparables à Dinorwig. Ces sites étaient envisagés dans les années 1970 en concurrence avec Dinorwig, et c’est Dinorwig qui a été choisi.

Tableau 26.8. Sites alternatifs pour des installations de stockage par pompage dans Snowdonia. Sur ces deux sites, le lac aval devrait être un nouveau lac artificiel.7
site
proposé
puissance
(GW)
hauteur de
chute(m)
volume
(millions de m3)
énergie stockée
(GWh)
Bowydd 2,40 250 17,7 12,0
Croesor 1,35 310 8,0 6,7

Des installations de stockage par pompage capables de conserver une quantité d’énergie significativement plus importante que Dinorwig pourraient être construites en Écosse, en menant des travaux sur des installations hydroélectriques existantes. En parcourant une carte d’Écosse, on trouve un site candidat qui pourrait utiliser le Loch Sloy comme lac amont et le Loch Lomond comme lac aval. Ces deux lacs sont déjà reliés par une petite centrale hydroélectrique. La figure 26.9 montre ces lacs, ainsi que les lacs de Dinorwig à la même échelle. La différence d’altitude entre le Loch Sloy et le Loch Lomond est d’environ 270 mètres. La superficie du Loch Sloy est d’environ 1,5 km2, et il peut déjà stocker une quantité d’énergie de 20 GWh. Si le barrage du Loch Sloy était relevé de 40 mètres, la quantité d’énergie supplémentaire que l’on pourrait y stocker serait d’environ 40 GWh. Le niveau de l’eau du Loch Lomond changerait au maximum de 80 centimètres durant un cycle. C’est moins que la hauteur des variations annuelles naturelles du niveau d’eau du Loch Lomond (2 mètres).

Figure 26.9. Dinorwig, dans le parc national de Snowdonia, comparé au Loch Sloy et au Loch Lomond. Les cartes du haut montre des zones de 10 km par 10 km. Dans les cartes du bas, la grille bleue est constituée de carrés de 1 km de côté. Les images sont fournies par le service Get-a-map de l’Ordnance Survey britannique www.ordnancesurvey.co.uk/getamap. Images reproduites avec permission de l’Ordnance Survey. © Copyright de la couronne britannique 2006.

La figure 26.10 montre 13 sites en Écosse qui disposent d’un potentiel de stockage par pompage. (La plupart d’entre eux disposent déjà d’installations hydroélectriques.) Si dix d’entre eux avaient le même potentiel que celui que j’ai estimé pour le Loch Sloy, alors on pourrait stocker 400 GWh 8 — soit un tiers du total de 1 200 GWh qui était notre objectif.

On pourrait sillonner la carte de Grande-Bretagne pour trouver d’autres sites possibles. Les meilleurs sites seraient proches de grandes fermes éoliennes. Une idée intéressante serait de construire un nouveau lac artificiel dans une vallée suspendue surplombant la mer (avec un barrage qui serait construit en travers de l’entrée), et d’utiliser la mer comme réservoir aval.

Figure 26.10. Lochs en Écosse disposant d’un potentiel de stockage par pompage.

En réfléchissant un peu plus loin, on pourrait même imaginer partir d’un lac naturel ou artificiel et placer la moitié de l’installation dans une cavité souterraine. Certains ont déjà émis l’idée d’une cavité utilisant le pompage et placée un kilomètre sous Londres.

En construisant plus de systèmes de stockage par pompage, il semble que nous puissions faire passer notre réserve d’énergie maximum de 30 à 100 GWh, ou peut-être même 400 GWh. Mais atteindre les 1 200 GWh tant espérés paraît vraiment difficile. Heureusement, il existe une autre solution.

Figure 26.11. Centrale de pompage d’Okinawa, dont le réservoir aval est l’océan. Quantité d’énergie stockée : 0,2 GWh. Photo gracieusement fournie par J-Power. www.ieahydro.org.

