12 – Vagues

Si l’énergie des vagues peut offrir de l’espoir à deux pays, c’est bien au Royaume-Uni et à l’Irlande — flanqués qu’ils sont de l’océan Atlantique d’un côté et de la mer du Nord de l’autre.

Tout d’abord, tirons au clair ce qui en est à l’origine : le soleil provoque le vent, et le vent provoque la houle.

L’essentiel de la lumière solaire qui frappe notre planète sert à réchauffer les océans. L’eau réchauffée chauffe à son tour l’air au dessus d’elle, et produit de la vapeur d’eau. L’air réchauffé s’élève ; au fur et à mesure qu’il s’élève, l’air se refroidit, et la vapeur d’eau qu’il transporte se condense, formant des nuages et de la pluie. Atteignant son altitude la plus élevée, l’air est encore plus refroidi par l’obscurité glaciale de l’espace. L’air froid plonge alors. Cette gigantesque pompe alimentée par l’énergie du soleil fait tourner l’air encore et encore dans d’énormes boucles de convection. De notre point de vue, à la surface, ces cellules de convection provoquent les vents. Le vent est une énergie solaire de seconde main. Au fur et à mesure qu’il pousse encore et encore l’eau de surface, il génère de la houle. La houle est donc de l’énergie solaire de troisième main. (Les vagues de houle qui s’écrasent sur la plage n’ont rien à voir avec les marées.)

Dans les grandes étendues d’eau, des vagues de houle apparaissent dès lors que la vitesse du vent dépasse 0,5 m/s environ.1 Les crêtes de ces vagues se déplacent à peu près à la vitesse du vent qui les a générées, et dans la même direction. La longueur d’onde de la houle (la distance entre deux crêtes qui se suivent) et sa période (le temps entre deux crêtes) dépendent de la vitesse du vent. Plus le vent souffle longtemps, et plus la surface sur laquelle souffle le vent est grande, plus la hauteur des vagues de houle que le vent génère est grande. Par conséquent, puisque les vents dominants au dessus de l’Atlantique vont d’ouest en est, les vagues de houle qui arrivent sur la côte Atlantique de l’Europe sont souvent assez grandes. (La houle qui arrive sur la côte est des Îles Britanniques est généralement bien moins forte,2 donc mes estimations du potentiel de puissance de la houle se concentreront sur la ressource se situant dans l’océan Atlantique.)

Figure 12.1. Un collecteur d’énergie de houle Pelamis est un serpent de mer constitué de quatre sections. Son nez fait face à la houle qui arrive. Les vagues de houle font ployer le serpent, et des générateurs hydrauliques résistent à ces mouvements. La puissance en crête d’un serpent est de 750 kW ; dans le site le plus favorable de l’Atlantique, un serpent fournirait en moyenne 300 kW. La photo est de Pelamis wave power www.pelamiswave.com.

Les vagues de houle ont une grande mémoire, et elles conservent la même direction pendant des jours et des jours après que le vent qui les a créées a cessé de souffler, jusqu’à ce qu’elles rencontrent un obstacle. Dans les mers dans lesquelles les vents changent souvent de direction, les vagues de houle qui sont nées des jours différents se superposent et forment un fouillis, voyageant dans des directions différentes.

Si les vagues de houle qui voyagent dans une direction donnée rencontrent des objets qui absorbent leur énergie — par exemple, un chapelet d’îles avec des plages de sable — alors les mers au-delà de l’objet sont plus calmes. Les objets projettent une ombre, et il y a moins d’énergie dans les vagues de houle qui passent au travers. Donc, tandis que la lumière du soleil délivre une puissance par unité de surface, les ondes délivrent une puissance par unité de longueur de littoral. Vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Vous ne pouvez pas recueillir l’énergie de la houle à la fois à trois et à un kilomètre du rivage. Ou, plutôt, vous pouvez toujours essayer, mais l’installation à trois kilomètres du rivage absorbera l’énergie qui, sinon, aurait atteint l’installation dans les terres, et cette énergie ne sera pas remplacée par une autre. Pour que le vent crée une grosse houle, il lui faut des milliers de kilomètres de mer.