Gestion de la demande en utilisant des véhicules électriques

Résumons-nous : il nous faut être capable de stocker ou de se passer d’environ 1 200 GWh, ce qui fait 20 kWh par personne ; il nous faut aussi être capable de faire face à des fluctuations de fourniture pouvant aller jusqu’à 33 GW — ce qui fait 0,5 kW par personne. Ces chiffres sont délicieusement ressemblants, dans leur échelle, aux besoins d’énergie et de puissance des voitures électriques. Les voitures électriques que nous avons vues au chapitre 20 disposaient de réserves d’énergie comprises entre 9 et 53 kWh. Une flotte nationale de 30 millions de voitures électriques stockerait donc une énergie de l’ordre de 20 kWh par personne ! Les chargeurs de batteries typiques ont une puissance de 2 ou 3 kW. Donc allumer simultanément 30 millions de chargeurs de batterie provoquerait un accroissement de la demande d’environ 60 GW ! La puissance moyenne nécessaire pour alimenter tout le transport du pays, s’il était électrique, est en gros de 40 à 50 GW. L’adoption des voitures électriques, proposée dans le chapitre 20, et la création d’à peu près 33 GW de capacité éolienne, qui fournirait 10 GW de puissance en moyenne, sont donc deux propositions qui s’accordent vraiment bien.

Cet accord pourrait être exploité de la manière suivante : sitôt garées, à la maison ou au travail, les voitures électriques pourraient être branchées à des chargeurs intelligents. Ces chargeurs intelligents connaîtraient à la fois la valeur de l’électricité (très demandée ou peu demandée), et les besoins de l’utilisateur de la voiture (par exemple, « ma voiture doit être à pleine charge à 7 heures du matin lundi matin »). Le chargeur satisferait sagement les exigences de l’utilisateur en pompant de l’électricité lorsque le vent souffle, et s’arrêterait lorsque le vent tombe, ou lorsque d’autres types de demande apparaîtraient. Ces chargeurs intelligents fourniraient alors un service utile d’équilibrage du réseau, un service qui pourrait être rétribué financièrement.

La solution serait particulièrement robuste si les batteries des voitures étaient échangeables. Imaginez-vous passer dans une station de recharge et insérer une série de batteries fraîchement chargées en échange de vos batteries vidées. La station de remplissage aurait la responsabilité de recharger les batteries ; elle pourrait le faire aux meilleurs moments, démarrant et éteignant ses chargeurs de sorte que la fourniture totale et la demande totale se retrouvent toujours équilibrées. L’utilisation de batteries échangeables est une solution particulièrement robuste parce qu’il y aurait des millions de batteries de rechange dans les réserves des stations de recharge. Ces batteries de rechange fourniraient un tampon supplémentaire pour nous aider à faire face aux périodes de calme. Certains vont dire : « Mais quelle horreur ! Comment vais-je pouvoir faire confiance à une station de recharge pour prendre soin de mes batteries pour moi ? Et s’ils me donnent une batterie complètement nulle ? » Eh bien, vous pourriez déjà demander aujourd’hui « et si l’essence que la station-service me donnait était mélangée à de l’eau ? » Personnellement, je préfère largement utiliser une voiture révisée par un professionnel plutôt que par un rigolo comme moi !

Résumons les possibilités qui s’offrent à nous. On peut équilibrer la demande qui fluctue et la fourniture qui fluctue en allumant et en éteignant des générateurs de puissance (des incinérateurs de déchets et des centrales hydroélectriques, par exemple) ; en stockant de l’énergie quelque part et en la régénérant lorsque cela est nécessaire ; ou en éteignant et en allumant une partie de la demande.

Parmi toutes ces possibilités, la plus prometteuse en termes d’échelle est celle qui consiste à allumer et à éteindre la demande de puissance des chargeurs de batteries des véhicules électriques. 30 millions de voitures, avec chacune 40 kWh de batteries associées (certaines pouvant être échangeables dans des stations de recharge), cela fait 1 200 GWh. Le compte est bon ! Et si la livraison de fret était elle aussi électrifiée, la capacité de stockage totale serait alors encore plus grande.

Il y a donc une belle et élégante correspondance entre éolien et véhicules électriques. Si l’on fait monter en puissance en même temps les véhicules électriques et l’éolien, avec 3 000 nouveaux véhicules électriques diffusés à chaque fois que 3 MW d’éolien sont installés, et si l’on s’assure que les systèmes de recharge pour les véhicules sont intelligents, cette synergie pourrait bien résoudre une bonne partie du problème des fluctuations de l’éolien. Si ma prédiction sur l’hydrogène se révèle fausse, et que les véhicules à hydrogène s’avèrent être les véhicules à basse énergie du futur, alors la bonne correspondance entre vent et véhicules électriques dont je viens de parler pourrait bien sûr être remplacée par une correspondance équivalente entre vent et véhicules à hydrogène. Les éoliennes feraient de l’électricité ; et dès que de l’électricité serait disponible à profusion, de l’hydrogène serait produit et stocké dans des réservoirs, pour un usage futur dans des véhicules ou d’autres applications comme la fabrication de verre.

D’autres idées de stockage et de gestion de la demande

Il existe quelques autres possibilités de gestion de la demande et de stockage de l’énergie. Voyons rapidement de quoi il s’agit.

L’idée de modifier le rythme de production de biens pour la faire correspondre à la puissance d’une source renouvelable n’est pas quelque chose de nouveau. De nombreuses usines de production d’aluminium sont situées près de centrales hydroélectriques ; plus il pleut, plus l’usine produit d’aluminium. Dès que de la puissance est consommée pour produire des biens qui peuvent être stockés, il y a un potentiel d’allumage et d’arrêt de la demande de puissance de manière intelligente. Par exemple, les systèmes à osmose inverse (qui fabriquent de l’eau pure à partir d’eau de mer — cf. page 109) sont des consommateurs majeurs de puissance dans de nombreux pays (même si la Grande-Bretagne n’en fait pas partie). Un autre produit stockable possible, c’est la chaleur. Si, comme je l’ai suggéré dans le chapitre 21, on électrifie le chauffage et le refroidissement des bâtiments, en particulier l’obtention d’air chaud et d’eau chaude sanitaire, alors il y a un grand potentiel de demande de puissance facile à allumer et à éteindre et reliée au réseau électrique. Des bâtiments bien isolés conservent leur chaleur pendant de nombreuses heures ; il y a donc beaucoup de souplesse dans le minutage de leur chauffage. De plus, on pourrait inclure de grands réservoirs thermiques dans les bâtiments, et utiliser des pompes pour récupérer de la chaleur de ces réservoirs ou l’y réinjecter, au moment où il y a de l’électricité en abondance ; puis utiliser une seconde série de pompes à chaleur pour transférer de la chaleur ou du froid de ces réservoirs jusqu’aux endroits où du chauffage ou du refroidissement sont demandés.

Contrôler la demande d’électricité de manière automatique serait facile. Pour ce faire, la manière la plus simple est que les appareils comme les réfrigérateurs et les congélateurs écoutent la fréquence du secteur. Lorsqu’il y a une coupure de courant sur le réseau, la fréquence tombe en dessous de sa valeur standard de 50 hertz ; lorsqu’il y a un excès d’électricité, la fréquence augmente au dessus de 50 hertz. (C’est comme avec une dynamo sur un vélo : lorsque vous allumez la lumière, vous devez pédaler plus fort pour fournir la puissance supplémentaire nécessaire à l’éclairage ; si vous ne le faites pas, alors le vélo ira un peu moins vite.) Il est facile de modifier les réfrigérateurs pour que leur thermostat interne monte ou descende un peu en réponse à la fréquence du secteur, de sorte que, sans jamais mettre en danger la température de votre motte de beurre préféré, ils tendent à consommer de la puissance au moment où cela facilite le travail du réseau.9

Est-ce qu’une telle gestion de la demande peut fournir un gros morceau du stockage virtuel dont nous aurions besoin ? A quel point les réfrigérateurs du pays sont-ils des aspirateurs de puissance ? En moyenne, un réfrigérateur avec freezer typique consomme environ 18 W. Supposons que le nombre de réfrigérateurs soit d’environ 30 millions. La possibilité d’éteindre tous les réfrigérateurs du pays pendant quelques minutes serait donc équivalente à 0,54 GW de puissance automatiquement ajustable. Ça fait un paquet de puissance électrique — plus de 1 % du total national actuel — et ça fait à peu près autant que les augmentations soudaines de demande qui apparaissent lorsque les gens, tous unis dans un élan de ferveur religieuse (comme regarder la série EastEnders), allument en même temps leur bouilloire électrique. Ce genre de « rencontres télévisuelles » induisent typiquement des augmentations de demande de l’ordre de 0,6 à 0,8 GW. Couper automatiquement chaque réfrigérateur couvrirait quasiment ces petites bizarreries quotidiennes que sont l’allumage concerté des bouilloires. Ces réfrigérateurs intelligents pourraient aussi aider à faire face aux fluctuations courtes de puissance produites par les éoliennes. Les rencontres télévisuelles associées aux plus grands élans de ferveur (par exemple, regarder l’Angleterre jouer au foot contre la Suède) peuvent produire des augmentations soudaines de demande supérieures à 2 GW. En de telles occasions, demande et fourniture d’électricité sont maintenues à l’équilibre en libérant toute la puissance de Dinorwig.