On peut trouver une limite supérieure à la puissance maximum théorique que l’on pourrait obtenir de la puissance de la houle, en faisant une estimation de la puissance entrante par unité de longueur de littoral exposé, et la multipliant par la longueur de ce littoral. Nous allons ignorer la question de savoir quel mécanisme technique pourrait collecter toute cette puissance, en commençant par trouver combien de puissance cela fait.

Figure 12.2. Les vagues de houle.

La puissance de la houle atlantique a été mesurée : elle est d’environ 40 kW par mètre de littoral exposé. On dirait bien que ça fait une puissance énorme ! Si chacun possédait un mètre de littoral et qu’il pouvait récolter l’intégralité de ses 40 kW,3 cela ferait plein de puissance pour couvrir notre consommation moderne. Malheureusement, nous sommes trop nombreux. Il n’y a pas assez de littoral atlantique pour que chacun d’entre nous ait son propre mètre.

Comme le montre la carte au début de ce chapitre, la Grande-Bretagne dispose d’environ 1 000 kilomètres de littoral atlantique (un million de mètres), ce qui fait 160e de mètre par personne. Donc la puissance brute entrante est de 16 kWh par jour et par personne. Si l’on pouvait extraire toute cette puissance, l’Atlantique, au bord du rivage, serait plat comme une limande. En pratique, aucun système ne pourra réussir à absorber l’intégralité de cette puissance, et une partie de cette puissance sera inévitablement perdue durant la conversion de l’énergie mécanique en énergie électrique.4 Supposons que des machines à houle absolument géniales aient un rendement de 50 % pour transformer la puissance entrante de la houle en électricité, et que nous soyons capables de remplir l’océan de machines à houle sur 500 kilomètres de littoral atlantique. Cela voudrait dire que l’on pourrait fournir 25 % de cette limite théorique. Cela fait 4 kWh par jour et par personne. Comme d’habitude, je fais volontairement des hypothèses assez extrêmes pour pousser la pile verte vers le haut — j’espère bien que l’hypothèse qui consiste à couvrir la moitié du littoral atlantique d’absorbeurs de houle paraîtra délirante à la plupart des lecteurs.

A quoi ressemblent ces chiffres, comparés à ce que peut faire la technologie actuelle ? Au moment où j’écris ces lignes, il n’existe que trois machines à houle qui fonctionnent au large : trois collecteurs d’énergie de la houle Pelamis (figure 12.1) construits en Écosse et installés au Portugal. Aucun résultat de performance réel n’a encore été publié, mais les concepteurs du Pelamis (« conçu pour la survie comme objectif-clé avant même l’efficacité de l’absorption de l’énergie ») prévoient qu’un parc de machines à houle de deux kilomètres de long, constituée de 40 de leurs serpents de mer, pourrait fournir 6 kW par mètre de parc de machines à houle. Si l’on utilise ce chiffre dans le calcul précédent, la puissance délivrée par 500 kilomètres de parc de machines à houle descend à 1,2 kWh par jour et par personne. Si l’énergie de la houle peut être utile à de petites communautés vivant sur des îles reculées, je subodore qu’elle ne pourra pas jouer un rôle déterminant dans la solution au problème d’énergie durable de la Grande-Bretagne.

Combien pèse un Pelamis, et de combien d’acier est-il fait ? Un serpent avec une puissance maximum de 750 kW pèse 700 tonnes, y compris les 350 tonnes de lest. Il contient donc 350 tonnes d’acier. Cela fait un rapport poids-puissance d’à peu près 500 kg par kW (crête). C’est à comparer aux besoins en acier de l’éolien en mer : une éolienne offshore avec une puissance maximum de 3 MW pèse 500 tonnes, y compris ses fondations. Ce qui fait un rapport poids-puissance d’à peu près 170 kg par kW, c’est-à-dire trois fois moins que la machine à houle. Le Pelamis est un premier prototype ; on peut supposer que de futurs investissements et développements dans la technologie de la houle feront baisser ce rapport poids-puissance.