Pour fournir de la souplesse aux gestionnaires du réseau électrique, qui passent leur temps à démarrer et arrêter les centrales pour faire correspondre la fourniture à la demande, de nombreux utilisateurs industriels d’électricité ont des contrats un peu spéciaux, qui permettent aux gestionnaires de stopper la demande de ces utilisateurs avec un très court préavis. En Afrique du sud (où les coupures d’électricité sont fréquentes), des systèmes de gestion de la demande radio-commandés sont en cours d’installation dans des centaines de milliers de foyers, pour commander à distance les systèmes de climatisation et les chauffe-eau électriques.10

La solution danoise

Voici comment le Danemark fait face à l’intermittence de ses éoliennes. Les Danois paient effectivement la possibilité d’utiliser les installations hydroélectriques d’autres pays comme installations de stockage. Presque toute la puissance éolienne du Danemark est exportée vers ses voisins européens,11 dont certains disposent de puissance hydroélectrique qu’ils peuvent éteindre pour équilibrer les choses. La puissance hydroélectrique stockée est ensuite revendue aux Danois (à un prix plus élevé) durant la période suivante de vent faible et de forte demande. Dans l’ensemble, le vent danois est une contribution énergétique utile, et le système dans son ensemble est considérablement sécurisé grâce à la capacité du système hydroélectrique des pays voisins.

Est-ce que la Grande-Bretagne pourrait adopter la solution danoise ? Il nous faudrait des interconnexions directes à grande capacité vers des pays qui disposent d’une grande capacité hydroélectrique facile à allumer et à éteindre ; ou alors une énorme interconnexion au réseau électrique européen.

La Norvège possède une capacité hydroélectrique de 27,5 GW. La Suède possède en gros 16 GW, et l’Islande 1,8 GW. Une ligne à haute tension en courant continu de 1,2 GW vers la Norvège a été envisagée en 2003, mais elle n’a pas été construite. Une ligne vers les Pays-Bas — l’interconnexion BritNed, avec une capacité de 1 GW — sera construite en 2010. La capacité éolienne du Danemark est de 3,1 GW, et il possède une ligne d’interconnexion de 1 GW qui le relie à la Norvège, une autre de 0,6 GW avec la Suède, et une troisième de 1,2 GW avec l’Allemagne, ce qui fait une capacité d’exportation de 2,8 GW, assez semblable à sa capacité éolienne. Pour pouvoir exporter toute sa puissance éolienne en excès comme le Danemark (en supposant qu’elle dispose d’une capacité éolienne de 33 GW), la Grande-Bretagne aurait besoin de quelque chose comme une connexion de 10 GW avec la Norvège, de 8 GW avec la Suède et de 1 GW avec l’Islande.

Une solution à deux réseaux

Figure 26.12. Production et consommation électrique sur Fair Isle, en 1995–96. Tous les chiffres sont exprimés en kWh/j par personne. La production dépasse la consommation parce que 0,6 kWh/j par personne a dû être jeté.

Une approche radicale est de mettre la puissance produite avec du vent et les autres sources intermittentes sur un second réseau électrique, séparé, et utilisé pour les systèmes qui n’exigent pas de puissance fiable, comme le chauffage et la recharge de batteries de véhicules électriques. Depuis près de 30 ans (depuis 1982), l’île écossaise de Fair Isle (population de 70 habitants, superficie de 5,6 km2) possède deux réseaux d’électricité qui distribuent de la puissance à partir de deux éoliennes et, si nécessaire, d’un générateur électrique à moteur Diesel.12 Le service d’électricité standard est fourni sur l’un des réseaux, et le chauffage électrique est fourni sur un second ensemble de câbles. Le chauffage électrique est principalement fourni par l’excès d’électricité provenant des éoliennes qui, sinon, aurait dû être jeté. Des relais programmables, sensibles à la fréquence du secteur, contrôlent à distance les chauffe-eau individuels et les radiateurs électriques à accumulation dans les bâtiments individuels des insulaires. La fréquence du secteur est utilisée pour informer les systèmes de chauffage du moment où ils peuvent s’allumer. En fait, il y a jusqu’à six canaux de fréquence par foyer, ce qui permet au système de faire comme s’il existait sept réseaux électriques différents. Fair Isle a également testé avec succès un système de stockage d’énergie cinétique (par volant d’inertie) pour stocker l’énergie durant les fluctuations de force du vent sur des périodes de 20 secondes.

Des véhicules électriques comme générateurs

Si 30 millions de véhicules électriques acceptaient, en période de pénurie d’électricité au niveau national, de faire fonctionner leurs chargeurs à l’envers et de réinjecter de la puissance dans le réseau, alors, avec 2 kW par véhicule, on aurait une source de puissance potentielle de 60 GW — du même ordre que la capacité de toutes les centrales électriques du pays. Même si seulement un tiers des véhicules était relié au réseau électrique et disponible à un instant donné, cela ferait malgré tout une source potentielle de 20 GW de puissance. Si chacun de ces véhicules faisait une donation d’urgence de 2 kWh d’énergie — correspondant à peut-être 20 % de la capacité de stockage de ses batteries — alors la quantité totale d’énergie fournie par un tel parc serait de 20 GWh — deux fois plus que la quantité d’énergie stockée dans l’installation de stockage par pompage de Dinorwig.

Figure 26.13. Caractéristiques de systèmes de stockage et de combustibles. (a) Densité énergétique (échelle logarithmique) vs. durée de vie (nombre de cycles). (b) Densité énergétique vs. rendement. Les densités énergétiques ne prennent pas en compte la masse du conteneur des systèmes énergétiques, sauf pour « l’air » (stockage par air comprimé). Si l’on prend en compte la masse du réservoir cryogénique qui le conserve, la densité énergétique de l’hydrogène tombe de 39 000 Wh/kg à environ 2 400 Wh/kg.13

Autres technologies de stockage

Figure 26.15. Un des deux volants d’inertie au centre de recherche sur la fusion de Culham, en construction.
Photo : EFDA-JET.
www.jet.efda.org.

Il y a des tas d’autres manières de stocker de l’énergie, et des tas de critères sur lesquels juger de la qualité d’une solution de stockage. La figure 26.13 montre trois des critères les plus importants : densité énergétique (combien d’énergie peut-on stocker par kilogramme de système de stockage) ; rendement (combien d’énergie arrive-t-on à récupérer par unité d’énergie que l’on y a placée) ; et durée de vie (combien de cycles de stockage-restitution d’énergie peut-on effectuer avant que le système doive être remis à neuf). Il y a aussi d’autres critères importants : le rythme maximum auquel de l’énergie peut être pompée vers ou depuis le système de stockage, que l’on exprime souvent sous la forme d’une puissance par kilogramme ; la durée pendant laquelle l’énergie reste stockée dans le système ; et, bien sûr, le coût et la sûreté du système.

Volants d’inertie

La figure 26.15 montre un volant d’inertie d’une taille monstrueuse, utilisé pour fournir de brèves poussées de puissance pouvant atteindre 0,4 GW, pour alimenter une installation expérimentale. Il pèse 800 tonnes. Tournant sur lui-même à la vitesse de 225 tours par minute, il peut stocker jusqu’à 1 000 kWh, et sa densité énergétique est d’environ 1 Wh par kg.