Notes et bibliographie

Photo de Terry Cavner.

1 Dans les grandes étendues d’eau, des vagues de houle sont générées dès lors que la vitesse du vent dépasse 0,5 m/s environ. Les crêtes de ces vagues se déplacent à peu près à la vitesse du vent qui les a générées, et dans la même direction. La théorie la plus simple de production de la houle (Faber, 1995, page 337) suggère que Photo de Terry Cavner. (pour une petite houle) les crêtes des vagues de houle se déplacent environ deux fois moins vite que le vent qui les a créées. Cependant, il a trouvé de manière empirique que plus le vent souffle longtemps, plus la longueur d’onde des vagues de houle qui sont présentes est grande, et plus leur vitesse est grande. La vitesse caractéristique dans les mers les plus creusées est presque exactement égale à la vitesse du vent 20 mètres au dessus de la surface de l’eau (Mollison, 1986).

2 La houle qui arrive sur la côte est des Îles Britanniques est généralement bien moins forte. Alors que la puissance de la houle à Lewis (Atlantique) est de 42 kW/m, les puissances sur les sites de la côte est sont : Peterhead : 4 kW/m ; Scarborough : 8 kW/m; Cromer : 5 kW/m. Source : Sinden (2005). Sinden indique que « la région de la mer du Nord souffre d’un environnement de houle de très faible énergie. »

3 La puissance de la houle atlantique est d’environ 40 kW par mètre de littoral exposé. (Le chapitre F explique comment on peut faire une estimation de cette puissance à partir de quelques données sur les vagues.) Ce chiffre repose sur des bases solides provenant de la littérature scientifique sur la puissance de la houle dans l’Atlantique (Mollison et al., 1976; Mollison, 1986, 1991). Dans Mollison (1986), par exemple, on lit : « la ressource à large échelle de l’Atlantique nord-est, qui va de l’Islande au nord du Portugal, possède une ressource nette de 40 à 50 MW/km, dont 20 à 30 MW/km est potentiellement récupérable de manière économiquement rentable. » En tout point du large dans cet océan, on peut distinguer trois puissances par unité de longueur : la puissance totale qui passe par ce point dans toutes les directions (63 kW/m en moyenne sur les îles de Scilly, et 67 kW/m au large de Uist) ; la puissance nette captée par un collecteur directionnel qui est orienté dans la direction optimale (respectivement 47 kW/m et 45 kW/m) ; et la puissance par unité de littoral, qui prend en compte le décalage d’alignement entre l’orientation optimale d’un collecteur directionnel et celle du littoral (par exemple, au Portugal, l’orientation optimale fait face au nord-ouest alors que le littoral fait face à l’est).

4 En pratique, aucun système ne pourra réussir à absorber l’intégralité de cette puissance, et une partie de cette puissance sera inévitablement perdue durant la conversion de l’énergie mécanique en énergie électrique. La première machine à houle de Grande-Bretagne connectée au réseau électrique, le LIMPET au large de l’île écossaise d’Islay, fournit un exemple frappant de l’importance de ces pertes. Lorsque le LIMPET a été conçu, son rendement de conversion de l’énergie de la houle en puissance électrique dans le réseau avait été évalué à 48 %, et la production de puissance prévue était de 200 kW. Mais dans les faits, les pertes dans le dispositif de captage de l’énergie, les volants d’inertie et les composants électroniques ont réduit la production moyenne à seulement 21 kW — ce qui fait un rendement de conversion de seulement 10 % de l’énergie de la houle arrivant sur le site (Wavegen, 2002).