Tableau 26.14. (a) Valeurs calorifiques (densités énergétiques par kg et par litre) de quelques carburants (en kWh par kg et en MJ par litre).
(b) Densité énergétique de quelques batteries (en Wh par kg).14
1 kWh = 1 000 Wh.
combustible valeur calorifique
(kWh/kg) (MJ/L)
propane 13,8 25,4
essence 13,0 34,7
gazole/diesel 12,7 37,9
kérosène 12,8 37
fioul 12,8 37,3
éthanol 8,2 23,4
méthanol 5,5 18,0
bioéthanol 21,6
charbon 8,0
bois de feu 4,4
hydrogène 39,0
gaz naturel 14,85 0,04
type de batterie densité énerg.
(Wh/kg)
durée vie
(cycles)
nickel–cadmium 45–80 1500
NiMH 60–120 300–500
acide–plomb 30–50 200–300
lithium–ion 110–160 300–500
lithium–polymère 100–130 300–500
alcaline rechargeable 80 50
(a) (b)

Un système de volant d’inertie conçu pour le stockage d’énergie d’une voiture de course peut stocker jusqu’à 400 kJ (0,1 kWh) d’énergie, et pèse 24 kg (figure 20.18). Cela fait une densité énergétique de 4,6 Wh par kg.

Des volants d’inertie à haute vitesse, faits en matériaux composites, ont des densités énergétiques pouvant aller jusqu’à 100 Wh/kg.

Supercondensateurs

On utilise les supercondensateurs pour stocker de petites quantités d’énergie électrique (jusqu’à 1 kWh) lorsque l’on a besoin de faire de nombreux cycles de charge/décharge et que le temps de charge doit être court. Par exemple, les supercondensateurs sont préférés aux batteries dans le cas de la récupération d’énergie au freinage par les véhicules qui font de nombreux arrêts et redémarrages. On trouve, sur le marché, des supercondensateurs avec une densité énergétique de 6 Wh/kg.

Une société américaine, EEStor, affirme pouvoir faire de bien meilleurs supercondensateurs, qui atteignent une densité énergétique de 280Wh/kg en utilisant du titanate de baryum.

Batteries redox au vanadium

Des systèmes de batteries redox au vanadium ont fourni un système de stockage d’énergie de 12 MWh pour la ferme éolienne de Sorne Hill en Irlande, dont la capacité actuelle est de « 32 MW », qui devrait augmenter jusqu’à « 39 MW ». Ce système de stockage est une grosse « batterie à flux », c’est-à-dire une pile à combustible à régénération redox, avec plusieurs réservoirs remplis de vanadium dans différents états chimiques. Ce système de stockage peut lisser la production d’une ferme éolienne sur une échelle de quelques minutes, mais la durée la plus longue durant laquelle il peut restituer un tiers de sa capacité (durant une courte période de vent faible) est d’une heure.

Un système de 1,5 MWh au vanadium, coûtant 480 000 dollars US, occupe 70 m2 et pèse 107 tonnes. La batterie redox au vanadium a une durée de vie supérieure à 10 000 cycles. Elle peut être chargée et déchargée au même rythme (contrairement aux batteries acide–plomb dont la charge doit être cinq fois plus lente). Son rendement est de 70 à 75 %, aller-retour. Le volume nécessaire pour stocker 20 kWh est d’environ 1 m3 de vanadium 2-molaire dans un bain d’acide sulfurique (ce qui fait 20 Wh/kg). Pour stocker 10 GWh, il faudrait donc 500 000 m3 (170 bassins de piscine) — par exemple, avec des réservoirs de 2 mètres de haut recouvrant une surface au sol de 500 mètres sur 500 mètres.

Utiliser la technologie vanadium à l’échelle nécessaire pour fabriquer un gros système de stockage par pompage — 10 GWh — pourrait avoir un effet notable sur le marché mondial du vanadium, mais aucune pénurie de vanadium à long terme n’est envisagée. La production mondiale de vanadium à l’heure actuelle est de 40 000 tonnes par an. Un système de 10 GWh contiendrait 36 000 tonnes de vanadium — environ un an de production actuelle. Le vanadium est actuellement obtenu comme un sous-produit d’autres processus, et la ressource totale de vanadium à l’échelle mondiale est estimée à 63 millions de tonnes.15

Figure 26.16. Demande de gaz (graphique du bas) et température (graphique du haut) en Grande-Bretagne tout au long de 2007.

Solutions « économiques »

Dans le monde actuel qui n’associe aucun coût à la pollution au carbone, le seuil de rentabilité financière d’un système de stockage est si élevé qu’il existe une alternative moins chère totalement idiote : le stockage peut être simulé en ajoutant simplement une centrale à gaz de plus pour répondre à la demande supplémentaire, et en perdant la puissance électrique en trop en l’envoyant dans des radiateurs.

Fluctuations saisonnières

Les fluctuations de fourniture et de demande les plus lentes se déroulent à l’échelle d’une saison entière. La fluctuation la plus importante est celle du chauffage des bâtiments, qui augmente durant chaque hiver. La demande actuelle de gaz naturel au Royaume-Uni varie tout au long de l’année, d’une moyenne typique de 36 kWh/j par personne en juillet et en août, à une moyenne de 72 kWh/j par personne de décembre à février, avec des extrêmes allant de 30 à 80 kWh/j/pers. (figure 26.16).

Certains renouvelables ont également des fluctuations annuelles — en été, la puissance solaire est plus intense et la puissance du vent plus faible.

Comment s’accommoder de ces fluctuations qui s’étalent sur une très longue durée ? Les véhicules électriques et le stockage par pompage ne vont pas être d’une grande aide pour stocker des quantités d’énergie de ce genre. Parmi les technologies utiles, il y aura sûrement le stockage thermique à long terme. Un gros bloc de roche ou une grosse cuve d’eau peuvent stocker tout un hiver de chaleur pour un bâtiment — le chapitre E décrit cette idée dans de plus amples détails. Aux Pays-Bas, la chaleur de l’été accumulée par les routes est stockée dans des aquifères jusqu’à l’hiver, puis restituée aux bâtiments via des pompes à chaleur [2wmuw7].16

Notes et bibliographie

1 La production totale du parc éolien en république d’Irlande. Les données proviennent de eirgrid.com [2hxf6c].

Figure 26.17. Rendement des quatre systèmes de stockage par pompage de Grande-Bretagne.

2 « la disparition du vent impose un plan d’urgence sur le réseau électrique du Texas ». [2l99ht] En fait, ma lecture de cet article d’actualité est que cet événement, bien que peu courant, est un exemple de fonctionnement normal d’un réseau électrique. Sur le réseau, il y a des consommateurs industriels dont on peut interrompre l’alimentation, en cas de trop grosse différence entre la fourniture et la demande. La production éolienne a baissé d’un coup de 1,4 GW au moment précis où la demande des Texans augmentait de 4,4 GW, provoquant justement ce genre de différence entre fourniture et demande. Les clients dont on pouvait interrompre l’alimentation ont vu leur alimentation coupée. Tout a fonctionné comme prévu.
Voici un autre exemple, où une meilleure planification du système de génération de puissance aurait été d’un grand secours : « La puissance éolienne d’Espagne établit un nouveau record, des interruptions de production ont été décidées. » [3x2kvv] La consommation d’électricité moyenne en Espagne est de 31 GW. Le mardi 4 mars 2008, ses génératrices éoliennes fournissaient 10 GW. « Le marché de l’électricité espagnol est devenu particulièrement sensible aux fluctuations du vent. »

3 Les tenants de l’éolien minimisent ce problème : « Ne vous inquiétez pas—les fermes éoliennes prises individuellement sont peut-être intermittentes, mais elles ne sont pas toutes situées au même endroit, donc prises toutes ensemble, elles sont beaucoup moins intermittentes. » Pour un exemple, consulter le site Web yes2wind.com. com qui, sur sa page « debunking the myth that wind power isn’t reliable » [Démystifier l’affirmation selon laquelle le vent n’est pas fiable] affirme que « the variation in output from wind farms distributed around the country is scarcely noticeable » [les variations de production des fermes éoliennes réparties sur l’ensemble du pays sont à peine visibles.] www.yes2wind.com/intermittency_debunk.html

4 […] le vent est vraiment intermittent, même si l’on couvre d’éoliennes le pays tout entier. Le Royaume-Uni est un peu plus grand que l’Irlande, mais on y retrouve le même problème. Source : Oswald et al. (2008).

5 Le rendement du pompage de Dinorwig est de 75 %. La figure 26.17 montre les données correspondantes.
Pour plus d’informations sur Dinorwig et les sites alternatifs de pompage : Baines et al. (1983), Baines et al. (1986).

Figure 26.18. Un site possible pour une autre installation de stockage par pompage de 7 GWh. La vallée de Croesor se trouve au centre gauche de la carte, entre le pic acéré à gauche (Cnicht) et les montagnes plus étalées à droite (les Moelwyns).

6 Tableau 26.7. Le volume de fonctionnement requis, V, est calculé à partir de la hauteur de chute, h, comme suit. Si ε est le rendement de la conversion de l’énergie potentielle en électricité,

V = 100 GWh / (ρ×g×h×ε),

ρ est la densité de l’eau et g est l’accélération de la gravité. J’ai fait l’hypothèse que les générateurs avaient un rendement de ε = 0,9.

7 Tableau 26.8, Sites alternatifs pour des installations de stockage par pompage. Le réservoir amont proposé pour Bowydd était Llyn Newydd, référence de grille SH 722 470 ; pour Croesor : Llyn Cwm-y-Foel, SH 653 466.

8 Si dix installations de stockage par pompage en Écosse avaient le même potentiel que celui que j’ai estimé pour le Loch Sloy, alors on pourrait stocker 400 GWh. Cette estimation grossière est confirmée par une étude de la Strathclyde University [5o2xgu] qui liste 14 sites totalisant une capacité de stockage estimée à 514 GWh.

9 Il est facile de modifier les réfrigérateurs pour que leur thermostat interne monte ou descende un peu en réponse à la fréquence du secteur. [2n3pmb] Plus de liens sur : Dynamic Demand www.dynamicdemand.co.uk ; www.rltec.com ; www.responsiveload.com.

10 En Afrique du sud […] des systèmes de gestion de la demande sont en cours d’installation.
Source : [2k8h4o]

11 Presque toute la puissance éolienne du Danemark est exportée vers ses voisins européens.
Source : Sharman (2005).

12 Depuis plus de 25 ans (depuis 1982), l’île écossaise de Fair Isle possède deux réseaux d’électricité.
www.fairisle.org.uk/FIECo/
L’essentiel du temps, les vitesses de vent sont comprises entre 3 m/s et 16 m/s ; 7 m/s est la vitesse la plus probable.

13 Figure 26.13. Rendements de stockage. Batteries lithium–ion : rendement de 88 %. Source : www.national.com/appinfo/power/files/swcap eet.pdf
Batteries acide–plomb : 85–95%.
Source : www.windsun.com/Batteries/Battery_FAQ.htm
Stockage par air comprimé : rendement de 18 %. Source : Lemofouet-Gatsi et Rufer (2005), Lemofouet-Gatsi (2006). Voir aussi Denholm et al. (2005).

Air/huile : les accumulateurs hydrauliques, que l’on utilise comme pour récupérer l’énergie au freinage sur les camions, sont des dispositifs de stockage à air comprimé qui peuvent atteindre un rendement de 90 % aller-retour, permettant de capturer 70 % de l’énergie cinétique. Sources : Lemofouet-Gatsi (2006), [5cp27j].

14 Tableau 26.14. Sources : Xtronics xtronics.com/reference/energy density.htm ; Battery University [2sxlyj] ; information sur les volants d’inertie provenant de Ruddell (2003).
Les dernières batteries avec les densités énergétiques les plus élevées sont des batteries au lithium–sulfure et au lithium–sulfite, qui atteignent 300 Wh/kg.
Certains fans désabusés de l’hydrogène semblent s’être rabattus sur la table périodique des éléments et être devenus des fans du bore. Le bore (en supposant que vous en brûliez pour obtenir du trioxyde de bore B2O3) possède une densité énergétique de 15 000 Wh/kg, ce qui n’est franchement pas mal. Mais j’imagine que mon principal sujet d’inquiétude s’applique aussi au bore : en l’occurrence, le fait que la régénération du combustible (ici, le bore à partir d’oxyde de bore) sera inefficace du point de vue énergétique, et donc, par voie de conséquence, le processus de combustion le sera aussi.

15 Batteries redox au vanadium Sources : www.vrbpower.com ; fermes éoliennes irlandaises [ktd7a] ; vitesse de recharge [627ced] ; production mondiale [5fasl7].

16 […] La chaleur de l’été accumulée par les routes est stockée dans des aquifères […] [2wmuw7].

Couverture
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 I 
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22-
29-
32-
35-
38-
50-
55-
57-
60-
68-
73-
76-
81-
88-
96-
100-
103-
 II 
114-
118-
140-
155-
157-
161-
177-
186-
203-
214-
222-
231-
240-
250 251
 III 
254-
263-
269-
283-
289-
307-
311-
322-
IV
328-
338-
342-
370-
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